Face aux femmes qui parlent de sexe en ligne, la gêne est ancestrale. Pourtant, on peut critiquer la mysoginie de certains contenus, sans tomber dans le snobisme de pratiques typiquement féminines. C’est le sujet de la newsletter Règle 30 de la semaine.

Il y a quelques semaines, j’ai vu un homme faire l’amour à un lave-vaisselle sur TikTok. Il me regardait langoureusement (ou plutôt, l’objectif de sa caméra) pendant que ses doigts s’agitaient sans ambiguïté dans la poignée de porte de l’appareil. Ce n’était honnêtement pas le truc le plus bizarre que j’ai croisé sur mon fil d’actualité.

Cet article est extrait de la newsletter #Règle30. Elle est envoyée tous les mercredis à 11h. 

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TikTok ou les reels (nom donné aux microvidéos hébergées par Instagram) regorgent de contenus érotiques sans en avoir l’air, mettant en scène des hommes suaves et souvent torse nu. Certains jouent de petites séquences censées émoustiller leur audience, généralement romantiques, parfois dérangeantes (POV : tu tombes amoureuse de ton ravisseur). D’autres s’aident d’une activité tierce, en faisant la cuisine ou, donc, en vidant le lave-vaisselle.

A priori, rien de nouveau sous le soleil. Le terme thirst trap (littéralement « un piège à soif », un contenu conçu pour provoquer la frustration sexuelle) existe au moins depuis 2011, d’après le site KnowYourMeme. De temps en temps, on croise la route d’une photo de femme en bikini likée par l’un·e de nos ami·es, et on détourne poliment le regard. C’est justement la plus grande différence avec les thirst traps de TikTok : tout le monde peut y être confronté, même si on ne fait pas partie de l’audience visée, au gré de la viralité du contenu.

Captures d'écran du compte Instagram de thedonutdaddy, un chef connu pour ses vidéos sensuelles de cuisine.
Captures d’écran du compte Instagram de thedonutdaddy, un chef connu pour ses vidéos sensuelles de cuisine.

L’autre détail important est que l’on voit de plus en plus hommes faire ce genre de vidéos sensuelles, pour un public féminin et hétérosexuel, parfois très jeune. Ils font partie d’un écosystème plus large et hétéroclite de contenus dont le but est de provoquer des émotions fortes à ses spectatrices. J’y range, par exemple, le genre littéraire de la dark romance, dont le succès en ligne a vite attiré les appétits du milieu de l’édition, et aussi les inquiétudes de libraires face à ces histoires violentes et sexistes, consommées majoritairement par des adolescentes.

Dans un autre style, une équipe américaine de hockey s’est récemment retrouvée au centre d’une étrange controverse : d’abord heureuse de l’attention que ses joueurs recevaient de certaines fans sur TikTok, inspirées par le sous-genre de la hockey romance(des fictions romantiques qui se passent dans le milieu du hockey), elle a fait machine arrière quand l’un d’entre eux s’est plaint de harcèlement sexuel.

On revit en boucle les mêmes débats

Le point commun de tous ces phénomènes est qu’ils sont très critiqués. Parfois pour de bonnes raisons ! Évidemment qu’on peut s’inquiéter de l’intérêt d’adolescentes pour des histoires glorifiant des hommes violents, souligner que les thirst traps populaires sur TikTok correspondent à des stéréotypes genrés éculés, réfléchir comment les réseaux sociaux ont changé notre rapport aux célébrités. Pour autant, j’ai aussi l’impression de revivre en boucle les mêmes débats (vous vous rappelez Twilight ou Fifty Shades of Grey ?), sans qu’on aborde l’autre nœud du problème : on est gêné·es parce que des jeunes femmes parlent de cul sur internet. 

Certes, le résultat est souvent chelou et sexiste, à l’image de la société dans laquelle nous évoluons toutes et tous. Pour autant, la frontière est fine entre les remarques constructives et le mépris pour des pratiques qui ne nous sont pas destinées, dont on entend soudainement parler à cause de leur récupération commerciale. Surtout que ces enjeux sont déjà débattus par les premières concernées avec intelligence et nuances, comme l’illustre ce récent article de Numerama sur la communauté BookTok et la romantisation des violences faites aux femmes. Bien sûr que l’homme au lave-vaisselle me hante. Mais, étais-je seulement censée le voir ?

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