Mars aurait pu être réchauffée par des nuages de glace dans son passé. Une théorie abandonnée il y a quelques années, mais remise au goût du jour grâce à de nouvelles données.

Les images qu’il nous envoie ont beau être en couleur et en HD, Perseverance ne contemple rien d’autre qu’un désert aride à la surface de Mars. Pourtant, le rover de la Nasa a bien atterri au milieu d’un ancien lac et observe les vestiges de fleuves et de rivières. Alors pourquoi cette planète si froide a-t-elle un jour pu accueillir tant d’eau à sa surface ?

Pour des scientifiques de l’Université de Chicago, spécialisés en sciences du climat, cela aurait été rendu possible par la présence de nuages, ont-ils expliqué dans la revue PNAS le 4 mai 2021. Des nuages de glace formés par des particules de 10 microns à très haute altitude qui, par effet de serre, réchaufferaient la surface de la planète. « Nous avons conçu un modèle, raconte l’auteur principal de l’étude Edwin Kite à Numerama, dans lequel la présence de nuages d’altitude est possible, et cohérente avec l’existence d’un climat chaud, aride et stable. »

Représentation de Mars couverte d'eau. // Source : Flickr/CC/Kevin Gill, image recadrée

Représentation de Mars couverte d'eau.

Source : Flickr/CC/Kevin Gill, image recadrée

L’idée n’a rien de nouveau : déjà en 2013 la piste de nuages pour augmenter la température de la planète rouge avec seulement un tiers de la quantité d’ensoleillement présente sur Terre avait été envisagée. Mais cela avait été mis rapidement de côté, car des modèles avaient montré que pour réchauffer suffisamment la planète, il faudrait des nuages qui resteraient très longtemps dans le ciel, beaucoup plus que ce qui est observé sur Terre.

« Des études ultérieures ont considéré cette théorie comme étant physiquement déraisonnable, détaille Edwin Kite. Parmi les plus optimistes pour défendre l’hypothèse des nuages, les chercheurs s’accordaient sur le fait qu’ils n’apporteraient un réchauffement qui ne durerait que quelques années. Bien trop bref pour justifier les structures géologiques présentes aujourd’hui sur Mars qui témoignent d’une longue période plus chaude. »

D’autres pistes avaient alors évoqué un astéroïde géant qui aurait frappé Mars et ainsi relâché suffisamment d’énergie pour provoquer un réchauffement global. Là aussi, l’idée fut mise au placard, car cela n’aurait duré qu’un an tout au plus, alors que les traces visibles encore aujourd’hui montrent bel et bien des rivières et des lacs qui auraient persisté au moins plusieurs centaines d’années.

Des nuages « lents » qui réchauffent le sol

Pourquoi cette idée de nuages de glace revient-elle sur la table ? Edwin Kite a créé un modèle 3D représentant l’atmosphère martienne et lui et son équipe ont fait une découverte intéressante. Dans le cas où des couches de glace dispersées partout sur la planète auraient été présentes à la surface, cela favorise l’apparition de nuages d’altitude. Au contraire, si la planète avait été entièrement recouverte d’une couche de glace, des nuages plus bas seraient apparus, ce qui aurait eu l’effet inverse, à savoir un refroidissement de la planète, car les rayons du soleil auraient été réfléchis.

Ici, le sol martien favorise l’apparition de nuages utiles pour apporter de la chaleur. C’est un premier bon point, mais il reste le problème de la « durée de vie » de ces nuages.

Edwin Kite apporte une solution : le cycle de l’eau. Sur Terre, une goutte d’eau dans l’atmosphère va y rester une bonne semaine avant de tomber sur Terre sous forme de pluie. Elle va alors être soit évaporée à nouveau et remonter, soit tomber dans un lac ou une rivière où elle restera trois semaines tout au plus avant de recommencer son cycle. Ce mouvement rapide est dû à l’importante quantité d’eau présente sur notre planète. Sur un monde recouvert aux trois quarts par des mers et des océans, les échanges entre la surface et l’atmosphère sont extrêmement rapides.

Or, même à l’époque où Mars aurait pu être habitable et où des lacs et des rivières auraient jalonné sa surface, la planète restait un lieu bien plus sec que la Terre. Les échanges étaient alors beaucoup plus lents, ce qui a une conséquence concrète : quand un nuage se forme, il reste là. Un nuage peut ainsi dériver pendant toute une année avant que les molécules de H2O qui le composent ne finissent par retomber. Dans ces conditions mises en lumière par le nouveau modèle atmosphérique élaboré par Edwin Kite et son équipe, Mars peut bel et bien gagner de la chaleur, par effet de serre, même avec un ensoleillement bien plus faible que celui de la Terre. « Pour résumer, nos résultats réconcilient les précédentes études en montrant qu’un réchauffement par effet de serre peut avoir lieu sur une surface parsemée d’eau çà et là. Mais pas sur une surface totalement recouverte d’eau. »

« C’est une découverte dépendante de son modèle »

La théorie ne convainc pas tout le monde, à commencer par François Forget. L’astrophysicien français, directeur de recherche au CNRS, avait déjà étudié la piste de nuages de CO2 qui auraient le même effet. Il raconte à Numerama : « Nous avions laissé tomber cette idée parce que les conditions pour que cela mène à un réchauffement de Mars sont trop irréalistes. Et ici, c’est le même problème : c’est une découverte dépendante de son modèle. »

Pour faire simple, le fait que des nuages réchauffent Mars dépend de deux choses dépeintes dans l’étude : il faut qu’ils soient constitués de particules de 10 microns, et que l’eau soit répartie un peu partout à la surface de Mars. Ce qui ne correspond pas forcément aux observations pour le scientifique français : « Dans nos modèles plus fins, on réalise que l’eau se concentre sur les hauts plateaux, sur les pôles, elle n’est pas répartie sur toute la planète. Donc Mars devrait rester sèche même si les particules des nuages restaient à la bonne taille, ce qui, là aussi, est assez irréaliste. »

Ces limites ne veulent pas dire que l’étude est dénuée d’intérêt : « Ce qui est intéressant, souligne François Forget, c’est que selon leur théorie il peut exister des conditions dans lesquelles Mars est habitable, même dans un contexte où à première vue elle serait bien en dehors de sa zone d’habitabilité. Donc c’est une piste à explorer. Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre pour résoudre cette énigme. Et Perseverance enquête là-dessus actuellement ! »

En effet, le rover est aujourd’hui le détective le plus à même de trouver la solution. Ses instruments peuvent reconstituer l’histoire géologique des roches, ce qui signifie qu’il peut savoir comment était la pression atmosphérique lors de leur constitution, mais aussi combien de temps elles ont connu un climat chaud. C’est en tout cas ce qu’espère Edwin Kite : « Notre modèle autorise l’existence de lacs même à des pressions atmosphériques très fortes ou très faibles. Ainsi que des intervalles de chaleur plus longs. Si le rover arrive à identifier ces caractéristiques, cela pourrait être un bon point pour notre théorie. »

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