L’occasion était trop belle : alors qu’elle vient de sortir Monstrueuse, un passionnant essai qui décortique son rapport personnel à l’horreur, nous avons demandé à Taous Merakchi, grande amoureuse et spécialiste du genre, de décortiquer avec nous les grands films d’horreur de la pop culture.
Une façon de mieux les comprendre, mais aussi de vous donner des idées d’œuvres à découvrir, pour fêter dignement Halloween. On donne la parole à l’experte !

L’Exorciste (William Friedkin, 1973) : le film de possession indétrônable
« C’est d’abord une légende de cour de récréation. Nos parents nous avaient raconté que c’était le truc le plus flippant qu’ils avaient vu de leur vie (rires) ! On se disait : « Le jour où on arrivera à voir ça, notre vie va changer, on va être traumatisés pour toujours ! »
J’ai fini par le voir au collège, à l’âge de 13 ans. Et effectivement, j’ai été traumatisée ! J’ai été très perturbée au début, parce que dans les années 1990 et 2000, les films d’horreur possédaient un rythme soutenu. Dès la première scène, il y avait un mort.
L’Exorciste, lui, prend vraiment le temps d’installer l’intrigue. Avec ma meilleure amie, on était genre : « C’est chiant, c’est encore chiant… » Et d’un coup, plus du tout ! On a eu extrêmement peur. J’ai ressenti une espèce de mélange entre fascination et répulsion. J’ai eu une réaction très viscérale à la version possédée de Regan et Pazuzu. Je pensais que si je disais son nom, je risquais d’être possédée moi aussi ! On n’a pas réussi à faire un film de possession capable de l’égaler.
Je serais curieuse de voir comment la Gen Z réagirait devant ce film, parce que l’écart entre la qualité des technologies s’est creusé. Quand on voit ce qui faisait flipper nos grands-parents, ça nous fait doucement rigoler. On n’a pas peur des films en noir et blanc avec des fourmis géantes (rires) ! »
La Mouche (David Cronenberg, 1986) et le body horror
« La Mouche a réussi à convaincre un public pas forcément adepte de films d’horreur. Déjà grâce au casting : Jeff Goldblum (Jurassic Park) et Geena Davis (Thelma et Louise) avaient le vent en poupe. Et puis c’est une des plus belles histoires d’amour portée à l’écran, dans un contexte certes repoussant (rires) !
Je le rapproche de La Métamorphose de Kafka. Ça pose plein de questions philosophiques auxquelles on ne s’attend pas. Qu’est-ce qu’on devient quand on perd son humanité petit à petit, vis-à-vis des gens et de soi-même ? C’est un très bon cheval de Troie pour aborder plein de questionnements très humains et nous faire vivre de belles émotions.
La Mouche a aussi popularisé le genre du body horror, cette forme d’horreur qui s’intéresse aux métamorphoses corporelles, à la perte d’humanité telle qu’on se la figure dans la norme. Ça peut parler de maladies, de contagion, de handicap, de mutation… C’est tout ce qui transforme l’enveloppe humaine pour la rendre autre.
Quand on vit dans un monde comme le nôtre, validiste et attaché aux normes physiques, c’est terrifiant ! On voit le traitement réservé aux personnes perçues comme différentes. Et le body horror attire aussi les gens qui n’aiment pas les films d’horreur. Par exemple, The Substance a eu beaucoup de succès, alors qu’il est très compliqué à visionner ! »
The Faculty (Robert Rodriguez, 1998) : l’adolescence dans les années 1990
« Ce film cristallise toutes les préoccupations que l’on peut avoir à cet âge-là. Il y a vraiment ce truc où tu fais partie d’un groupe, tu as une étiquette et tu ne peux pas t’en défaire ! Dans The Faculty, ils échangent ces fameuses étiquettes. Ils arrivent à sortir de leurs rôles et à travailler ensemble, malgré leurs différences. Et ce n’était pas si courant de voir des représentations adolescentes aussi nuancées.
J’ai été notamment marquée par le personnage du quarterback qui dit : « J’en ai marre qu’on me donne des 20 sur 20 à tous mes examens sous prétexte que j’ai fait un bon match, je veux apprendre par moi-même ». Ça m’a fait réaliser que cette histoire d’étiquettes pèse sur tout le monde, pas seulement sur les marginaux qui aspirent à une ascension sociale.
Certaines choses n’ont pas bien vieilli, comme l’adolescent qui finit avec sa prof. Mais The Faculty, c’était vraiment la génération MTV. C’était un phénomène culturel qui nous a suivi dans nos oreilles, avec la bande-son rock, mais aussi dans nos gardes robes. Et puis le scénario est signé Kevin Williamson, le roi des années 1990 et le parrain de notre adolescence (rires). On lui doit Scream, Souviens-toi l’été dernier, ou encore Dawson ! »
Jennifer’s Body (Karyn Kusama, 2009) : la revanche d’une bimbo
« Jennifer’s Body a été complètement saboté à sa sortie, avec une opération marketing centrée sur la plastique de Megan Fox. Or, c’est un film queer, écrit par des femmes. Cette histoire ne s’adressait pas à un public masculin. En plus, Megan Fox a été blacklistée et le film s’est retrouvé mort-né.
Comme souvent pour ce type d’œuvres, les communautés queers et marginales l’ont fait exister en le projetant dans des ciné-clubs pendant des années. À force d’en parler, il a fini par revenir sur le devant de la scène. Les gens ont réalisé que c’était une énorme métaphore, très adaptée au discours de #MeToo.
Jennifer’s Body revisite ainsi le genre du rape and revenge, sans la scène de viol graphique souvent présente dans ces films. Quand les créatrices ont enfin pu reprendre la parole, elles ont d’ailleurs expliqué qu’elles avaient ce message féministe en tête depuis le début.
L’évolution du personnage principal correspond aussi à un trope que j’aime beaucoup : le « Came Back Wrong ». C’est l’idée qu’elle est revenue, mais pas tout à fait pareille. Quand tu es une femme et que tu traverses la puberté, il y a justement cette sensation de ne plus être comme avant. »
Blade (Stephen Norrington, 1998) : la surprise vampirique
« Blade était le premier film d’action avec des vampires. C’est aussi celui qui a lancé les studios Marvel et qui a prouvé que les adaptations de comics pouvaient marcher. Personne n’y croyait, ça a été une grosse surprise. Le comédien Wesley Snipes s’est beaucoup approprié le personnage, qu’il adore. Blade est moitié humain, moitié vampire. Il possède la force des vampires sans leur faiblesse, à part la soif de sang.
Ça m’a beaucoup parlé de par mon métissage. En tant que femme maghrébine en France avec un white passing (le fait d’être perçue comme blanche, ndlr), j’ai l’impression d’avoir toutes les forces et pas les faiblesses, parce que je peux m’immiscer partout (rires) !
Blade est un héros hyper intéressant et vraiment sous-coté. Au-delà des fans du genre, les gens s’imaginent un truc cheap des années 1990 avec de la bagarre, alors qu’il est vraiment cool. Et puis, les vampires noirs existaient dans la Blaxploitation (des films bon marché, réalisés avec peu de moyens, destinés au public Afro-Américain, ndlr), mais toujours en marge. Blade est arrivé en disant : « Je suis là, tout le monde me kiffe et on va faire trois films sur moi ! » (rires) »
Le projet Blair Witch (Daniel Myrick Eduardo Sánchez, 1999) et l’arrivée du found footage
« C’est le premier film avec une campagne de marketing virale. Il a utilisé Internet pour nous faire croire qu’il s’agissait d’une vraie cassette retrouvée et les personnages ont les mêmes noms que les acteurs. Ils ont été obligés de se planquer pendant des mois pour faire croire à tout le monde qu’ils étaient morts.
Un site a même été mis en place avec de fausses archives historiques, pour essayer de rendre réelle la légende de la sorcière de Blair. Plein de gens y ont cru, surtout les jeunes dans les cours de récré ! Aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux, ça ne fonctionnerait plus.
Le Projet Blair Witch, c’est aussi les débuts du found footage. On est en caméra embarquée, tout le temps avec eux. Il y a vraiment cette magie de réussir à faire monter toutes ces angoisses avec rien du tout. On ne voit jamais la sorcière ou ce qui leur arrive. On ne sait pas ce qui se passe. Tout est suggéré et ça fonctionne super bien.
Tout le monde a retenu la scène du nez qui coule, à cause des parodies dans Scary Movie, avec des litres de morve (rires). Plein de gens pensent que c’est exactement pareil dans l’original, alors que pas du tout ! Elle a juste vaguement la goutte au nez. »
Alien (Ridley Scott, 1979) : la mère des monstres
« Je pense que le film est toujours génial à regarder, en 2025. On voit suffisamment la créature pour qu’elle nous fasse flipper, mais pas assez pour qu’on se dise : « Ah, tiens, c’est un robot ». Je trouve que c’est assez bien maîtrisé. Le suspense est super, la photo magnifique et l’ambiance toujours aussi pesante. Et il y a Ripley, cette héroïne si charismatique incarnée par Sigourney Weaver.
La première fois, j’y allais pour la grosse bête qui fait peur, puis je me suis intéressée aux décors, aux dialogues, à comment la créature se fond dans le vaisseau… Ce film a vraiment éveillé ma conscience cinéphile. Et je suis tellement amoureuse des xénomorphes. Je trouve leur design sexy ! C’est vraiment le bon mélange entre monstrueux et fascinant.
Évidemment, il y a le parallèle avec la maternité, le fait d’accepter que l’on a, entre guillemets, un parasite à l’intérieur de soi. J’y ai aussi pensé au moment de mon cancer. Ça remue plein de choses. Le scénariste, Dan O’Bannon, avait en tête la question de la maternité forcée, tout en parlant du point de vue d’un homme atteint de la maladie de Crohn. Il y a cette idée des tripes détraquées.
Par contre, j’ai été déçue par la série Alien: Earth. Je trouve qu’il y a trop de scènes d’exposition, que les xénomorphes ne sont pas assez visqueux et trop domestiqués. Mais elle peut constituer une bonne porte d’entrée vers l’univers et donner envie de découvrir le premier Alien »
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