Une extinction de masse, jamais documentée de cette façon jusqu’alors, a décimé de nombreuses espèces il y a 30 millions d’années.

Il y a eu cinq extinctions de masse confirmées dans l’histoire de notre planète. Une sixième extinction, causée par les activités humaines, est en cours. D’autres événements de ce type ont-ils pu avoir lieu sans que nous les ayons encore pleinement recensés ? C’est la trouvaille publiée dans Communications Biology le 7 octobre 2021 : il semblerait que la transition entre les périodes géologiques de l’Éocène et de l’Oligocène ait été marquée par une extinction, il y a 30 millions d’années.

Un grand changement climatique, déjà documenté, a eu lieu à cette époque. La planète s’est alors refroidie, et il s’est passé l’inverse du phénomène actuel : le dioxyde de carbone s’est raréfié, le niveau de la mer a baissé, et les calottes glaciaires se sont étendues. Il y a eu d’autres métamorphoses, comme une transformation des forêts en de vastes prairies. On savait déjà que ce changement climatique avait provoqué l’extinction de nombreuses espèces en Europe et en Asie, mais sans que cela soit défini comme une grande extinction de masse, car un débat perdurait : les mammifères africains auraient largement survécu en raison de la proximité avec l’équateur, amoindrissant les dégâts climatiques.

Mais les preuves nouvellement mises en cohérence contredisent cette théorie : l’Afrique de l’Est n’a pas été épargnée, loin de là. « C’est très clair qu’il y a un énorme événement d’extinction, puis une période de résilience », commente le coauteur de l’étude, Steven Heritage, sur le site de l’université Duke.

« De nouvelles opportunités écologiques »

Pour parvenir à cette conclusion, l’équipe de recherche a rassemblé une immense collection de fossiles — des centaines, récoltés sur plusieurs sites africains au fil de plusieurs décennies. Ils correspondent à plusieurs groupes de mammifères : les hyaenodontes (des carnivores), deux groupes de rongeurs que sont des anomalures (écureuils à queue en écaille) et les hystricognathes (où l’on trouve les porcs-épics et les rats taupiers nus), et enfin deux groupes de primates, les strepsirrhiniens (qui comprennent les lémuriens) et les anthropoïdes dont font partie les singes et les grands singes.

Quelques-uns des fossiles rassemblés et étudiés par cette équipe de recherche. // Source : Matt Borths

Quelques-uns des fossiles rassemblés et étudiés par cette équipe de recherche.

Source : Matt Borths

Cette recension a permis de reconstituer un arbre généalogique de l’époque : à quel moment apparaît, prospère et disparaît chaque espèce. Cela permet certes de référencer les pertes ou accroissements de population, mais met aussi en lumière des évolutions plus complexes : lorsqu’une espèce se diversifie en remplissant l’espace laissé dans l’écosystème par une ou plusieurs espèces disparues.

Les pertes dans les cinq groupes de mammifères sont colossales. « C’est comme si l’on avait vraiment appuyé sur le bouton reset », commente l’un des auteurs, Dorien de Vries, sur le site de l’université.

Pendant la période de l’extinction, la diversité génétique a chuté, avant de réaugmenter après une pause d’un million d’années. Cela s’observe par exemple à travers la dentition : « Nous observons une grande perte dans la diversité des dents, puis ensuite une période de récupération avec de nouvelles formes dentaires et de nouvelles adaptations. »

Pendant la transition Éocène-Oligocène, c’est-à-dire pendant l’extinction de masse, le type de dentitions était extrêmement restreint — pour nos ancêtres, c’est simple, il ne perdurait plus qu’une seule forme de dents. C’est un symptôme d’une perte massive dans le nombre et la variété des espèces aptes à survivre à cette époque, dont beaucoup se sont tout bonnement éteintes. Par la suite, après l’extinction, les lignées qui ont réussi à survivre ont pu à nouveau se diversifier. À ce stade suivant, de nouvelles espèces sont apparues, légèrement différentes ou très différentes, présentant de nouvelles adaptations au sein d’un écosystème différent.

« Une extinction est intéressante sur ce point », relève Matt Borths, l’un des auteurs. « Cela tue, mais cela ouvre aussi de nouvelles opportunités écologiques pour les lignées qui survivent dans ce nouveau monde. »

Le défi des extinctions

Si vous avez l’impression de passer une mauvaise journée, dites-vous que cela n’est rien par rapport aux défis auxquels ont fait face les espèces de l’époque. Car il n’y avait pas qu’un changement climatique faisant chuter drastiquement les températures : l’Afrique de l’Est connaissait en même temps de super éruptions volcaniques, des inondations de basalte qui ont recouvert de vastes étendues avec de la roche en fusion, sans compter quelques surprises géologiques comme la séparation entre la péninsule arabique et l’Afrique, ce qui a créé la mer Rouge et le golfe d’Aden.

Malgré tout, plusieurs espèces ont survécu à cette extinction de masse en persistant en dépit de ce climat changeant et de cet écosystème en grande partie hostile.

Pour les auteurs, ce goulot d’étranglement pour les mammifères terriens raconte aussi une « intéressante histoire » sur « notre propre histoire évolutive précoce » : « Nous avons bien failli ne jamais exister, si nos ancêtres singes s’étaient éteints il y a 30 millions d’années. Heureusement, ce ne fut pas le cas. » Et comme souvent, apprendre du passé permet de mieux comprendre le présent et l’avenir : ce type de découvertes s’avère utile pour les modélisations liées au changement climatique actuel qui, lui, est causé par les activités humaines.

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