Le rapport du coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme propose que les Etats tirent profit des conditions générales des réseaux sociaux pour obtenir sans procès la censure de contenus qui ne sont pas illégaux aux yeux de la loi, mais qui peuvent contrevenir aux contrats signés par les internautes. Où quand l'Etat et les géants du web se livrent à une valse pour contourner le respect des des droits fondamentaux.

Vendredi, Numerama se faisait l'écho du rapport confidentiel (.pdf) de Gilles de Kerchove, le coordinateur de la lutte anti-terrorisme de l'Union Européenne, qui demandait que la Commission européenne exige l'accès aux clés cryptographiques de tous les services en ligne. Mais il est un autre aspect du rapport passé inaperçu, qui mérite pourtant toute notre attention. Il s'inscrit dans le cadre de la contre-propagande souhaitée par l'UE, avec un renforcement de la censure extra-judiciaire des sites ou contenus réputés faire la propagande terroriste. 

En effet, il est dit — pour la première fois très explicitement — que les Etats ont la possibilité d'aller plus loin dans la censure des contenus que ce que la loi démocratiquement adoptée permet normalement à l'Etat de faire, en tirant profit des conditions générales d'utilisation (CGU) des plateformes. Car celles-ci sont encore plus restrictives que la loi nationale, et permettent par exemple de censurer les contenus "extrémistes" qui ne sont pas illégaux en vertu de la législation, mais qui violent les contrats privés des plateformes.

Gilles de Kerchove propose ainsi de généraliser en Europe le dispositif britannique de la Counter Terrorism Internet Referral Unit (CTIRU) une unité policière de signalement par le public des contenus de nature terroriste ou "d'extrémisme violent". Contrairement à la plateforme PHAROS française qui ne sert officiellement qu'à d'éventuels déclenchements de procédures administratives ou judiciaires à l'encontre des auteurs des contenus signalés, donc qui s'inscrit exclusivement dans le cadre des lois et des garanties des droits fondamentaux, l'unité britannique privilégie la coopération négociée avec les plateformes qui hébergent les contenus. La police contacte ses "partenaires" pour obtenir la suppression des contenus, en dehors de toute procédure contradictoire, et en vertu d'accords implicites dont les contreparties ne sont jamais rendues publiques. 

VIOLER LES DROITS DE L'HOMME PAR RICOCHET

"Les états membres devraient (…) répliquer les relations avec les principales entreprises de médias sociaux pour soumettre les contenus terroristes ou extrémistes qui violent les propres termes et conditions des plateformes (et pas nécessairement la législation nationale)", suggère ainsi le coordinateur pour l'UE de la lutte anti-terrorisme. Son rapport propose de permettre à Europol de signaler elle-même aux acteurs privés les contenus qui ne violent pas la loi, mais qui peuvent contrevenir aux conditions d'utilisation.

"La Commission (européenne) devrait examiner les possibilités juridiques et techniques de supprimer des contenus illégaux et faire des propositions pour une approche commune, dans le respect complet des droits fondamentaux", ajoute de Kerchove, non sans malice. 

Car les droits fondamentaux tels que garantis par des conventions internationales ne visent que les violations commises par les Etats eux-mêmes, pas (ou très/trop rarement) celles commises par leurs ressortissants. Il est donc très pratique pour les états de laisser les plateformes commettre à leur place les violations des droits de l'homme au titre de la liberté contractuelle des entreprises, et de s'en laver les mains. C'est ce qu'il faut avoir en tête lorsque l'on voit Manuel Valls ou Bernard Cazeneuve parler d'obtenir la coopération des plateformes, plutôt que d'édicter de nouvelles lois ou d'entamer des procédures judiciaires.

Or à l'heure où Facebook compte plus de 1,3 milliards d'utilisateurs dans le monde et que les services des géants du web sont de fait souvent incontournables pour être lu ou entendu, est-il encore cohérent que ces plateformes privées ne soient pas soumises aux mêmes standards de respect des droits fondamentaux que les acteurs étatiques ? La question devra être ouverte.


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