Netflix a mis en ligne, pour le jour de Noël, la première saison de la Chronique des Bridgerton, une série tout en regards douloureusement langoureux qui brille par son absence totale de propos. Du grand vide pour oublier cette année.

Cet article ne contient que peu de spoilers sur la saison 1 de la série.

Dans la vie, les personnes les plus belles sont les plus intéressantes. Le message de la Chronique des Bridgerton est clair comme de l’eau de roche, il s’étale partout, dans les gros plans, dans les ralentis, dans les battements de cils de notre héroïne aux traits fins et au teint poudreux. Dans les abdos dessinés de notre héros renfrogné dont les émotions s’arrêtent à l’amplitude de ses mouvement de sourcils.

Dans la Chronique des Bridgerton, les gens laids sont méchants. Les gens gros sont adorables et complexés. Les jeunes beaux baisent entre eux et c’est excitant. Les hommes vivent pour leur honneur et les femmes vivent pour les hommes. Car c’est ainsi que les choses sont.

La nouvelle série de Netflix, dont la première saison est mise en ligne ce 25 décembre 2020, a bien compris que ce lieu commun pouvait faire office de passe-droit idéal. « C’est comme ça que c’était, à l’époque », pourrait-on s’entendre répliquer, si l’on osait désigner la superficialité crasse dont fait preuve le scénario qui ferait honte à Lady Whistledown herself.

Lady Whistledown, c’est notre Gossip Girl à nous, un être mystérieux qui publie un journal de potins dont s’abreuvent tous les membres de l’aristocratie britannique, dans cette Angleterre pré-victorienne du début du 19e siècle. La reine Charlotte raffole de ses écrits, tout comme la famille Bridgerton, dont la fille aînée Daphne (Phoebe Dynevor) est au centre de cette première saison. Pas seulement de cette saison : Daphne est au centre de toutes les attentions, celle de la reine, celle du Prince, celle du Duc, celle de son frère, celle de sa mère, celle des autres prétendants, celle des passants.

Du Jane Austen sans l’humour

Alors, comme il fallait bien inventer une histoire, Daphne et le Duc décident de faire semblant d’être amants, parce qu’ils se détestent, mais peut-être qu’ils ne se détestent pas tant que ça, et peut-être même qu’ils s’aiment, mais vraiment, si c’était le cas, on ne l’aura pas vu venir.

C’est un peu comme si la série s’était emparée d’une adaptation cinématographique d’un Jane Austen, l’avait essorée pour en extraire toute trace d’humour et de subtilité pour n’en garder que les moues boudeuses et les effusions de sentiments mélodramatiques. Qu’il est dur, d’être une magnifique riche femme blanche dans l’aristocratie, que tout le monde cherche à épouser… Le pire, c’est que la Chronique des Bridgerton semble avoir conscience d’être prise dans un énorme paradoxe : faire son bif sur le dos d’une époque où la société s’organisait autour de l’oppression des femmes au profit des hommes, tout en essayant de faire rêver un public moderne avec une histoire d’amour interdite.

C’est ainsi qu’entre deux courbettes de jeunes femmes mariées de force aux plus offrants, on hérite de quelques saillies bien senties du quota féministe de la série, l’une des sœurs de Daphne qui jalouse la liberté des hommes et refuse d’apprendre à coudre car ce qu’elle aime, c’est lire. Presque autant qu’elle aime dire qu’elle aime lire.

Daphne (Phoebe Dynevor) dans la Chronique de Bridgerton // Source : Capture d'écran Netflix

Daphne (Phoebe Dynevor) dans la Chronique de Bridgerton

Source : Capture d'écran Netflix

Une série emprisonnée dans le vide

Daphne est blanche, comme toute sa famille. La reine Charlotte ne l’est pas : elle est jouée par Golda Rosheuvel, une actrice noire, qui s’est récemment félicitée du choix « de génie » du créateur Chris Van Dusen de mettre « au sommet de la pyramide alimentaire » une femme non blanche. Julia Queen, l’autrice de la Chronique des Bridgerton, les livres dont la série est adaptée, a elle aussi défendu le « choix conscient » de ce casting, rappelant que des historiens débattaient depuis longtemps sur la possibilité que Charlotte ait été afrodescendante.

Cette diversité est louable sans être vraiment étonnante, la série étant produite par Shondaland, la boîte de production de la papesse des série américaines Shonda Rhimes (Grey’s Anatomy, Scandal, How to get away with murder) qui a participé directement à une plus grande et meilleure représentation des personnes noires sur le petit écran depuis deux décennies.

Ce qui est plus surprenant en revanche, c’est combien la série semble complètement dépolitisée. À mesure que l’on avance dans les épisodes — Numerama avait pu en voir quatre au moment d’écrire cette chronique —, il devient clair que ces questions de luttes raciales ne seront qu’à peine abordées. D’ailleurs, personne ne semble voir les couleurs, au pays des Bridgerton : nous sommes au début des années 1800, mais les rares personnages noirs que l’on voit ne subissent ni racisme, ni discrimination. On pourrait croire à une ode maladroite à l’universalisme, si la série ne semblait pas si déconnectée de nous. Seul un échange montre que le sujet pourrait exister : la mère d’adoption du héros (Adjoa Andoh), le duc Simon Basset (Regé-Jean Page), lui explique qu’ils ont eu « la chance » d’entrer dans la royauté lorsque le roi a épousé « l’une des leurs », mais qu’il fallait toutefois rester vigilants.

Golda Rosheuvel joue la Reine Charlotte dans la Chronique de Bridgerton // Source : Capture d'écran Netflix

Golda Rosheuvel joue Charlotte dans la Chronique de Bridgerton

Source : Capture d'écran Netflix

La légèreté n’est pas une excuse pour ne rien dire

À travers ces quelques phrases, on perçoit tout ce que la Chronique des Bridgerton aurait pu être mais ne l’est pas. Ne voyez pas ici une détestation automatique de toute série qui s’assumerait légère et prônerait la simplicité : l’autrice de ces lignes a regardé sans sourciller l’intégralité d’Emily in Paris en un dimanche (même pas pluvieux), avec autant de passion que de révulsion. Il s’agit plutôt de rappeler que la légèreté se travaille. Ici, la nouvelle série Netflix est emprisonnée dans le vide ; tout est creux et personne ne dit rien. On aurait presque envie de secouer les actrices et acteurs pour les faire sortir de leur rôle, réveille-toi et pense, agis comme un être humain, donne-moi au moins l’illusion que tu es en vie, fais-moi ressentir quelque chose.

À la place, c’est une certaine nausée qui s’empare de nous à la vue des plans kitschissimes (que la personne qui a essayé d’imiter Game of Thrones dans le générique se dénonce) et de la répétition des mêmes mécanismes sexistes ; les femmes admirent les autres femmes pour leur beauté mais les détestent aussi pour leur physique. Seule la bande-originale nous permet de respirer, la production ayant eu la bonne idée de réarranger des tubes comme Bad Guy de Billie Eilish à la sauce clavecin pour donner du pep’s aux scènes de fêtes.

Il y a treize ans, Gossip Girl nous prouvait qu’il était possible de se fasciner pour la même histoire, cinquante fois d’affilée, de suivre les tribulations d’un casting aseptisé hors du temps et de l’espace. Il est triste de constater que la Chronique des Bridgerton ne lui arrive pas à la cheville.

On en vient donc à supporter les épisodes comme on re-binge watcherait une saison de Friends pour la quarantième fois ; pour passer le temps, se déconnecter du monde qui va mal, et ne plus penser à rien. Une plongée dans le vide à la hauteur de notre besoin de nous échapper de 2020.

La Chronique de Bridgerton, sur Netflix depuis le 25 décembre 2020

Le verdict

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3/10

La Chronique des Bridgerton

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La Chronique des Bridgerton ne dit absolument rien, et elle s’en fout. Venons chercher ici du divertissement éculé pour survivre aux fêtes de cette fin d’année catastrophique, et n’en reparlons plus jamais.

Source : Montage Numerama

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