Après avoir milité pour la défense des libertés numériques, Elizabeth Stark s’est lancé dans un projet fou qui pourrait changer la donne pour le Bitcoin.

« Nous sommes en train de bitcoiniser le monde avec Lightning ». Voici, résumée en un tweet, l’incroyable promesse d’Elizabeth Stark, la patronne de Lightning Labs. Cette entreprise américaine travaille d’arrache-pied à démocratiser la star des crypto-monnaies, treize ans après la création du Bitcoin. Après une première bêta publiée en 2018, la start-up a présenté il y a quelques mois son nouveau protocole, Taro. Ce dernier doit permettre de transférer des « stable coins », ces cryptos qui reflètent les devises classiques, une innovation très attendue.

Et dernièrement, les nouvelles ont été plutôt bonnes. « C’est l’une des voies technologiques les plus convaincantes du moment », s’enflamme même Michael Saylor, ce patron américain devenu l’un des apôtres de la crypto-monnaie. Ainsi, on peut donner des pourboires en Bitcoin sur Twitter grâce à Strike, une application basée sur le réseau Lightning. Au Salvador, qui a fait en septembre dernier du Bitcoin une monnaie officielle, on peut également consommer grâce aux QR codes de Lightning.

Source : Montage par Nino Barbey pour Numerama
La démocratisation du Bitcoin, objectif d’Elizabeth Stark. // Source : Montage par Nino Barbey pour Numerama

Dépasser les faiblesses du Bitcoin

Pourquoi la start-up d’Elizabeth Stark suscite-t-elle autant d’espoir ? Parce que son réseau, une surcouche à Bitcoin, comble les faiblesses de la crypto-monnaie de Satoshi Nakamoto. Ce qui explique pourquoi ce projet est autant suivi par les maximalistes, ces supporters du bitcoin qui pensent que cette crypto-monnaie a un rôle central. « Le réseau Lightning doit permettre des paiements plus nombreux, plus rapides et moins coûteux », résume l’expert crypto Renaud Lifchitz. Soit trois points critiques où Bitcoin s’est révélé peu efficace.

« Cela permettrait une utilisation au quotidien de cette crypto-monnaie, ajoute Adli Takkal-Bataille, le président de l’association Le Cercle du coin. Mais c’est un très vieux débat. Une partie des maximalistes vous diront que c’est la panacée. Les autres qu’il y a Ethereum et ses surcouches qui sont déjà en train de s’imposer comme le standard ». Autant dire qu’en cas de succès, Elizabeth Stark deviendrait la papesse du Bitcoin. Une prouesse dans cet univers trop masculin où les femmes sont trop peu nombreuses.

Universitaire brillante

Avant d’en arriver là, comme le rappelle le média spécialisé Coin Telegraph, la patronne de Lightning Labs, reconnaissable à sa frange et à ses longs cheveux noirs, a été plutôt atypique. C’est en effet une universitaire brillante, un pur produit de l’Ivy League, ces universités d’excellence de l’Est des États-Unis. Là où de nombreux créateurs de fleurons de la tech ont préféré au contraire laisser tomber leurs études. Elle est ainsi diplômée en relations internationales et de la faculté de droit de Harvard. Et outre des activités d’enseignement, elle écrit dans la revue d’Harvard dédiée aux enjeux juridiques technologiques.

Un parcours mené de pair avec un engagement en faveur d’un Internet plus libre. Dans les années 2000, Elizabeth Stark va en effet s’épanouir dans le militantisme. La jeune femme devient une figure publique sur le sujet des libertés numériques. Elle rejoint le conseil d’administration de l’association Students for free culture. Et sa bio officielle de l’époque mentionne sa collaboration avec l’Electronic Frontier Foundation. C’est l’ONG américaine phare de défense des libertés sur Internet.

La bataille contre Sopa et Pipa

Son engagement va s’incarner à travers la lutte contre deux projets de réforme : le Sopa, pour Stop Online Piracy Act, et Pipa, pour Protect IP Act. Pour contrer ces textes censés lutter contre le téléchargement illégal, les internautes se mobilisent. Par solidarité, de nombreux services en ligne se mettent volontairement en sommeil le 18 janvier 2012. Une démonstration de force, jugera la presse, qui conduit des élus à retirer leur soutien à ces réformes controversées.

Pour convaincre, la jeune femme n’hésite pas à se mettre en scène. Dans l’un de ses articles, elle raconte par exemple comment un mix posté sur son blog a fini par être répertorié par le magazine The Wire dans l’un de ses tops. « J’avais simplement publié quelque chose sur mon blog, et sans aucun effort supplémentaire de ma part des gens du monde entier ont commencé à écouter mon mix », souligne-t-elle cette fan de musique électronique.

Elizabeth Stark participe également à la création de l’Open Video Alliance. Cette association militait pour des vidéos open source et non soumises à des redevances. Un militantisme qui l’a conduit par exemple à faire une conférence à Berlin contre la surveillance et le lobby de la tech. On la voit enfin aux côtés de figures de l’hacktivisme américain, comme Aaron Swartz. Ce célèbre défenseur des libertés numériques, aujourd’hui disparu, avait travaillé sur la technologie RSS ou cofondé le forum Reddit.

Elizabeth Stark se cachant derrière un ordinateur en septembre 2008. Source: Joi Ito / Flickr
Elizabeth Stark se cachant derrière un ordinateur en septembre 2008. Source: Joi Ito / Flickr

Pivot naturel

Alors, est-ce surprenant que la militante pour les libertés numériques se soit reconvertie dans les crypto-monnaies ? Eh bien non, car la filiation est plutôt claire. Certes, la communauté crypto a des côtés d’appeau à spéculateurs. Mais ce sont bien les cypherpunks, ces militants prônant plus de vie privée sur Internet, qui sont considérés comme les parrains conceptuels de Bitcoin.

Pour Elizabeth Stark, ce pivot vers le Bitcoin va se dérouler en plusieurs étapes. Elle intègre d’abord StarX, un programme d’incubation à l’entrepreneuriat de Stanford, cette université au cœur de la Silicon Valley. La future patronne de Lightning Labs s’intéresse alors aux questions de la formation, par exemple.

Mais avec Elizabeth Stark, le militantisme n’est jamais loin. On la retrouve derrière cette tribune publiée en juillet 2014 sur TechCrunch, appelant la ville de New-York à s’ouvrir au Bitcoin. Mais à l’époque, l’entrepreneuse a déjà une idée en tête. « Le protocole Bitcoin a un énorme potentiel », indique-t-elle dans un tweet de février 2014.

Et de brosser la métaphore du TCP et de l’HTTP. Le premier est le protocole de transport des données, le second le protocole de communication développé pour le web. Elle suggère ainsi déjà qu’il faut compléter Bitcoin avec une nouvelle couche. Ce sera donc Lightning Labs, créée deux ans plus tard avec Olaoluwa Osuntokun. Cet expert en informatique originaire du Nigeria vient de chez Google.

Financée à hauteur de 80 millions de dollars par les investisseurs, la start-up est désormais soutenue par l’application de trading Robinhood et par Jack Dorsey. Le fondateur de Twitter est connu pour sa ferveur pour Bitcoin. Mais ne croyez pas qu’Elizabeth Stark a pris la grosse tête. « Des bitcoins pour des milliards [de personnes], pas pour des milliardaires », martèle-t-elle toujours.

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