Des centaines de comptes Facebook et Instagram ont été impliqués dans la campagne de dénigrement du vaccin contre le Covid-19 de Pfizer qui a eu lieu au mois de mai. La campagne, orchestrée depuis la Russie, a été active de novembre 2020 à mai 2021.

« Nous avons supprimé 65 comptes Facebook et 243 comptes Instagram pour violation de nos règles d’utilisation et pour ingérence international », a annoncé Facebook le mardi 10 août. C’est tout un réseau que la plateforme a démantelé, recouvrant des centaines de comptes, une douzaine de sites et forum différents, et originaire de Russie.

En tout, Facebook a supprimé plus de 300 comptes liés à une vaste campagne de désinformation sur les vaccins contre le Covid-19, de novembre 2020 à mai 2021. « Nous avons supprimé les faux comptes et les vrais profils des personnes derrière la campagne, et nous avons bloqué les noms de domaines des sites associés à leur activité », a précisé Facebook. Le réseau social a annoncé la nouvelle dans un rapport détaillé portant sur «  les actions inauthentiques de groupes » — autrement dit, sur les campagnes de désinformation. Et, au coeur de ce rapport et des campagnes contre Pfizer, on retrouve l’agence Fazze.

Le site de l'agence Fazze // Source : Capture d'écran Numerama

Le site de l'agence Fazze

Source : Capture d'écran Numerama

Fazze a essayé de recruter des Youtubeurs

La mystérieuse agence Fazze a beaucoup fait parler d’elle au mois de mai. Le 24 mai, le Youtubeur Léo Grasset, de la chaîne DirtyBiology, expliquait sur Twitter avoir été contacté par cette agence afin de lui proposer un partenariat rémunéré d’un genre particulier : il devait montrer un tableau d’une provenance inconnue à ses abonnés, leur dire que le vaccin développé par Pzifer avait un taux de mortalité beaucoup plus haut que les autres, et surtout, ne pas dire qu’il était payé pour tenir ce discours.

Numerama était entré en contact avec Léo Grasset, et avait pu remonter la piste de Fazze, qui prétendait être une agence de de communication digitale anglaise, jusqu’en Russie, d’où les ordres auraient été donnés. Nos recherches et celles d’autres médias avaient également permis de retrouver la trace d’autres Youtubeurs contactés dans d’autres pays. Le Youtubeur allemand Mirko Drotschmann, qui avait reçu la même proposition que Léo Grasset, a également prévenu ses abonnés de la tentative de désinformation organisée par l’agence. Mais au moins deux personnes ont accepté la proposition de Fazze. Le Youtubeur indien Ashkar Techy, qui compte plus de 700 000 abonnés, et le Youtubeur brésilien Everson Zoio, fort de plus de 12 millions de fans, ont tous les deux publié des vidéos dans lesquelles ils reprenaient le tableau fourni par Fazze et les éléments de langage de l’agence. Ils ont tous les deux rapidement supprimé leur vidéo lorsque les témoignages de Léo Grasset et de Mirko Drotschmann ont pris de l’ampleur.

Des mèmes de La Planète des Singes

L’enquête menée en interne par Facebook montre aujourd’hui que Fazze était au coeur d’une campagne bien plus importante, qui s’est déroulée sur Facebook et Instagram et qui a visé les États-Unis, plusieurs pays d’Amérique latine, l’Europe et l’Inde. La campagne a eu lieu en deux temps, a découvert Facebook. La première partie s’est déroulée entre novembre et décembre 2020, et visait le vaccin d’AstraZeneca.

Les quelque 300 comptes que Facebook a repérés et depuis supprimés ont, à ce moment-là, publié une très grosse quantité de mèmes, censés répandre le doute sur la fiabilité du vaccin. Spécifiquement, les comptes ont partagé sur Facebook et Instagram des images montrant des hommes vaccinés se transformer en singe, en utilisant des passages du film La Planète des Singes de 1968. Les comptes les plus actifs au début de l’opération étaient basés en Inde, et ont partagé beaucoup de mèmes dans un mélange d’hindi et d’anglais. Dans l’un des exemples partagés par Facebook dans son rapport, et inséré ci-dessous, on peut ainsi voir l’un des hommes — supposément transformé en singe — dire « Walter vient, n’hésite pas ! Le vaccin d’AstraZeneca est sûr ! Nous avons reçu notre dose hier ».

Un des memes anti Pfizer publiés sur Facebook // Source : Facebook

Un des memes anti Pfizer publiés sur Facebook

Source : Facebook

Mais au fur et à mesure, les comptes ont commencer à viser les utilisateurs anglophones, hispanophones et lusophones de Facebook et Instagram. « L’activité des comptes sur Instagram ressemblait particulièrement à du spam et était organisée autour d’une poignée de hashtags », analyse Facebook dans son rapport. « Deux d’entre eux étaient en anglais, #AstraZenecakills et #AstraZenecalies (#AstraZenecaTue et #AstraZenecaMent, ndlr) », et ils avaient leurs équivalents en espagnol et portugais. « Entre le 14 décembre et le 21 décembre, près de 10 000 posts utilisant ces hasthags ont été publiés, la grande majorité menant vers des sites montés par le réseau ». Mais malgré le nombre élevé de publications et de mèmes, Facebook note que le réseau n’a pas eu beaucoup de succès.  Les interactions avec leurs publications étaient minimales, et très peu d’utilisateurs ont repris leurs mèmes.

Des influenceurs bien-être contactés

Mais malgré ce peu d’engagement, il semblerait que Fazze avait déjà à ce moment-là pris contact avec des influenceurs, des mois avant les témoignages de Léo Grasset et de Mirko Drotschmann. « Lorsque la campagne Instagam était en cours, des influenceurs spécialisés dans le bien-être et la santé ont publié des stories utilisant les mêmes hashtags, racontant que le vaccin d’AstraZeneca utilisait de l’adénovirus de chimpanzés, et ont partagé des liens vers des pétitions, clamant qu’AstraZeneca avait menti sur la composition de ses vaccins, créées de toutes pièces par les équipes de Fazze », raconte Facebook dans son rapport.

Facebook reconnait que les influenceurs en question pourraient avoir partagé les stories et les liens vers les pétitions d’eux-mêmes, après être tombés dessus. Mais le peu de succès des publications et des mèmes laisse plutôt penser que les influenceurs ont bien été contactés par Fazze, qui leur aurait fait une proposition similaire à celle qu’ont reçu Léo Grasset Mirko Drotschmann. « Il est probable que Fazze ait demandé à des personnes de partager leur campagne sur les réseaux sociaux dès le mois de décembre 2020 », conclut Facebook.

Le réseau de comptes a ralenti le rythme de ses publications à la fin du mois de décembre 2020, et a complètement arrêté le 6 janvier 2021. Les comptes n’ont repris leur travail de sape qu’au mois de mai, avait de stopper complètement une fois l’affaire rendue publique. Si l’investigation de Facebook permet de lever une partie du voile sur les activités de Fazze et sur leur fonctionnement, il reste néanmoins toujours plusieurs questions sans réponse. Quelle est la provenance du document utilisé par Fazze pour lancer la deuxième partie de la campagne de désinformation ? A-t-il été créé de toute pièce ? Et surtout, qui a payé Fazze pour organiser toute cette opération ? « Comme pour toutes les campagnes de désinformation, comprendre les motifs derrière est un élément clé pour remettre l’opération dans son contexte », conclut Facebook. Alors que la vaccination en France et partout dans le monde est en cours, il est plus important que jamais de s’assurer que de telles campagnes ne soient pas à nouveau organisées.

Si vous avez été contactés par l’agence Fazze, ou une autre agence qui vous a proposé de faire une campagne d’influence contre la vaccination ou un vaccin en particulier, votre témoignage nous intéresse : n’hésitez pas à nous écrire un message à [email protected]


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