Que vaut l’application CovidAnosmie, qui vise à rééduquer l’odorat chez celles et ceux qui l’ont perdu en attrapant le Covid ? Gadget, ou véritable outil de récupération ?

Selon une étude clinique européenne, près de 90 % des personnes touchées par un covid bénin à modéré présentent une altération du goût ou de l’odorat. Parmi elles, environ 10 % va expérimenter une anosmie totale ou partielle durable ( > 1 mois). Souvent jugée bénigne, cette affection est souvent très handicapante et peut engendrer une dénutrition (25 % des patients et patientes) et/ou une dépression (30 % des patients et patientes). Compte tenu de l’impact du Covid sur la population française (plus de 5 700 00 de cas confirmés depuis le début de l’épidémie), le nombre actuel de personnes souffrant d’anosmie post infection est potentiellement très important.

Si la question de l’anosmie post-virale a été portée à la connaissance du plus grand nombre avec l’épidémie du Covid, elle survient parfois dans le cadre d’autres pathologies respiratoires comme la grippe. Dans ce cadre, des protocoles de rééducation basés sur des stimulations cognitives olfactives ont déjà fait preuve de leur efficacité et ont été assez rapidement proposés aux malades du covid par les ORL les plus sensibilisés au sujet. « Nous savions que ce type de protocole fonctionnait sur l’anosmie post-virale », nous explique le Pr Fabrice Denis, praticien à l’Institut interrégional de cancérologie Jean Bernard au Mans, « restait à savoir si cela marchait pour l’anomie post-covid en vie réelle. »

C’est la question à laquelle il a tenté de répondre, avec son équipe, en conjuguant le lancement de l’application web « CovidAnosmie » avec une étude portant sur 548 utilisateurs et utilisatrices, et publiée dans la revue scientifique Journal of Medical Internet Research le 27 mai 2021.

Une rééducation cognitive olfactive en ligne

Les concepteurs de l’application décrivent son mode de fonctionnement : « Le programme de rééducation olfactive consiste à combiner l’utilisation, deux fois par jour, d’huiles aromatiques à haute concentration et un module de stimulations visuelles. L’application indique quotidiennement au patient l’ordre dans lequel il doit utiliser ces huiles, comment il doit procéder, et plusieurs fois par semaine, l’invite à renseigner un questionnaire permettant la mesure et le suivi individuel des progrès. »

Concrètement, il s’agit pour le patient ou la patiente, après avoir effectué une visite de contrôle chez son médecin, d’effectuer des exercices d’identification d’odeurs d’huiles essentielles constituant un spectre large d’odeurs générales (rose, citron, eucalyptus et clou de girofle). Ces exercices sont conjugués avec l’exposition à une photo représentant la plante ou le fruit qu’il ou elle pense identifier.

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L’entrainement doit être réalisé deux fois par jour en ligne jusqu’à récupération de l’odorat, et jusqu’à 16 semaines, délai au delà duquel il est conseillé de consulter un ou une spécialiste. Lorsque la ou le patient oublie de faire ses exercices, il est rappelé à l’ordre par un mail. Il peut, en outre, suivre son évolution et ses progrès dans son espace personnel.

Le Pr Fabrice Denis expose le principe clinique de ce protocole : « Les neurones du bulbe olfactifs — qui ont été affectés par le Covid — ont la capacité de se régénérer. L’hyperstimulation provoquée par une rééducation très régulière permet de créer de nouveaux réseaux de neurones, qui permettent in fine de ressentir à nouveau les odeurs. »

Les résultats de l’étude sont positifs. Sur les 548 patients présentant une anosmie longue et évaluable dans le cadre de l’étude clinique sur l’efficacité avec 28 jours de rééducation en moyenne :

  • 73 % de patientes et patients rapportent une amélioration significative de leur trouble avec 28 jours de rééducation ou plus.
  • 78 % au-delà de 75 jours de rééducation.
  • 67 % des patientes et patients présentant une anosmie de plus de 6 mois observent une amélioration.

Les limites : pas de groupes contrôles

Le Pr Fabrice Denis explique : « Quelle que soit l’ancienneté de l’anosmie, les patients voient leur condition s’améliorer et cette amélioration se fait de manière progressive, linéaire et sans période de stagnation. »

Cet aspect est important, car comme le remarque Charlotte Jacquemot, Dre en neuropsychologie interventionnelle et membre du collectif Adios Corona à qui nous avons fait lire l’étude : « Cette étude est intéressante, mais elle est méthodologiquement un peu légère, car il n’y a pas de groupes contrôles. Il aurait fallu tester l’évolution de l’anosmie chez des patients sans aucune rééducation, chez des patients avec une rééducation sans l’application et chez des patients avec un rééducation via CovidAnosmie. »

À cette objection, le Pr Fabrice Denis oppose que cela n’aurait pas été éthique de laisser des patients en souffrance sans rééducation et qu’une étude randomisée est actuellement en cours aux États-Unis sur le même sujet.

Booster la motivation

Reste que la chercheuse en neuropsychologie interventionnelle, qui connait bien les mécanismes d’adhésion aux protocoles de rééducation reconnait l’intérêt de CovidAnosmie pour maintenir la motivation des patients et patientes : « On pourrait bien évidemment faire cette rééducation en solo avec un papier et un crayon. Mais l’application permet de recueillir les données des patients de manière à effectuer un suivi, de leur montrer leur progression et de les motiver. Comme dans toutes les rééducations, cet aspect motivationnel est une clé de voûte de la récupération. »

Un autre aspect intéressant des recherches liées à CovidAnosmie, et qui sera publié prochainement dans un autre article, est l’évaluation des effets indésirables. En effet, l’usage d’huiles essentielles n’est jamais neutre. Le Pr Fabrice Denis expose :  « Il n’y a eu aucun effet secondaire de la rééducation chez 70 % des patients, des effets légers chez 25 %, modérés chez 4,5 % et des effets nécessitant l’arrêt chez seulement 0,5%. »

Alors, verdict ? L’utilisation de CovidAnosmie est vraisemblablement très efficace chez les patients et les patientes souffrant d’une anosmie de plus d’un mois. La dimension ludique et le suivi régulier permettent de maintenir la motivation. « Un ORL ne proposera pas beaucoup mieux  — et de toute façon, ils sont surchargés en ce moment » ajoute Charlotte Jacquemot. Un seul bémol : le prix. Si l’application en elle-même est gratuite, le set d’huiles essentielles et de flacons à commander coute 39 euros, évidemment non pris en charge.

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