Reputation Squad est une agence internationale de communication qui agit auprès de tous les publics, quels que soient leurs lieux de conversation et qui s’est rendue experte dans son travail grâce à l’utilisation des nouvelles technologies (outils de veille, réalité virtuelle, optimisation des datas, etc.). Le pôle Chine de l’agence nous a proposé de partager ses connaissances avec nos lecteurs dans une série de portraits de dirigeantes et dirigeants chinois. Objectif : mieux connaître les entreprises et startups qui cartonnent en Asie et ne tarderont pas à se déployer dans le reste du monde.
Viser le bol de riz en fer
Liu Qiangdong est né en 1974, deux ans avant la fin de la Révolution culturelle, dans la petite ville de Suqian, dans la province du Jiangsu. Ses parents possèdent une société de transport fluvial de charbon qui opère entre le Nord et le Sud de la Chine. Élève brillant, il aurait aimé poursuivre des études de physique chimie, matière dans laquelle il était le meilleur au lycée. Mais ses professeurs l’encouragent à choisir le « bol de riz en fer », ou la stabilité des emplois publics, et ils l’orientent vers les sciences humaines afin de faire de lui un bon et loyal fonctionnaire de l’État chinois.
En septembre 1992, après avoir passé avec succès les concours des universités de la capitale, Liu Qiangdong quitte sa ville natale et arrive à Pékin après 14 heures de train – il en faut aujourd’hui 2h40. Il entame des études au département de sociologie de l’université du Peuple, l’une des meilleures de Chine. C’est dans cette université qu’il constituera ses « guanxi » — son réseau — parmi la future élite chinoise. Trois ans seulement après la répression de Tiananmen, la Chine est isolée sur la scène internationale et l’ambiance est tendue dans les universités pékinoises. Le pays commence à connaître de forts taux de chômage et l’État n’est plus en mesure d’offrir l’emploi à vie. Très vite, Liu Qiangdong applique la devise pragmatique de son université « Shishiqiushi », c’est-à-dire « rechercher la réalité dans les faits ».
Conscient qu’il sera très difficile pour lui de trouver un travail, il décide d’étudier une seconde spécialité, « quelque chose d’énigmatique qui pourra attirer les filles ». Selon lui, les femmes préfèrent les hommes qui réussissent… Il choisit alors la programmation informatique : une passion qui occupera la vaste majorité de son temps libre.
Liu Qiangdong se souvient qu’à l’époque « 70 % des étudiants de l’université étaient issus de familles pauvres, voire très pauvres ». Avant son départ, sa famille s’est cotisée pour lui offrir 500 yuans. Comme la plupart de ses camarades, il fait des petits boulots afin de subvenir à ses besoins et rembourser ses proches. Il vend des livres la journée, colle des enveloppes la nuit, fait de la programmation informatique, vend des ordinateurs…
Il devient très vite l’étudiant le plus riche de sa classe. C’est alors qu’il décide de se « jeter à la mer », une expression chinoise signifiant se lancer dans l’entrepreunariat privé : la formule magique d’une jeunesse chinoise qui rêve alors de richesse et d’indépendance.
Nous sommes en 1994, deux ans après que Deng Xiaoping ait prononcé sa fameuse maxime : « Peu importe si le chat est blanc ou noir du moment qu’il attrape la souris ». Liu lance son « getihu », sa petite entreprise privée. C’est dans la restauration qu’il décide de se faire la main, parce qu’après tout « manger c’est ce que tout le monde est obligé de faire chaque jour ». Il dépense toutes ses économies dans l’achat d’un petit restaurant situé près de l’université, mais au bout d’à peine deux ans, il fait faillite. « J’ai compris petit à petit que le restaurant courait à sa perte par ma faute, car je n’avais établi aucune structure de management, aucun système financier, ni aucune procédure », confie-t-il lors d’une interview à South China Morning Post.
Et ainsi naquit Jingdong
En 1996, son diplôme en poche et déjà bien endetté, Liu Qiangdong intègre Japan Life, une société japonaise dans le secteur de la santé. Il y tiendra le rôle de directeur informatique, directeur commercial puis directeur logistique. Une expérience courte, mais très concrète qui lui servira pour la suite de sa carrière, quand il bâtira son empire de e-commerce. En 1998, Liu a épongé ses dettes. Il décide alors de reprendre les affaires. Il investit dans un local commercial à Zhongguancun, le quartier informatique proche des universités pékinoises qui deviendra l’épicentre de l’innovation. Avec 12 000 yuan, il fonde Jingdong Century Trading, une boutique d’informatique spécialisée dans les produits magnéto-optiques – le concept qui sera la base de l’ancêtre de JD.com.
À l’époque, il vit une passion avec Gong Xiaojing, une camarade de l’Université du peuple qui est devenue son associée. Le nom de la société Jingdong est d’ailleurs composé des deux dernières syllabes de leurs prénoms respectifs. Nostalgique de cette idylle, il fera le choix, même après leur rupture quelques années plus tard, de conserver le nom Jingdong.
Le nouveau business est florissant et en l’espace de 5 ans, Liu Qiangdong devient millionnaire. Il est à la tête d’une chaîne d’une douzaine de magasins situés dans quatre grandes villes du pays. Mais en 2003, surgit la crise sanitaire du SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère, qui frappe la Chine durant plusieurs mois et fait des centaines de morts. Considérée comme la première grande épidémie du XXIe siècle, le SRAS met toute la ville de Pékin en quarantaine durant plusieurs semaines. La crise traumatise les Pékinois qui sont obligés de rester cloîtrés chez eux et d’éviter le contact avec l’extérieur. Impossible de prendre les transports en commun, sans avoir peur d’être contaminé, ou de faire ses achats dans les magasins barricadés.
Cette crise marque profondément la société chinoise et constitue un tournant dans la manière de consommer en Chine. C’est en effet depuis le SRAS que les ventes de voitures individuelles explosent et que le e-commerce se révèle comme mode de consommation. Durant l’épidémie, les ventes des magasins Jingdong Century Trading chutent. C’est alors qu’un des employés de Jingdong a une idée de génie : mettre l’inventaire des produits sur Internet. Liu Qiangdong trouve l’idée excellente, même s’il avoue n’avoir jamais réellement utilisé Internet ! En Chine, le mot crise est composé de deux caractères : risque et opportunité. Liu décide de parier sur cette crise et de capitaliser sur l’explosion d’Internet quitte à prendre de gros risques.
Liu l’intrépide devient un pure player
En 2004, Jingdong commence ainsi officiellement à vendre ses produits en ligne, en mettant l’accent sur la qualité : « Je ne voulais plus de ces claviers ou ces PC bon marché, cassés en moins d’un an. J’ai choisi des grandes marques, j’ai garanti leur authenticité aux clients ». Naît alors 360buy.com, l’ancêtre de Jingdong Mall. En 2005, un choix stratégique s’impose. Liu Qiangdong convoque ses directeurs de magasin et leur demande s’ils sont favorables au maintien des boutiques physiques.
La décision est unanime, toute l’entreprise s’accorde pour se concentrer uniquement sur le e-commerce. Selon Liu Qiangdong, cette stratégie est la principale raison du succès de JD. Dans un premier temps, la transformation du business model fait perdre de l’argent à l’entreprise et les ventes baissent de moitié l’année suivant la fermeture des magasins. Néanmoins, Liu Qiangdong s’obstine : ses expériences ont forgé son caractère et font de lui un homme d’affaires intrépide. Sa ténacité porte ses fruits puisqu’entre 2005 et 2009, la société connaît une croissance moyenne de 300 % par an.
« Nous sommes le Amazon chinois »
Quand on lui demande quel est son modèle, Liu Qiangdong affirme que c’est Amazon, et surtout pas Alibaba, son principal rival. Afin de se différencier de la concurrence et surtout de celle d’Alibaba, le groupe va prendre un tournant stratégique. Tout d’abord, il va investir lourdement dans la logistique avec la construction de gigantesques entrepôts à travers le pays et le déploiement d’un service imbattable de livraison en camions ou en tricycles électriques.
Cela lui permet de maîtriser toute la chaîne jusqu’au client : achat des produits, stockage, vente en ligne et livraison. Ensuite, en 2008, afin de répondre à la demande croissante de consommation de la classe moyenne urbaine chinoise, pour qui acheter en ligne est devenu le principal loisir, le groupe transforme le site de vente d’appareils électroniques en une plateforme de vente en ligne de détail.
Depuis le début de la décennie, Liu Qiangdong cumule les succès. En 2011, il est nommé personnalité économique de l’année en Chine. Le 18 juin 2013, pour le dixième anniversaire de Jingdong, le groupe lance une vente flash, le « 6.18 », sur le modèle du « 11.11 », le jour des célibataires d’Alibaba, qui bat tous les records de vente du groupe. En 2014, un partenariat stratégique est scellé avec Tencent qui devient l’actionnaire principal de JD et lui donne l’exclusivité sur le réseau Wechat et sur QQ. La même année, la société devient la première plateforme de e-commerce chinoise listée au NASDAQ. JD vaut aujourd’hui 30 milliards de dollars en bourse, même si le groupe ne dégage pas encore de profit. Ce partenariat permet à Liu Qiangdong d’entrer dans le classement des 100 Chinois les plus riches, sa fortune personnelle s’élevant à plus de 8 milliards de dollars.
Dans une lettre adressée à ses employés à l’occasion de l’anniversaire de la société le 13 juin dernier, Richard Liu a annoncé que JD jouerait un rôle disruptif dans l’évolution du retail en mettant l’intelligence artificielle et la technologie au service de l’optimisation des flux d’information, matériels et financiers. Le géant du e-commerce souhaite clairement devenir un détaillant « technologique ». Depuis quelques années, JD a lancé d’importants programmes de R&D dans les secteurs structurant son business model. Ainsi, la livraison par drones dans les zones rurales chinoises, déjà effective dans la province du Shanxi, est appelée à se développer rapidement.
D’importants investissements ont été engagés pour améliorer l’expérience client : reconnaissance faciale, big data, réfrigérateurs intelligents, automatisation des gigantesques plateformes logistiques du groupe… Le groupe a également annoncé récemment vouloir se concentrer sur le luxe et la mode haut de gamme pour répondre à la demande accrue de ses clients.
Richard Liu connaît bien Paris. En 2015, il est venu lui-même inaugurer son portail Espace France, dédié à la vente de produits « Made in France » à ses 100 millions de clients. Une porte d’entrée prometteuse pour les produits français en Chine où JD est devenu le premier vendeur de vin avec 10 millions de bouteilles de vin français écoulées en 2015. En juin 2017, le partenariat stratégique à 397 millions de dollars scellé avec le britannique Farfetch donnera naissance à la première plateforme e-commerce de luxe en Chine.
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