Il y a celles et ceux qui ont suivi le débat de l’entre-deux tours à la télévision. Et il y a les autres, comme nous, qui ont suivi le duel entre Macron et Le Pen sur Twitch, entre les chaînes de Sardoche, Jean Massiet, HugoDécrypte et Samuel Étienne.

Plus de 7,4 millions de téléspectateurs devant TF1 et moins de 7 millions sur France 2, selon Médiamétrie. Au total, les Françaises et les Français étaient en moyenne 15,6 millions à se trouver devant leur téléviseur le soir du 20 avril 2022 pour suivre le débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. C’est loin d’avoir été le débat de l’élection présidentielle le plus suivi de l’histoire de la Cinquième République. C’est même l’un des pires en matière d’audience.

Le désintérêt relatif du public pour ce face-à-face télévisé a certainement des clés d’explication variées, qui ne s’excluent pas nécessairement mutuellement.

Et au lendemain de cet échange entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, il est d’ores et déjà acquis que Twitch constitue une clé d’explication. Pas la plus significative, certes, mais elle a de toute évidence contribué à détourner une partie de l’audience de ce débat. En offrant du divertissement, comme à son habitude, mais surtout en se posant en canal alternatif pour regarder le débat, en toute légalité. Et ils étaient nombreux à le faire.

Source : Montage Numerama
Les deux finalistes pour le second tour de l’élection présidentielle française de 2022. // Source : Montage Numerama

Ce sont quelques centaines de milliers d’individus qui ont opté pour un suivi sur Twitch sur l’une des quatre grosses chaînes qui étaient très attendues sur ce terrain — d’autres chaînes de plus petite envergure ont probablement aussi suivi le débat, en proposant un échange avec leur communauté, mais sans avoir la même visibilité ou bien les droits de retransmission. Et parmi ces internautes qui ont suivi le débat, Numerama y était.

Ces quatre chaînes, qui se sont clairement partagées l’essentiel de l’audience politique du Twitch FR dans la soirée du 20 avril, ne sont plus à présenter, pour celles et ceux qui fréquentent assidument la plateforme : on retrouve Jean Massiet, un ancien collaborateur politique devenu chroniqueur et vidéaste, Sardoche, un joueur de jeu vidéo évoluant dans l’esport, HugoDécrypte, qui propose des revues de l’actualité sur YouTube, et Samuel Étienne, présentateur de l’émission Questions pour un champion.

Jean Massiet débat présidentielle Twitch
Le débat du second tour pouvait aussi se regarder sur Twitch. // Source : Capture d’écran

140 000 personnes chez Sardoche, joueur de jeu vidéo controversé

twitch audience
L’audience des chaînes Twitch lors du débat. // Source : Capture d’écran

Pour saisir l’ampleur de la bascule qui s’opère, et qui préfigure peut-être une autre manière de suivre les débats politiques à l’avenir, il fallait jeter un coup d’œil aux scores d’audience de ces quatre chaînes. Certes, il s’agit d’instantanés : les chiffres ont fluctué au fil de la soirée et certains internautes suivaient peut-être plus d’une chaîne à la fois, ce qui peut fausser en partie les scores. Néanmoins, cela donne une idée des ordres de grandeur dont on parle.

Ainsi, environ 25 000 personnes étaient branchées chez Jean Massiet mercredi soir, 30 000 du côté de Samuel Étienne. Mais les deux qui ont charrié l’audience la plus forte sont HugoDécrypte d’une part, avec 70 000 visiteurs, et Sardoche, qui a passé le cap des 140 000 au cœur du débat. À eux quatre, ils ont réuni possiblement plus de 265 000 téléspectateurs, nonobstant les nuances indiquées précédemment sur la manière de comptabiliser ces chiffres.

Chose remarquable pour être notée, c’est le streameur le moins « politique » des quatre — Sardoche — qui a attiré à lui le plus de monde.

Sardoche est connu pour être un joueur talentueux aux jeux vidéo, même si l’intéressé a aussi la réputation d’exposer publiquement ses convictions, plus encore que les trois autres, qui observent une plus grande réserve, là où des Jean Massiet, HugoDécrypte et, dans une moindre mesure, Samuel Étienne, ont forgé leur succès sur le site par des streams sur l’actualité et la politique. Et c’est pourtant Sardoche qui a été le centre de gravité de la soirée politique sur Twitch, usant notamment de blagues et de réactions « à chaud » parfois peu détaillées, mais qui encourageaient le tchat à participer. La différence se voit d’ailleurs dans le ton des commentaires des spectateurs, plus sérieux sur les trois autres chaines, plus légers et moqueurs dans le stream de Sardoche.

Sardoche débat présidentielle Twitch
Sardoche a rassemblé plus de 140 000 personnes lors de son pic d’audience. // Source : Capture d’écran

À l’inverse, Jean Massiet, qui a l’expertise politique et juridique sans doute la plus fine parmi les streameurs qui diffusaient le débat présidentiel, du fait de ses études et de son parcours professionnel, a réalisé l’audience la plus « modeste » des quatre. Une lecture qu’il convient toutefois de relativiser : il s’agit malgré tout de l’une des plus audiences de la chaîne et, par ailleurs, Jean Massiet évoluait aussi au milieu de streameurs très en vue et déjà bien installés dans le paysage.

C’est un beau succès pour chacune de ces chaînes, d’autant qu’elles se sont toutes distinguées en achetant les droits de retransmission de l’émission coproduite par TF1 et France 2. Le montant annoncé pour cette rediffusion sur Twitch est de 2 000 euros. Cela leur a permis d’accéder à un flux direct et, surtout, d’éviter de passer par la case du piratage. On sait les chaînes très soucieuses de protéger leurs intérêts et leurs droits : HugoDécrypte et le Parti Pirate peuvent en témoigner.

Paradoxalement, d’ailleurs, le suivi du débat de l’entre-deux tours sur Twitch avait un peu d’avance sur la télévision. C’est en tout cas ce que l’on a constaté dans la soirée, alors que l’on commentait dans la rédaction les échanges entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. À chaque fois, Twitch avait quelques secondes d’avance, voire quelques dizaines de secondes, par rapport à la TV. Un comble : le flux direct obtenu par les streameurs s’est avéré performant.

Samuel Etienne débat présidentielle Twitch
Samuel Étienne est surtout intervenu après le débat pour débriefer. // Source : Capture d’écran

Des commentaires en direct difficiles à faire sans gêner le suivi du débat

Nous n’avons pas eu la possibilité de suivre matériellement les quatre streams d’un coup, sauf à mettre notre connexion Internet en position latérale de sécurité et à se prendre un bon mal de tête à cause de la désynchronisation du son entre les quatre lives. Nous avons cependant suivi la chaîne de Samuel Étienne et basculé sur les autres régulièrement.

Ce qui s’est avéré frappant durant la soirée présidentielle sur Twitch, en tout cas pour les moments où l’on visionnait telle ou telle chaîne, c’est le silence important observé par les streameurs. On aurait pu s’attendre à beaucoup plus d’interventions orales de leur part, pour rebondir d’une part sur ce que disait soit Emmanuel Macron, soit Marine Le Pen, ou même des internautes sur le chat. Mais cela n’a pas été le cas.

Samuel Étienne, en particulier, a fait preuve très vite d’une grande discrétion. S’il a tenté au début de glisser quelques observations dans les moments de creux entre les deux candidats, ou lorsque les deux journalistes (Gilles Boulleau pour TF1 et Léa Salamé sur France 2) prenaient la parole pour passer d’un thème à l’autre, l’exercice a tourné court. Il a fini par laisser le débat se dérouler, en se mettant en retrait. Tout juste mettait-il à jour sa scène Twitch pour faire passer des messages écrits :

samuel etienne Twitch
Comme on peut Samuel, comme on peut… // Source : Capture d’écran
samuel etienne Twitch
Ça a débordé, et pas qu’en termes de durée. // Source : Capture d’écran

Ailleurs, les streameurs n’étaient pas nécessairement plus bavards, ne sachant d’ailleurs pas toujours quand prendre la parole, qu’en apporter un éclairage ou un pas de côté. Parfois, ils étaient aussi effacés que les deux présentateurs sur le plateau. Sardoche s’est montré le plus prolixe, intervenant de temps à autre, car il était plus dans la réaction et l’opinion que dans la réflexion et le fond. Mais il est vrai que l’exercice s’avère nouveau — et quelque peu périlleux par ailleurs pour les uns et les autres, car le risque était de laisser transparaître ses opinions en réagissant à chaud, au lieu d’apporter un commentaire politique.

Et surtout, il fallait laisser se dérouler le débat. Mais de facto, l’animation ou l’analyse proposée sur Twitch au cours de la soirée de l’entre-deux tours n’a pas été à ce point décisive qu’elle justifiait, en tant que tel, de regarder cette plateforme plutôt que la télévision. En fait, la vraie différence a eu lieu après, lorsque l’émission s’est arrêtée, permettant de passer au débriefing et, surtout, à l’échange avec le public, via le tchat.

C’est à ce niveau que la plus-value de Twitch se trouve, avec un échange bien plus horizontal entre les streameurs et les internautes, plutôt que de devoir suivre les débriefings beaucoup plus classiques des chaînes de télévision (outre TF1 et France 2, étaient aussi sur le coup BFMTV, CNews, Franceinfo, LCI, LCP-Public Sénat), qui sont par nature très verticaux : le débat se passe entre journalistes, éditorialistes et experts, sans l’intervention du public.

Jean Massiet débriefing débat présidentielle Twitch
Jean Massiet avait pris des notes pour échanger avec sa communauté après le débat. // Source : Capture d’écran

Bien sûr, l’engagement post-débat variait d’un stream à l’autre. La discussion s’est avérée plus décousue, car les streameurs pouvaient parfois réagir à tout autre chose — Sardoche, par exemple, a reparlé lors de son débriefing de son futur voyage en Corée du Sud –, ou pour dire une plaisanterie — Jean Massiet a rappelé que l’article un de la Constitution impose à tous les Français de suivre sa chaîne –. L’ambiance, forcément, était bien plus décontractée que sur un plateau TV.

Finalement, ce sont sur les chaînes plus liées à l’actualité et à la politique que le « débat post-débat » s’est vraiment poursuivi. Sardoche, malgré son succès indéniable en matière d’audience, a coupé son stream assez vite après la fin de la soirée. Il faut dire qu’il l’avait lancé plusieurs heures avant tous les autres — à la fin du live, il avait déjà près de sept heures de direct dans les jambes, là où les autres étaient à trois ou quatre heures.

La fin du live de Sardoche s’est d’ailleurs achevée sur des excuses inattendues, car il a estimé avoir pu orienter les avis des uns et des autres en réagissant à chaud aux interventions de Marine Le Pen et Emmanuel Macron — alors qu’il avait déclaré juste avant le face-à-face qu’il ferait de son mieux pour ne pas influencer quiconque. Jean Massiet, HugoDécrypte et Samuel Étienne ont en revanche poursuivi l’after, comme à leur habitude. Ainsi vont les échanges sur Twitch.

Source : Capture d'écran
HugoDécrypte a lui aussi surtout échangé avec les internautes après l’émission. // Source : Capture d’écran

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