Au détour d’un vote de son assemblée, la Corse a souhaité un moratoire sur la 5G. Mais c’est en principe tout ce qu’elle peut faire : elle n’a pas la possibilité de s’y opposer, pas plus qu’un maire.

La méfiance qui existe au sein d’une partie de la population à l’égard de la 5G va-t-elle pousser certains maires à chercher à s’opposer à l’arrivée de l’ultra haut débit mobile sur leur commune ? La question n’est pas complètement hypothétique : dans son édition du 3 août, Le Figaro faisait état du vote de l’Assemblée de Corse en faveur d’un moratoire sur le déploiement local de la nouvelle génération de téléphonie mobile.

Officiellement, l’île de Beauté n’entend pas nécessairement rejeter cette future norme. « Il ne s’agit pas de s’opposer par principe à la 5G », assure au quotidien Jean-Guy Talamoni, qui préside cette assemblée. « Il s’agit simplement de réclamer le droit pour les élus d’avoir tous les éléments d’appréciation pour prendre position sur cette nouvelle technologie ». En somme, c’est juste de la temporisation pour creuser le sujet.

Qui décide du déploiement de la 5G ?

Pour autant, que se passerait-il pour les maires qui seraient tentés d’aller plus loin contre la 5G, non pas en s’en tenant à une prise de position déclarative, semblable à celle prise par la collectivité de Corse, en faisant voter au conseil municipal une simple demande de moratoire sur le sujet, mais en mobilisant leur pouvoir de police générale pour empêcher son arrivée ?

Ils se placeraient en infraction. Comme le pointe le Conseil d’État, qui est la plus haute juridiction de l’ordre administratif français, « seules les autorités de l’État désignées par la loi sont compétentes pour réglementer de façon générale l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile ». C’est une compétence exclusive : les maires ne peuvent brandir leur pouvoir de police générale pour s’en mêler.

L’autorité au sein du gouvernement est le responsable des communications électroniques, en l’espèce Cédric O, le secrétaire d’État en charge de la Transition numérique et des Communications électroniques. Il dépend à la fois du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance d’une part et du ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales d’autre part.

 

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Le Conseil d'État

Source : Lino Bento

Deux autres structures sont dans la boucle : l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et l’Agence nationale des fréquences. Ces autorités nationales peuvent s’appuyer « sur une expertise non disponible au plan local, de veiller, dans le cadre de leurs compétences respectives, à la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques et à la protection de la santé publique ».

Le Conseil d’État ajoute que c’est à elles que revient « le soin de déterminer, de manière complète, les modalités d’implantation des stations radioélectriques sur l’ensemble du territoire ainsi que les mesures de protection du public contre les effets des ondes qu’elles émettent ». L’allumage des stations électromagnétiques dépend du feu vert de l’Agence nationale des fréquences.

Les opérateurs de télécommunications concourent indirectement à ce déploiement. En effet, c’est à eux que revient la mission d’exploiter les fréquences, de déployer un réseau à l’échelon national et de respecter un cahier des charges précis, s’ils se portent candidats pour être un acteur de la 5G. S’ils ne façonnent pas le cadre politique et réglementaire, ce sont eux qui donnent vie à la 5G.

Peut-on brandir le principe de précaution contre la 5G ?

Cela vaut aussi pour l’argument consistant à faire appel au principe de précaution, qui a une valeur constitutionnelle depuis 2004 avec l’ajout de la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité. Là encore, le Conseil d’État se veut très clair : cette disposition « ne permet pas à une autorité publique [comme un maire, NDLR] d’excéder son champ de compétence ».

« Même dans l’hypothèse où les valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques fixées par décret ne prendraient pas suffisamment en compte les exigences posées par le principe de précaution », écrit le Conseil d’État, « les maires ne seraient pas pour autant habilités à adopter une réglementation relative à l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes ».

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Source : Erasoft24

Cette lecture est confirmée par Alexandre Archambault, avocat spécialiste du droit des réseaux : « le principe de précaution n’est pas un totem d’immunité pour empêcher le déploiement d’antennes mobiles ». Et ce n’est pas parce qu’il a une valeur constitutionnelle « que cela dispense ceux qui l’invoquent de fournir la preuve de la dangerosité », observe-t-il. « Le juge exige des certitudes, et non des supputations ».

C’est ce que démontre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris, du 24 avril 2018 : « En l’état des données et connaissances scientifiques, […] aucun risque avéré n’a été démontré ni mis en évidence quant aux effets sur la santé des populations du fait de la présence et du fonctionnement [d’antennes de téléphonie mobile] ». En somme, pour la 5G, il faudra prouver sa nocivité, et non l’imaginer.

Certes, la 5G est une génération de la téléphonie mobile qui fera appel à des techniques nouvelles dans le domaine des télécoms. Mais les fréquences qu’elle utilisera sont connues et déployées : la bande 3,5 GHz, qui sera la première à servir à la 5G, sert au WiMax et est proche du WiFi (2,45 GHz). La future bande 700 MHz est utilisée pour la 4G aujourd’hui. Et la bande 26 GHz sert à la signalisation ferroviaire et de faisceaux hertziens reliant les antennes 3G et 4G.

Quelles sont les marges de manœuvre des maires ?

D’autres leviers juridiques pourraient-ils alors être actionnés par les communes, quitte à verser dans une sorte de « guérilla juridique » pour tenter de bloquer l’érection de nouvelles antennes ou bien d’actualiser celles déjà en place ? Sans doute, mais ces manœuvres dilatoires risquent toutes de connaître une issue défavorable. Sans parler du fait que cela ira aussi à l’encontre des intérêts des administrés.

En effet, pour raccorder une commune à un réseau, il faut à un moment ou à un autre faire venir la technologie sur place, soit en tirant des câbles, par exemple la fibre optique, soit en déployant des antennes relais dans les parages. Or, cela donne parfois lieu à des attitudes paradoxales, qu’illustre très bien ce fil sur Twitter : comment faire sortir des localités des zones blanches, c’est-à-dire sans aucune couverture réseau, si elles font des pieds et des mains pour empêcher l’installation des infrastructures sur place ?

Pour rassurer la population, la législation a évolué ces dernières années pour imposer une diminution de la puissance des antennes-relais, à l’image de la loi Abeille de février 2015. Seulement, pour compenser cette baisse de puissance, il faut nécessairement ériger plus d’antennes, car elles couvrent moins loin et moins bien, notamment en ville et à l’intérieur des bâtiments, du fait d’obstacles naturels.

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Roissard sous la brume

Source : Les SIM's

Une réalité qui semble échapper à plusieurs édiles, au risque d’une dissonance cognitive en se faisant à la fois le relais des complaintes d’administrés qui n’ont pas de réseau et des craintes de celles et ceux qui ne veulent pas voir d’antennes-relais. Et qui ne craignent pas non plus de se faire rabrouer par le juge administratif lorsqu’ils font preuve d’un peu trop de créativité juridique.

Ainsi, comme le rappelle Alexandre Archambault, les opérateurs télécoms n’ont pas besoin de permis de construire pour ériger des antennes au sol. Une simple déclaration préalable suffit. Et dans le cas des communes qui avaient tenté de requalifier en construction bâtie les dalles sur lesquelles prennent fondation les pylônes, la justice les a renvoyées dans les cordes. C’est là aussi un levier inopérant pour les maires.

Les collectivités peuvent éventuellement se servir du code de l’urbanisme pour refuser le projet d’implantation ou lui imposer des prescriptions spéciales, rappelle Géraldine Pyanet, avocate. Mais il y a un « mais » de taille : il faut qu’une raison valable soit avancée, et ne pas être une stratégie visant à interférer avec les obligations de couverture de la population et du territoire.

Un maire ne saurait réglementer l’implantation des antennes relais sur sa commune, sur le fondement de son pouvoir de police générale

Les circonstances dans lesquelles un projet d’implantation peut être refusé incluent les atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique, à l’environnement, au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, sites et paysages, protection des monuments historiques, des sites classés ou inscrits. En somme, le refus doit être accompagné d’une justification circonstanciée, sinon il est illicite. Et ce n’est pas une garantie de victoire.

« Le juge administratif a renvoyé dans leurs 22 mètres les communes qui avaient tendance à retoucher le plan local d’urbanisme afin de faire échec au déploiement des antennes mobiles », commente Alexandre Archambault. Cette stratégie visait à « contourner les précédentes censures qui avaient rappelé que la réglementation sur le sujet des antennes mobiles était une compétence exclusive des autorités de l’État ».

Autre argument neutralisé par les tribunaux : l’aspect extérieur des constructions, qui a pu être brandi pour tenter de contrer l’arrivée d’une antenne-relais, parce que ce sont des structures laides ou qui rompent l’harmonie du paysage. Pour le tribunal administratif de Rennes, ça n’est pas une raison valable, car il s’agit « d’un ouvrage technique nécessaire au fonctionnement des réseaux existants d’utilité publique ».

En résumé, conclut Alexandre Archambault, une collectivité « ne dispose d’aucun moyen pour bloquer le déploiement d’antennes ». Elle peut toujours faire voter une déclaration ou prendre position, mais il ne lui appartient pas de trancher le sujet Quant aux chances de succès devant les tribunaux, elles sont incertaines. Enfin, les opérateurs vont aussi profiter des antennes déjà en place, et les convertir à la 5G.

Quelles obligations pour les opérateurs avec la 5G ?

Dans le cadre du New Deal Mobile, qui vise à accélérer le rythme dans les zones encore trop peu ou pas du tout couvertes en téléphonie mobile, Paris a accepté de renouveler sans surcoût les licences associées aux fréquences 900 MHz, 1 800 MHz et 2,1 GHz, qui servent aujourd’hui à la 4G, en échange d’un effort accru en matière d’aménagement du territoire. C’est ce que déclarait début 2018 Julien Denormandie, alors secrétaire d’État en charge de la cohésion des territoires.

Par ailleurs, sur la 5G, le régulateur des télécoms réclame un effort aux opérateurs à partir de 2022 pour les zones situées hors des principales agglomérations. Cette condition est là pour «  s’assurer que les zones non urbaines bénéficieront de ces déploiements ». Le gouvernement avait demandé que l’aménagement du territoire soit pris en compte. Un quart des objectifs à atteindre doit concerner ces zones.

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Un support pour antennes relais.

Source : Coyotechnical

En matière de rythme de déploiement, le calendrier est le suivant. 3 000 sites en 5G en 2022 pour chaque opérateur, puis 8 000 en 2024 (dont 4 000 en zone peu dense) et 10 500 en 2025 (dont 2 625 en zone peu dense). Des objectifs concernant les axes routiers sont aussi fixés. Et sur le cas des zones blanches, une obligation de partage de réseaux est prévue pour les résorber le plus vite possible.

Si la démarche de l’Assemblée de Corse est symbolique, elle doit toutefois faire prendre conscience aux pouvoirs publics de la défiance qui existe au sein de la population pour certaines technologies — le compteur communicant Linky en est un autre exemple. La demande de moratoire illustre clairement la nécessité de démystifier ces technologies et de discuter de ce à quoi elles pourraient servir.

Pour éviter une guérilla juridique entre communes et opérateurs, les seconds pourraient privilégier d’abord les édiles qui se disent favorables à la 5G. Des échanges avec les autres pourraient aussi survenir et ainsi éviter se retrouver chez le juge administratif. L’enjeu est de taille pour les opérateurs, dont le personnel sur le terrain ou les infrastructures peuvent faire l’objet de menaces ou d’actes de vandalisme.

(mise à jour du sujet avec un format FAQ)

Source : Numerama

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