L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui a notamment la mission d'élire les juges de la Cour européenne des droits de l'homme et d'enquêter elle-même sur les violations commises par les Etats membres, a adopté mardi une résolution cinglante contre les politiques de surveillance massive mises en place par les gouvernements.

Hasard de calendrier ? Alors que les députés français viennent d'achever l'examen du projet de loi Renseignement et qu'ils devront voter solennellement le 5 mai prochain, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté mardi une résolution au vitriol contre les politiques de surveillance massive mises en place par les gouvernements européens.

A ne pas confondre avec le Parlement européen qui est rattaché à l'Union européenne, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe réunit 318 représentants des parlements des 47 pays membres du Conseil, c'est-à-dire la quasi totalité du continent. Entre autres fonctions, elle peut demander l'adoption de mesures aux gouvernements, élire les juges de la Cour européenne des droits de l'homme, ou enquêter elle-même sur la violation de droits fondamentaux.

Dans sa résolution qui s'appuie notamment sur un premier rapport réalisé dès 2013 par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, l'Assemblée se dit "profondément préoccupée par les pratiques de surveillance massive révélées depuis juin 2013" par Edward Snowden. Elle rappelle que même de prétendues mesures ciblées "englobent de nombreuses personnes que rien ne justifie de soupçonner d’avoir commis un acte répréhensible" et "condamne catégoriquement l'usage extensif fait de lois et règlements secrets, appliqués par des tribunaux secrets sur la base d’interprétations secrètes des règles en vigueur, de telles pratiques sapant la confiance du public dans les mécanismes judiciaires de contrôle".

SURVEILLER POUR MUSELER

Or c'est exactement ce que prévoit la Loi Renseignement française, qui permet notamment à l'Etat de mettre en place des boîtes noires chez les FAI et hébergeurs pour détecter par algorithmes de simples suspects, avec des ordres secrets contrôlés par par une autorité administrative elle-même astreinte au secret, la future Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). L'autorité judiciaire est exclue du dispositif, sauf improbable recours de la CNCTR au Conseil d'Etat.

"La présence, entre les mains de régimes autoritaires, d’outils de surveillance massive comparables à ceux qu’ont mis au point les services américains et alliés aurait des conséquences catastrophiques. En période de crise, il n’est pas impossible que le pouvoir exécutif tombe aux mains de responsables politiques extrémistes, même dans des démocraties bien établies", écrit l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Si elle vise en premier lieu et explicitement la Russie, la France est aussi visée implicitement. "Dans plusieurs pays, on assiste à l’évolution d’un gigantesque «complexe industriel de la surveillance», favorisé par la culture du secret qui entoure les opérations de surveillance".

L'Assemblée rappelle que "les opérations de surveillance révélées jusqu’ici mettent en danger les droits de l’homme fondamentaux". Non pas uniquement le droit au respect de la vie privée, mais aussi le droit à la liberté d'expression qui en découle.

La rapporteuse spéciale de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, Catalina Botero, l'avait bien expliqué l'an dernier lors d'une réunion à l'ONU. Elle avait dénoncé "l’effet de la surveillance sur le droit à la liberté d’expression, lequel pouvait être soit direct, quand ce droit ne pouvait être exercé anonymement à cause d’une surveillance, soit indirect, quand la simple existence de mécanismes de surveillance pouvait avoir un effet paralysant, inspirer la crainte et inhiber les personnes concernées en les contraignant à la prudence dans leurs dires et leurs agissements."

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