Peu après sa sortie, en 2014, l’ouvrage de la journaliste Elisabeth Kolbert faisait un carton mondial et remportait le Prix Pultizer. La Sixième Extinction : comment l’Homme détruit la vie est une enquête sur la nouvelle — et donc sixième — disparition de masse des espèces peuplant la Terre… mais cette fois-ci, à cause des activités humaines. Depuis, cette notion est tantôt contestée, tantôt soutenue, selon les scientifiques. Dans un article paru en novembre 2019 dans The Conversation, des chercheurs essaient de résoudre cette question en comparant les taux de disparition à travers le temps.
Les deux auteurs, Frédérik Saltré et Corey J. A. Bradshaw, professeurs en écologie, commencent par rappeler que l’on comptabilise jusqu’à maintenant cinq extinctions de masse qui remplissent tous les critères pour être définies comme telles. On intègre effectivement dans cette catégorie une perte de 75 % de la biodiversité au fil d’une courte période géologique — soit moins 2,8 millions d’années. La première d’entre elles, l’extinction de l’Ordovicien, est survenue il y a 440 millions d’années et 85 % des espèces ont alors disparu. L’extinction la plus massive est celle du Permien, il y a 250 millions d’années : 95 % des espèces ont disparu. La dernière en date est quant à elle survenue il y a 145 millions d’années.
Ces cinq extinctions étaient dues à des catastrophes naturelles — parfois plusieurs d’affilée. La grande différence, dans l’extinction que nous serions en train de vivre aujourd’hui, c’est que les causes proviennent surtout de l’humanité : « la destruction et la fragmentation des habitats, l’exploitation directe comme la pêche et la chasse, la pollution chimique, les espèces invasives et le réchauffement climatique causé par les humains », relèvent les auteurs de l’article.
1,2 espèce(s) disparaissent par tranche de deux ans
Le fait que des espèces sont en train de s’éteindre n’est pas contestable en soi, le débat scientifique est plus précis : est-ce véritablement la sixième extinction de masse ? Les deux chercheurs expliquent que la réponse est à trouver au niveau statistique. Entre chaque grande extinction de masse, il y a toujours eu des extinctions. Ces dernières adviennent à un rythme léger, c’est-à-dire un « taux normal » ou « taux de base ».
Ce taux normal est calculé sur le nombre d’espèces ayant disparu entre chacune des cinq grandes extinctions, avant l’apparition de l’être humain. D’après les études de fossiles, le chiffre globalement admis est environ une espèce en voie d’extinction par million d’espèces pour un million d’années (d’un point de vue mathématique, ce taux statistique signifie que s’il y avait cent millions d’espèces sur Terre, il en disparaitrait une chaque année ; inversement s’il n’y avait qu’une seule espèce sur Terre, elle disparaitrait en 100 millions d’années). Comme les deux auteurs de l’article le précisent, ce taux n’est qu’une simple estimation, une moyenne comprise entre 0,1 et 2,0 extinction(s) d’espèces par million d’espèces pour un million d’années.
La perte rapide de biodiversité est typique d’une extinction massive
Pour déterminer si nous vivons actuellement une sixième extinction de masse, il faut donc, selon les chercheurs, comparer statistiquement ce taux normal au taux actuel… Et il s’avère que ce dernier est 10 à 10 000 fois plus élevé que le taux de base calculé dans le passé. Si l’on se base sur le taux normal, il aurait normalement fallu entre 800 et 10 000 ans pour que disparaissent les espèces qui se sont éteintes récemment en un seul siècle.
Depuis l’an 1 500, 322 espèces ont disparu [d’après une étude parue en 2014 dans Science sur la « défaunation de l’Anthropocène »], ce qui signifie que 1,2 espèce(s) disparaît par tranche de deux ans. On est largement au-dessus d’une espèce disparaissant par million d’espèces pour un million d’années. Le taux normal est statistiquement dépassé. Les chercheurs rappellent que les déclins progressifs de nombreuses espèces, pas encore disparues, mais dont l’habitat et la population se réduisent, sont aussi à prendre fortement en compte, car « l’extinction est toujours précédée d’une diminution de l’abondance de la population et d’une diminution de sa répartition ». Une extinction peut effectivement avoir lieu sur plusieurs centaines, milliers, voire millions d’années, les signes d’une progression sont alors tout aussi importants.
Les deux auteurs de l’article concluent en affirmant que « même les estimations les plus prudentes révèlent une perte exceptionnellement rapide de la biodiversité typique d’une extinction massive ». On serait bel et bien dans les débuts de la sixième extinction de masse, conformément aux critères et aux taux comparés. Ils confirment la sonnette d’alarme tirée par la majorité de la communauté scientifique sur la nécessité de sauvegarde de la biodiversité mondiale, quand 36 % des espèces marines auraient déjà décliné entre 1970 et 2012 selon WFF.
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