À l’Assemblée nationale, des députés profitent du projet de loi contre le dérèglement climatique pour tenter de temporiser sur la 5G.

Moins audibles ces derniers temps, la 5G étant désormais lancée commercialement en France, les appels à suspendre le déploiement de l’ultra haut débit mobile ont repris du poil de la bête. Profitant de l’examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, des députés ont déposé, le 1er mars 2021, une série d’amendements pour cibler la nouvelle génération de téléphonie mobile.

Numérotés 587, 746 et 4539 (mais les deux premiers sont similaires, seuls les signataires changent), ces trois amendements ne disent pas qu’il faut interdire nécessairement et pour toujours la 5G en France. Néanmoins, ils entendent imposer des préalables avant de reprendre son déploiement, tout en concrétisant la proposition de la Convention Citoyenne pour le Climat, qui demandait aussi un moratoire.

Tous les participants et toutes les participantes à cette Convention, qui s'est tenue d'octobre 2019 à juin 2020. // Source : Convention citoyenne pour le climat

Tous les participants et toutes les participantes à cette Convention, qui s'est tenue d'octobre 2019 à juin 2020.

Source : Convention citoyenne pour le climat

Documenter l’impact environnemental de la 5G

Les deux premiers amendements sont signés par des élus non inscrits — dont Delphine Batho, Cédric Villani ou encore Matthieu Orphelin. Ils visent à imposer au gouvernement la rédaction d’un rapport jaugeant l’impact environnemental de l’ultra haut débit mobile, proposant des pistes pour la réduire et fixent des préalables pour les prochaines attributions de fréquences.

En particulier, les députés veulent connaître « les effets notables de ces autorisations d’utilisation de fréquences sur l’empreinte carbone de la France et la consommation d’énergie » et les plans du gouvernement « pour réduire l’impact environnemental de ces autorisations de fréquences ». Ils souhaitent enfin que l’attribution des futures fréquences « respecte les budgets carbone ».

À tout cela s’ajoute une quatrième exigence : la présentation d’une synthèse garantissant que les fréquences utilisées par la 5G « n’interfèrent pas avec les satellites d’exploration de la Terre et les analyses météorologiques » — du moins certaines fréquences. Ce sujet préoccupe Cédric Villani, qui avait interpellé le gouvernement sur ce sujet en 2020, dans une question écrite, mais il n’a reçu aucune réponse.

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Des voix se sont fait entendre pour exprimer leurs craintes sur les effets que pourraient avoir certaines fréquences 5G sur la prévisibilité météorologique. // Source : Dimitris Sagiakos

À l’appui de leur amendement, les députés relaient les estimations du Haut Conseil pour le Climat, qui estime que « l’empreinte carbone du numérique pourrait se voir accrue de 2,7 Mt éqCO2 dans l’évaluation basse à 6,7 Mt éqCO2 dans l’évaluation haute à l’horizon 2030 ». Il n’est pas précisé si cette évaluation inclut aussi des gains sur l’empreinte carbone dans d’autres secteurs, grâce, justement, au numérique.

Les députés ajoutent, toujours en se basant sur le Haut Conseil pour le Climat, que la 5G « devrait conduire à une augmentation de la consommation d’électricité ». L’impact de la 5G en la matière est difficile à jauger : les antennes 5G sont certes conçues pour être moins énergivores, mais une hausse des usages est plausible. En clair, ce qui est gagné ici pourrait être perdu là.

D’autres priorités que la 5G

Le troisième amendement, repéré cette fois par Next Inpact, est défendu par des membres de La France Insoumise. Plusieurs personnalités de gauche ont signé fin 2020 une tribune appelant justement à un moratoire — il y a notamment eu le cas de la ville de Lille, qui a voté un moratoire sur la 5G, sous les applaudissements de Martine Aubry, ce qui a consterné Cédric O, le secrétaire d’État au numérique.

Ici, les députés demandent un moratoire durant au moins un an, le temps de conduire une consultation nationale dans tout le pays, qui déterminera les suites à donner à l’ultra haut débit mobile. Au passage, ils font remarquer qu’il y aurait peut-être d’autres priorités dans le numérique, comme la lutte contre l’illectronisme, qui affecte de 13 millions de Français, ou la fracture numérique, avec des zones blanches ou mal desservies.

Plus globalement, les arguments développés dans l’exposé des motifs reprennent ceux qui ont été avancés dans la tribune publiée l’an dernier, et signée entre autres par Jean-Luc Mélenchon. Ils jugent que les technologies actuelles (4G, Wi-Fi, fibre optique) suffisent et qu’en cas de saturation dans une zone, il suffit d’augmenter les capacités ou d’ajouter des alternatives (de la fibre optique en zone 4G saturée).

Outre les arguments environnementaux, semblables à ceux développés dans les deux autres amendements, les parlementaires s’inquiètent des dérives de fond qui pourraient survenir avec une telle technologie. En creux se pose la question d’une surveillance accrue de la société, un traçage de ses déplacements et de ses activités, avec la multiplication des capteurs en ville, des objets connectés chez soi.

Au passage, les signataires de l’amendement en profitent pour tacler Emmanuel Macron, qui s’était engagé à reprendre la quasi-totalité des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, sauf trois d’entre elles. Or, parmi celles que le président de la République devait s’approprier figurait justement le moratoire sur la 5G. Or en la matière, le chef de l’État a fait savoir que de moratoire, il n’y en aurait aucun.

La survie de ces trois amendements est hautement incertaine, compte tenu de l’absence de soutien du parti au pouvoir, majoritaire à l’Assemblée nationale. L’examen du texte va débuter ce lundi 8 mars au sein de la commission spéciale chargée d’examiner ce projet de loi. Les travaux de cette commission sont prévus pour s’étaler jusqu’au 19 mars, avant de passer le relai en séance plénière.

Source : Numerama

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