Derrière l’affaire Apple vs FBI se cache une bataille de fond entre les États et les multinationales, pour savoir qui est le plus légitime à protéger les droits et à arbitrer entre sécurité et liberté.

L’affaire de l’iPhone 5C du tueur de San Benardino prend un tour éminemment politique, 20 ans tout juste après la Déclaration d’indépendance du cyberespace de John Barlow, qui niait aux États la capacité de mieux définir que les acteurs privés les droits et les devoirs de chacun. Ce qui n’était à l’origine qu’une demande d’assistance technique dans une enquête judiciaire devient un véritable combat idéologique sur la place que doit occuper l’État, et celle que peut occuper une grande entreprise, dans l’arbitrage entre la sécurité et la liberté.

Un peu provocateurs, mais un peu seulement, nous avions expliqué pourquoi Apple a raison de se faire protecteur de la vie privée contre le gouvernement américain, coupable comme d’autres de ne pas toujours respecter les droits fondamentaux (en particulier, s’agissant du numérique, le droit à la vie privée), ou de saper l’autorité des organes chargés de les faire respecter. En quelque sorte, expliquions-nous, les grandes entreprises sont devenues co-responsables avec les États du véritable respect des droits reconnus à chaque homme et à chaque femme.

Or c’est bien cela que le gouvernement américain redoute, comme tous les gouvernements du monde entier. Leur capacité à faire respecter leurs lois est de plus en plus mise en cause et donc, in fine, leur légitimité est ébranlée.

Présenter Apple comme le premier gardien de la vie privée des Américains, c’est non seulement faux, c’est corrosif

C’est ce qu’explique le Département de la Justice américain, dans un nouvel argumentaire remis au tribunal fédéral californien qui tiendra audience le 22 mars prochain, à Riverside. Selon Reuters qui cite le document, le procureur reproche à Apple de se présenter comme « le premier gardien de la vie privée des Américains ».

Pour lui, c’est « non seulement faux, mais aussi corrosif pour les institutions qui sont les mieux à même de préserver notre liberté et nos droits : les tribunaux, le Quatrième Amendement (qui prévoit l’obligation d’obtenir un mandat avant toute perquisition, ndlr), notre jurisprudence constante et nos lois vénérables, et les branches démocratiquement élues du gouvernement ».

John Perry Barlow, co-fondateur de l'Electronic Frontier Foundation, auteur de la Déclaration d'Indépendance du Cyberespace du 9 février 1996.

John Perry Barlow, co-fondateur de l’Electronic Frontier Foundation, auteur de la Déclaration d’Indépendance du Cyberespace du 9 février 1996.

En France aussi, on accuse Apple

Le représentant de l’État fédéral américain va même jusqu’à dire qu’Apple a « délibérément élevé les barrières technologiques » qui empêchent la bonne exécution des mandats de perquisition, comme si c’était là l’objectif, plus que la protection de la vie privée face aux hackers et aux états non démocratiques.

Cette accusation a aussi été entendue en France, lors du débat parlementaire sur la réforme pénale. La discussion avait été particulièrement violente contre les multinationales qui cherchent à assurer la confidentialité réelle et absolue des données que leurs clients stockent sur leurs propres appareils.

Le député socialiste Yann Galut, qui avait proposé un amendement pour condamner Apple et ses homologues, avait dénoncé les « multinationales qui ont la volonté de faire en sorte que des enquêtes judiciaires à travers le monde échouent, parce qu’elles en ont décidé ».

« La France n’est pas un nain juridique face à ces multinationales [qui] pensent que cette menace terroriste n’a pas à être prise en compte dans leur logique commerciale », avait ajouté le député Éric Ciotti (LR).

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