Le succès phénoménal du film Le Consentement sur TikTok a permis de doubler son nombre d’entrées au cinéma. Depuis, l’appétit des distributeurs pour le réseau social a été aiguisé. TikTok pourrait bien changer toute l’industrie du cinéma.

Le 26 octobre 2023, la journaliste Mélanie Toubeau, qui écrit sous le nom La Manie du Cinéma, remarque quelque chose de particulier : le film Le Consentement, qui est sorti au cinéma la semaine d’avant, a augmenté son nombre d’entrées de 40 %. C’est absolument inédit. « Je trouvais ça assez fou », raconte-t-elle aujourd’hui à Numerama, « alors j’ai commencé à fouiller, et j’ai vu la trend sur TikTok. » Sur le réseau social, des centaines de vidéos courtes montrant des jeunes allant voir le film accumulent des centaines de milliers de vues. « C’était absolument dingue. »

Le message sur X parlant de la trend TikTok // Source : La Manie du Cine
Le message sur X parlant de la trend TikTok // Source : La ManieduCinema

La journaliste parle de sa découverte sur X (ex-Twitter), et bientôt, une grande partie de la presse s’empare de ce phénomène, plaisantant sur l’incongruité de la situation. Mais alors que le film continue toujours, des semaines plus tard, d’être dopé par la trend et qu’il vient de dépasser les 400 000 entrées, une question se pose : après avoir bouleversé l’industrie de la musique et le monde de l’édition, TikTok va-t-il, à son tour, changer le cinéma pour de bon ?

Une tendance que les distributeurs n’avaient absolument pas prévue

Ce n’est en effet pas la première fois que TikTok change radicalement des secteurs entiers de l’économie. La popularité de l’app a forcé les labels musicaux et les artistes à s’adapter à son algorithme, et les maisons d’édition se battent pour obtenir une place dans « BookTok », le hashtag dédié à la lecture de TikTok. Le cinéma pourrait-il être le prochain secteur à être chamboulé par l’app ? Tout prête à le croire.

Le Consentement n’est d’ailleurs même pas le premier film dont TikTok a bouleversé la trajectoire au cinéma. Mélanie Toubeau, de La Manie du Cinéma, se souvient ainsi que l’année dernière, Simone, le voyage du siècle, a, lui aussi, eu droit à son petit moment de gloire. « Sur Tiktok, les gens reprenaient aussi le son de la bande-annonce du film, ou bien mettaient des citations des livres [de Simone Veil, ndlr]. C’était un film qui avait pas mal stagné au début, et qui a eu une belle envolée, avec un public très jeune grâce à TikTok », assure-t-elle.

Le Consentement // Source : YouTube / AlloCine
Le Consentement // Source : YouTube / AlloCine

À l’époque, aucun média n’avait relevé le lien entre l’app et le très bon score au box-office du film : Simone, le voyage du siècle, a enregistré plus de 2 millions d’entrées. « Je crois que les gens ne s’en sont pas rendu compte à l’époque », explique la journaliste. Pourtant, voir « deux films français d’auteurs », qui abordent des thématiques féministes très fortes, bénéficier d’un tel engouement, « c’est assez incroyable », selon elle. Aujourd’hui, la trend et son impact sur Le Consentement ne passent pas inaperçus.

La tendance serait partie d’une vidéo publiée par le compte Lezappeur, explique Mélanie, spécialisé dans la publication de bandes-annonces de films à venir. Celle du Consentement est ensuite réutilisée comme « son », qui sert de base aux autres vidéos, dans lesquelles on peut voir les tiktokeurs se filmer avant la séance, et après, le regard généralement plein de larmes et l’air choqué. Ces vidéos sont également un moyen de dénoncer des agressions vécues — certains utilisateurs n’hésitant pas à interpeller directement d’autres personnes en commentaire en leur disant qu’elles ont mal agi.

@breakmedia

Pourquoi tout le monde est sous le choc du film #leconsentement ?? Le film parle des relations non consenties qu’aurait eu l’écrivain #gabrielmatzneff avec des jeunes filles.

♬ son original – BREAK⚡️

La trend est unique en son genre, entre revendication et dénonciation, mais elle fait aussi office de conseil de visionnage. De par son style autant que par sa popularité, ces vidéos étonnent, d’autant plus que les équipes du film n’avaient pas imaginé cet emballement. « Honnêtement, nous n’avions pas prévu ce phénomène », a ainsi répondu sur X Marc Missonnier, le producteur du film, au thread de La Manie du Cinéma. « Les ados se sont emparés du film par eux-mêmes. Il faut rester modeste par rapport à ça, c’est impossible à programme ».

La réponse de Marc Missonnier sur X // Source : X / La Manie du Cinéma
La réponse de Marc Missonnier sur X // Source : X / La Manie du Cinéma

La course au buzz sur TikTok

Pourtant, cet improbable succès sur TikTok a attiré les convoitises de tout le milieu du cinéma. Pour Simon Robert, qui travaille en tant que distributeur chez Zinc, « tous les distributeurs ont vu ça. Tout le monde va réfléchir à une manière de faire marcher TikTok », pour tenter de « recréer le buzz », indique-t-il au téléphone à Numerama. « Mais par nature, le buzz, c’est compliqué à reproduire », surtout sur TikTok.

Les codes du réseau social évoluent en permanence et les tendances apparaissent parfois aussi brutalement qu’elles retombent dans l’oubli. « C’est plus compliqué pour nous de faire ça sur le temps long, et de penser des contenus qui vont convaincre les gens d’aller voir nos productions. Nous, ça fait plusieurs années qu’on essaie, mais on n’y arrive pas toujours », regrette-t-il. « C’est peut-être aussi une question d’algorithme », avance-t-il, en faisant référence au fameux outil de recommandation des vidéos de TikTok, dont le fonctionnement reste mystérieux et imprévisible.

Il en veut pour exemple les résultats entièrement inattendus de deux films distribués par son entreprise cette année, et dont les bandes-annonces ont été diffusées sur TikTok. « On avait d’un côté Les Petites Victoires, un film d’auteur qui visait un public de plus de 60 ans, et Super Bourrés, clairement orienté vers les plus jeunes. On pensait qu’il marcherait beaucoup plus sur TikTok. » Pourtant, à sa grande surprise, c’est exactement l’inverse qui se passe. « C’est un extrait des Petites Victoires, dans lequel Michel Blanc joue un sexagénaire qui apprend à lire, qui a fait le buzz ».

« C’est compliqué de trouver les bons éléments, et je crois que beaucoup de distributeurs n’arrivent pas à faire ça », analyse-t-il. Pourtant, il pense aussi que ces obstacles ne vont pas empêcher l’industrie de se plonger dans TikTok, particulièrement les studios. « C’est comme quand on a vu des youtubeurs être embauchés dans des films, dans l’espoir qu’ils fassent venir leur communauté au cinéma ». Même si la technique n’avait pas du tout marché, le distributeur pense que les comédies françaises vont essayer de surfer sur la vague, et changer leur image pour plaire au réseau social, « notamment en faisant venir des stars de TikTok dans les films ».

Pour lui, c’est une certitude : TikTok « va surement impacter la façon de faire les films et les séries. De la même manière qu’on a vu l’impact des chaînes de télévision sur le cinéma, on aura des films un peu formatés pour TikTok ». Mélanie abonde : « Penser un film pour sa diffusion, ça a toujours été fait, et là actuellement, c’est sûr que certains pensent leur film pour les réseaux sociaux. Il y a même déjà un studio qui publie, de lui-même, ses films sur TikTok en faisant de longs extraits. J’ai vu ça il y a un mois ou deux, et j’ai trouvé ça hallucinant ». (En l’occurrence, il s’agit effectivement de Paramount qui avait diffusé Mean Girls sous forme de 23 clips.)

Cette course pour plaire à TikTok va-t-elle engendrer deux genres de cinéma bien à part, avec les blockbusters qui plaisent aux réseaux sociaux d’un côté et les films d’auteur indépendants à petit budget de l’autre ? Au vu du succès sur TikTok du Consentement, de Simone et des Petites Victoires, rien n’est sûr — même si les films restent des succès relatifs en termes d’audience par rapport aux autres blockbusters.

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