Une constellation de satellites en orbite autour de la Terre, et qui va former un gigantesque ordinateur dans l’espace. C’est l’objectif de la Chine qui a entamé ce projet ambitieux. Mais l’Europe, de son côté, n’est pas en reste.

Quand on pense à un centre de données, ou data center en anglais, on imagine d’ordinaire une salle pleine de rangées d’ordinateurs, au sein d’un grand bâtiment, avec la ventilation qui tourne à fond. Eh bien à l’avenir, tout cela pourrait être délocalisé… dans l’espace.

C’est en tout cas le projet de la Chine qui a lancé le 14 mai dernier les premiers satellites d’une future constellation censée devenir à terme le premier data center spatial. Le projet final consisterait à pouvoir envoyer dans l’espace de grandes quantités de données qui seraient triées, traitées et stockées sans être dépendantes de la Terre.

Voilà pour la théorie. Mais, pour l’instant, il vaut mieux ne pas s’emballer trop vite, car il s’agit uniquement d’une douzaine de satellites conçus par une start-up chinoise, ADA Space. Avec leur allure de micro-ondes, ils ne payent pas de mine. Cependant, ils seraient capables de traiter des données directement dans l’espace sans être reliés à un segment au sol.

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Des satellites prêts à être lancés. // Source : ADA Space

L’entreprise ajoute que ces appareils pourraient envoyer des données à une vitesse de 100 gigabits par seconde, de manière à pouvoir faire circuler de gros volumes d’informations. En outre, ils auraient une composante dopée à l’intelligence artificielle. Supposément en tout cas, puisque l’entreprise n’a pas fourni plus de détails sur ces caractéristiques.

Toujours est-il qu’à terme, le projet de la Chine est de disposer de 2 800 satellites afin de construire une véritable constellation capable de stocker une grosse quantité de données, et ainsi de s’affranchir de centres de données au sol. Ce qui serait une avancée significative.

Un projet d’infrastructure européen

Un progrès notable, mais qui n’est pas isolé. En effet, la Chine n’est pas la seule à chercher à délocaliser toute cette puissance de calcul. Entre 2023 et 2024, la Commission européenne avait lancé une étude de faisabilité baptisée Ascend. Le principe : rassembler une douzaine d’entreprises européennes au sein d’un consortium et évaluer la faisabilité d’un tel programme, mais aussi sa viabilité économique, et sa pertinence écologique.

Pendant près d’un an et demi, les entreprises ont donc planché sur cette question. Parmi elles, le cabinet de conseil de Jean-Marc Jancovici, Carbone 4, spécialisé dans les bilans énergétiques, mais aussi l’entreprise polonaise CloudFerro, ou encore quelques groupes français comme ArianeGroup ou Thalès Alenia Space. Ensemble, ils ont conçu un prototype de projet.

« Nous avons pensé à de grandes infrastructures spatiales, détaille Damien Dumestier, responsable d’Ascend pour Thalès Alenia Space. Il s’agissait de structures en forme de I d’environ 200 mètres sur 80 et constituées de plusieurs satellites formés de panneaux solaires. L’idée est d’avoir quelque chose d’environ deux fois plus grand que la Station spatiale internationale, mais plus de 10 fois plus léger. »

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Vue d’artiste de la structure imaginée par l’équipe d’Ascend. // Source : Ascend

Le projet consistait à emboîter ensemble des satellites qui seraient lancés simultanément. Tout serait déployé en orbite, un peu comme un ruban qui se déplie. Chaque structure aurait une puissance de calcul d’au moins 200 pétaflops.

Pour saisir cette mesure qui définit la puissance de calcul d’un processeur, sachez qu’un pétaflop équivaut à 1 000 téraflops. Une machine comme la PS5 Pro, par exemple, atteint les 16 téraflops. Au seuil pétaflopique, il est possible d’effectuer en une seconde un million de milliards d’opérations.

Cela dit, l’ambition serait d’en avoir environ 1 300 semblables, afin de pouvoir obtenir une capacité suffisante pour supplanter les data centers au sol.

Plus simple, plus performant, plus « vert »

« C’est un projet extrêmement futuriste, reconnaît Damien Dumestier. Mais les avantages seraient extrêmement intéressants si nous y parvenons. »

En effet, s’il y a autant d’attentes autour de cette technologie, c’est parce que les centres de données terrestres posent divers challenges et que basculer sur une solution alternative pourrait présenter certains avantages.

Tout d’abord, un centre de données consomme beaucoup d’énergie qu’il faut acheminer jusqu’à lui. Or, dans l’espace, il suffit d’avoir des panneaux solaires en permanence orientés de manière à recevoir l’énergie nécessaire, et de la transmettre à l’ordinateur.

Le projet d’Ascend estime qu’une structure à environ 1 400 km d’altitude pourrait bénéficier de l’ensoleillement sans aucune gêne. Suffisant pour fournir toute l’énergie nécessaire au fonctionnement du processeur, d’autant plus que la batterie sera juste à côté des composants, ce qui limitera la déperdition d’énergie. De plus, l’évacuation de la chaleur serait bien plus facile que sur Terre, puisque l’environnement spatial est naturellement froid. Pas besoin de système de ventilation complexe et coûteux comme sur la Terre. La communication serait également plus simple car des échanges par faisceaux lasers remplaceraient les câbles sous-marins régulièrement coupés ou endommagés. Pas besoin d’infrastructure prarticulière au sol, la liaison se fera directement avec les clients.

Mais pour fonctionner, le data center spatial doit surtout fournir l’équivalent en performance de ce qu’il y a sur Terre, et c’est là que les choses se compliquent. L’infrastructure entamée par la Chine semble très ambitieuse, mais à terme, elle ne serait pas si performante.

ADA Space n’a pas communiqué sur la consommation en watts de ses engins. Cela correspondrait, selon Damien Dumestier, à environ 350 watts. « Il leur faudrait environ 3 millions de satellites pour atteindre une production d’un gigawatt. Avec notre projet, une seule de nos structures pourrait représenter environ 2 000 de leurs engins. Et nous atteindrions 1 gigawatt avec 1 300 constructions ». Cependant, ADA Space n’a pas prévu d’aller jusque-là, et compte sur « seulement » 2800 satellites, ce qui signifierait qu’un remplacement des data centers terrestres serait impossible avec cette solution.

Dans les deux cas, les projets sont pharaoniques et difficiles à envisager dans un futur proche. Côté européen, après avoir rendu l’étude auprès de la Commission, le consortium qui forme Ascend a attaqué une seconde étude avec le CNES, cette fois pour étudier les moyens d’assemblage robotique pour ce type de structure. Avec l’ESA, ils montent actuellement une étude complémentaire pour établir une feuille de route et espérer, dans quelques années, lancer des démonstrations concrètes à grande échelle. « Il y a un regain d’intérêt pour ces sujets, affirme Damien Dumestier. Pour l’industrie spatiale européenne, c’est une opportunité pour se placer en tant que leader et mettre en place un écosystème complet autour de ces enjeux ». Une ambition partagée par la Chine.

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