A travers 100 propositions détaillées dans son rapport final, l’éphémère Commission numérique de l’Assemblée nationale élabore une feuille de route quasi idéale de ce que devrait être la régulation du numérique en France. Sans naïveté sur sa portée effective dans les travaux législatifs.

En février 2014 était annoncée la création d’une Commission spécialisée à l’Assemblée Nationale, « de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique« . Unique en son genre, la commission temporaire n’avait pas d’existence statutaire officielle, et avait pour particularité sa composition de 26 membres, faite à la fois de députés et de personnalités extérieures issues de la société civile.

Pendant près de six mois, la Commission numérique a réalisé des auditions et des réunions en vue de remettre un rapport qui croise le fer trop tard avec le projet de loi sur le renseignement, déjà adopté et promulgué pendant l’été, mais qui veut aussi et surtout s’inscrire dans les pas du projet de loi sur la République numérique présenté le mois dernier par Axelle Lemaire, qui fait actuellement l’objet d’une consultation publique unique en son genre.

En bout de course, la commission présidée par le député Christian Paul (PS) et par l’avocate Christiane Féral-Schuhl a remis jeudi son rapport de 243 pages, riche de 100 propositions qui traversent tous les sujets cruciaux de la régulation du numérique, de la neutralité du net à l’Open Data en passant par la place du juge dans la censure des contenus, la protection des lanceurs d’alertes, l’encadrement de la liberté d’expression, la protection des données personnelles et du libre consentement des internautes à leur « profilage », le régime des « plateformes » dont le statut se situe entre l’hébergeur et l’éditeur (auquel le rapport demande de ne pas toucher), ou encore la définition d’un « droit des communs » ou l’encadrement des services de renseignement.

Sans doute sans surprise, au regard d’une composition qui faisait une large place aux défenseurs des droits et libertés sur internet, le travail rendu ressemble à une copie quasi parfaite, souvent inspiré par le rapport du Conseil d’État sur les droits fondamentaux à l’ère du numérique.

Une somme de propositions progressistes qui vont presque toutes dans le sens d’une meilleure garantie des droits fondamentaux, dont certaines sont déjà reprises par la loi d’Axelle Lemaire, alors que d’autres resteront ignorées. Dès jeudi, le député Christian Paul consentait d’ailleurs une « défaite » à l’heure de remettre le rapport, tandis que le président de l’Assemblée nationale se contentait d’expliquer en substance que le rapport éclairerait les travaux législatifs, sans plus.

Citons pèle-mêle, parmi de nombreuses propositions dignes d’intérêt, quelques unes qui retiennent notre attention :

  • Recommandation n°18 : « réaffirmer la possibilité de recourir au pseudonymat sur internet« , ce qui ne va pas pas aussi loin qu’un rapport de l’ONU qui demande un droit à l’anonymat complet, lequel est plus discutable en raison des risques d’impunité ;
  • Recommandation n°21 : « ne pas réserver les principes protecteurs de la liberté d’expression aux journalistes professionnels« . On voit en effet la tentation de créer des régimes différents selon que ceux qui diffusent des informations sur internet en font leur profession, ou qu’ils sont amateurs. Or comme l’avait rappelé la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les blogueurs amateurs aussi, comme tout internaute, devraient par exemple avoir droit à la protection de leurs sources lorsqu’ils diffusent des informations d’intérêt public ;
  • Recommandation n°25 : « assurer la transparence des suppressions de contenus par les hébergeurs à travers la mise en place d’une base de données des notifications et retraits en format libre et ouvert« . Il s’agit d’un sujet jusque là trop ignoré, qui concerne les « rapports de transparence » très incomplets publiés par les Facebook, Google et consorts, qui ne publient des informations quantitatives que sur la censure exigée par voies officielles (administration ou justice), mais pas sur la censure réalisée par l’éditeur lui-même en fonction de ses contrats, alors-même que les Etats font pression sur les éditeurs pour qu’ils appliquent leurs CGU contre des contenus légaux (ce que nous a confirmé récemment un haut fonctionnaire de la police britannique).
  • Recommandation n°69 : « Interdire le recours à des dispositifs algorithmiques de traitements de données transitant par les réseaux numériques aux fins de détection de « signaux faibles » ou de menaces, quelle que soit la finalité poursuivie« . Une proposition évidemment pensée contres les boîtes noires de la loi Renseignement.
  • Recommandation n°47 : « Inscrire explicitement dans la Constitution le droit au respect de la vie privée et l’exigence de protection des données à caractère personnel afin de réévaluer l’importance accordée à ces libertés fondamentales en droit interne« . Cette proposition est la seule qui est spécifiée comme n’ayant pas fait l’unanimité de la commission. Elle est pourtant devenue essentielle au regard de la décision du Conseil constitutionnel de valider sans broncher la loi sur le renseignement. Comme nous l’avions expliqué, le Conseil constitutionnel n’a pas la possibilité d’appliquer le droit international des droits de l’homme, et a choisi de faire une lecture très restrictive de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen, visiblement insuffisante pour sauvegarder le droit à la vie privée, qui n’y est pas mentionné. Le fait d’inscrire ce droit dans la Constitution obligerait le Conseil à modifier sa jurisprudence et ouvrirait de nouvelles possibilités de QPC pour faire chuter des lois anciennement validées.

 

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