Des films inédits vont avoir le droit de sortir en SVOD, sans passer d’abord par la case des salles de cinéma. La mesure est exceptionnelle et temporaire : elle ne modifie pas la chronologie des médias sur le fond.

2021, l’année de la réouverture des cinémas en France ? Pour l’instant, on n’en est pas encore là compte tenu de la situation épidémique. Cela occasionne aujourd’hui un réel problème : quand les salles rouvriront, il y aura des dizaines de films dans les starting-blocks, mais pas assez de place pour tout le monde. Car en plus des longs métrages qui n’ont pas encore pu sortir en 2020 et en début d’année, il y a aussi ceux qui vont arriver dans les mois à venir.

C’est dans ce contexte que le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a pris la décision le 31 mars de proposer à certaines productions qui le désirent de s’éloigner des règles de la chronologie des médias, pour que les films puissent avoir une carrière malgré l’impossibilité de se rendre dans un multiplexe ou son cinéma de quartier. Les distributeurs qui souhaitent emprunter cette voie sont invités à se faire connaître via un formulaire dédié.

Source : byronv2

Movie theaters. What a concept ! // Source : byronv2

La modification du CNC consiste à préserver le caractère d’œuvre cinématographique des films, et à tenir compte de l’impossibilité de sortir des productions au cinéma, alors qu’il s’agit d’une condition pour obtenir des aides au financement du CNC. Comme les salles sont closes, les œuvres se retrouvent quelque peu coincées : pas de perspective sur grand écran et des freins demeurent dans le cas où l’on voudrait plutôt se replier sur de la vente à une plateforme de VOD ou SVOD.

En effet, comme cela a été souligné sur Twitter par Films de Lover, les plateformes doivent rembourser le montant des aides octroyées par le CNC, dans le cas où elles achètent les droits d’un film soutenu par le CNC — et devant donc sortir au cinéma. Cela pouvait être potentiellement dissuasif aux yeux des services de VOD ou SVOD. Les modifications que le CNC apporte lèvent cette contrainte de vente de films à des plateformes, en ne faisant plus du remboursement des aides un préalable.

Une mesure d’urgence, après cinq mois de fermeture

Le CNC explique qu’il s’agit-là d’une « mesure d’urgence », bien que les salles soient en fait fermées déjà depuis des mois — depuis la fin octobre 2020. Les trois principaux réseaux de salles ont d’ailleurs suspendu automatiquement le prélèvement des abonnements. Cinq mois après, donc, le CNC a considéré qu’il était temps de mettre en place une « dérogation  exceptionnelle », d’autant que, les voyants de la pandémie étant ce qu’ils sont, une réouverture rapide paraît très improbable.

Concrètement, si le CNC donne son approbation, un film pourra contourner la case des salles de cinéma pour aller directement sur les plateformes de vidéo à la demande à l’acte (VOD), mais aussi sur les plateformes de vidéo à la demande sur abonnement (SVOD), les chaînes de télévision ou encore les supports physiques (DVD et Blu-rays). Bref, le CNC va cette fois beaucoup plus loin que la dérogation qu’il proposait en mai 2020. À l’époque, la sortie en avance ne concernait que la VOD à l’acte.

Il faut rappeler que la chronologie des médias organise les différents types d’exploitation d’un film après sa sortie en salles. Une fois qu’il a achevé sa carrière au cinéma, le long métrage passe d’une fenêtre d’exploitation à l’autre, selon différents critères (financer la production cinématographique donne un avantage, par exemple). En général, la première fenêtre s’ouvre après 4 mois en salles (vente et location de DVD et de Blu-rays), et la dernière après 44 mois (streaming gratuit).

Alwyn Ladell

Il y a des centaines de films dont la sortie a été perturbée par le coronavirus. // Source : Alwyn Ladell

De cette façon, commente le CNC, les films concernés pourront « faire l’objet d’une première exploitation à travers un réseau de diffusion autre que la salle de cinéma à laquelle ils étaient initialement destinés ». Le dispositif est actif depuis le 1er avril et durera jusqu’à un mois après la date de réouverture des salles de cinéma — celle-ci n’est toutefois pas connue. Au regard de la propagation actuelle du coronavirus, cela devrait durer encore plusieurs semaines, au bas mot.

Reste à savoir si la mesure attirera les distributeurs, qui devront s’assurer que cette sortie hors salles convient bien à toutes les parties prenantes (auteurs, producteurs, financeurs, etc.). Lors de la première dérogation, au printemps dernier, des dizaines de films, français et étrangers, avaient opté pour une sortie anticipée en VOD à l’acte, afin de pouvoir sauver leur carrière commerciale ou, du moins, limiter les dégâts. Les circonstances devraient en amener un certain nombre à opter pour cette alternative.

Le CNC tient à rappeler néanmoins que ce cadre est provisoire : il ne fait que répondre à une situation littéralement hors normes. En clair, la chronologie des médias reste la règle, même si celle-ci va être amenée à évoluer. « La salle demeure le lieu privilégié pour découvrir une œuvre », considère ainsi le président du CNC, Dominique Boutonnat. Un avis que semblent toutefois de moins en moins partager des géants comme Disney ou Warner Bros. Et, d’une certaine façon, Netflix aussi.

(mise à jour avec une précision sur l’articulation de la mesure avec la chronologie des médias)


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