Habituellement, quand on vous présente un jeu de société, c’est que nous y avons joué à plusieurs reprises, que nous l’avons apprécié, et que nous vous le recommandons chaudement. Ça, c’était avant, car aujourd’hui, c’est plutôt « Fuyez ! Pauvres fous ! ».
La première épreuve pour pouvoir vous infliger ce jeu est d’arriver à vous le procurer. Publié en 1978-79, il est bien évidemment devenu introuvable en boutique. C’est vers le marché de l’occasion qu’il faut donc se tourner. Au moment de la rédaction de cet article (le 14 septembre 2022), un seul exemplaire était en vente sur eBay… pour la modique somme de 1000 €.
Ce jeu, c’est The Campaign for North Africa: The Desert War 1940-43, de Richard H. Berg, décédé en 2019, auteur prolifique de presque deux cents jeux, essentiellement des wargames, pour lesquels il reçut de nombreuses distinctions. Dont un Hall of Fame de la GAMA (la Game Manufacturers Association) pour l’ensemble de son œuvre. Le jeu était édité par SPI (Simulations Publications, Inc.), qui a mis les clés sous la porte en 1982, dans la gamme Monster Games… tout un programme.
Il simule la campagne d’Afrique du Nord, pendant la Seconde Guerre mondiale, une série de batailles livrées dans les déserts libyens et égyptiens, au Maroc, en Algérie et en Tunisie. La campagne est menée entre les forces des Alliés (essentiellement le Commonwealth) et de l’Axe. Une des batailles les plus célèbres est celle d’El Alamein, entre les troupes de Montgomery opposées à celles de Rommel.
En admettant que vous arriviez à vous en procurer un exemplaire, ou que vous soyez assez motivé pour imprimer et découper 1 600 petits jetons, encore faut-il être en mesure d’y jouer.
Pour cela, il faut d’abord vous farcir les presque 200 pages de règles, réparties en six livrets. Entre les règles au sol (47 pages), les règles aériennes, la logistique et les scénarios (43 pages), les graphiques et tableaux communs aux deux camps (15 pages), les graphiques et tableaux spécifiques au Commonwealth (32 pages), l’équivalent pour les forces de l’Axe (36 pages), plus quelques feuilles annexes (parce que quand on aime, on ne compte définitivement pas), vous avez de quoi occuper vos longues soirées d’hiver.
Et on ne parle pas de règles illustrées, joliment mises en page, aérées. À l’époque, la mode était plutôt aux annuaires des PTT. Ce n’est pas un hasard s’il figure parmi les jeux les plus complexes jamais publiés sur BoardGameGeek, la plus grande base de données mondiale spécialisée dans les jeux de société. Mais tenez-vous bien, puisque le site référence trois autres jeux encore plus compliqués… au secours ! La Wargamer Academy, qui note la complexité des wargames sur une échelle de 1 à 10, lui a attribué un 10+. Mais qu’est-ce qui le rend donc si compliqué ? Des règles d’une précision extrême.
Une campagne complète demande environ cent tours, pendant lesquels chaque camp commence par établir des tableaux d’organisation pour chacun des centaines de pions de son armée. Puis passe par une trentaine de phases, constituées de sous-phases, toutes plus complexes les unes que les autres.
Des dizaines de types d’unités différentes sont mises en scène, avec leurs caractéristiques propres. La météo est prise en compte (chaleur extrême, tempête de sable, pluie, etc.), tout comme l’effet du terrain sur les mouvements des troupes, ou le moral de ces dernières. Il est aussi possible de réparer les véhicules abîmés, de poser des mines, d’envoyer des patrouilles de reconnaissance, de fortifier des zones, de lancer des raids, de faire des prisonniers, et autres joyeusetés.
L’auteur a même pensé à gérer la consommation de carburant, et son évaporation, en fonction de son lieu de stockage. Idem pour l’eau, et les effets de déshydratation des soldats. Le pire est sans doute la règle spécifique aux troupes italiennes, en raison de leur consommation de pâtes, qu’il faut bien faire cuire avant de les manger. L’auteur a par la suite avoué que ce point précis n’était qu’une petite blague, sans rapport avec des faits réels. LOL.
Bref, vous voyez l’idée. Et encore, soyons honnêtes, nous n’avons pas lu l’entièreté des règles.
Il faut de la place aussi, pour y jouer. Beaucoup de place. Imaginez plutôt : cinq cartes quadrillées d’hexagones, de 86×58 cm chacune, à assembler, pour former le terrain de jeu, d’une longueur totale de presque 3 mètres ! Quand on peut compter la taille de la carte en unités de petite fille, on se doute qu’il y a comme un problème…
Ne vous manquent alors plus que des camarades de jeu pour vous lancer. Minute papillon, il ne suffit pas d’inviter un ou deux potes pour passer une soirée sympa à la maison. Non, ce n’est pas moins de dix personnes qu’il faut réunir pour y jouer dans des conditions optimales. Deux équipes de cinq plus précisément. Le jeu est tellement compliqué qu’il vaut mieux se répartir différents rôles au sein d’un même camp. Entre le commandant en chef, le commandant de la logistique, le commandant de l’avant-garde, le commandant de l’arrière-garde et le commandant aérien, on ne sait que choisir.
On résume : vous avez trouvé une boîte du jeu, vous avez lu et compris les règles, vous avez monopolisé votre salon pour installer le plateau de jeu, et vous avez réuni neuf amis (plus pour longtemps) pour partager ce moment avec vous. Il ne vous manque plus qu’une seule chose : du temps. Beaucoup de temps. Énormément de temps.
À votre avis, combien dure une partie de The Campaign for North Africa ? Quelle que soit la valeur à laquelle vous avez pensé, vous êtes loin du compte. L’estimation de la durée est en effet comprise entre 1 000 et 1 500 heures. Entre 40 et 60 jours sans interruption. Approximativement deux mois à ne faire que ça, sans manger, dormir ou prendre la moindre pause. Pour rester un peu plus réaliste (façon de parler), si vous vous réunissez par session de trois heures, deux fois par mois, vous en verriez le bout en une vingtaine d’années.
Pourquoi durée estimée ? Car selon la légende, personne n’en a jamais terminé une partie. Ni l’auteur ni l’éditeur. Pas même Sheldon Cooper, le héros de The Big Bang Theory. Il était pourtant motivé, quand, dans l’épisode 16 de la saison 11, il en propose une partie pour distraire son amie Bernadette, alors enceinte jusqu’au cou, mais dont le bébé tarde à pointer le bout du nez. Leurs amis étaient nettement moins enthousiastes…
Toujours est-il que les règles sont désormais téléchargeables gratuitement. Elles comprennent même les cartes, les pions à découper. Bref, tout ce qu’il faut pour se lancer. Et au moins, maintenant, vous saurez comment occuper votre temps libre en cas de reconfinement !
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