Une attaque au couteau a eu lieu à Arras, dans un lycée. De nombreux jeunes ont filmé la scène et partagé la scène sur les réseaux sociaux. Une diffusion non sans risques juridiques. Quid, également, de la responsabilité des médias qui ont partagé ces images ?

Un mort et deux blessés. Voilà le bilan, à cette heure, de l’attaque au couteau qui s’est produit à Arras, dans l’enceinte du lycée Gambetta-Carnot. La victime serait un professeur de français du collège. Quant aux deux autres personnes, l’une aussi un enseignant, légèrement blessé, tandis que l’autre, un agent de sécurité, se trouve en urgence absolue, selon les informations qui remontent.

L’attaque, dont les contours sont encore flous, tout comme les motivations de l’assaillant, survient pratiquement trois ans jour pour jour après l’assassinat de Samuel Paty, ce professeur d’histoire-géographie tué et décapité à Conflans-Sainte-Honorine — c’était le 16 octobre 2020. À l’époque, l’enquête avait classé ce meurtre comme attentat islamiste.

À la différence de Samuel Paty, qui a perdu la vie peu après être sorti du collège dans lequel il enseignait, la tuerie rapportée à Arras a eu lieu dans l’établissement scolaire, à la vue de nombreuses personnes. Des vidéos ont d’ailleurs été tournées, sous différents angles, et à différents moments. Ces vidéos circulent déjà largement sur les réseaux sociaux.

« J’ai eu le temps d’analyser environ 270 vidéos. Sur ces 270, plus de 70 montrent quelqu’un se faisant poignarder au sol », indique Florent (« Flef »), expert dont la spécialité est l’analyse des données sociales, dans un message publié sur Bluesky, un réseau social concurrent de X.

Sur certaines vidéos, que Numerama a pu aussi voir circuler, on peut voir un jeune homme — l’assaillant — dans la cour du lycée s’acharner sur un homme à terre, sous les yeux de plusieurs personnes, dont des élèves — qui se trouve plus ou moins à distance, ou dans les bâtiments. On le voit asséner des coups à l’homme au sol avec ce qui apparaît être une arme blanche.

Sur d’autres séquences filmées, plusieurs personnes semblent essayer de raisonner l’individu ou de le maîtriser, en l’encerclant. Une personne, en particulier, utilise une chaise comme un bouclier. Selon les médias, l’attaquant a été interpellé, comme son frère. Ces vidéos sont partagées sur Twitter, mais également d’autres plateformes en ligne.

Le ministère de l’Intérieur demande de signaler les vidéos

Face à cette viralité croissante — certains messages sur Arras ont reçu des centaines de réactions et sont largement repartagés –, le ministère de l’Intérieur a adressé un rappel sur son compte Twitter. Idem pour certains membres du personnel politique. Les internautes sont invités à les signaler directement aux autorités, via le service Pharos, et de ne rien faire d’autre.

« Si vous repérez des contenus choquants sur les réseaux sociaux, aidez-nous : ne les diffusez pas. Ne les likez pas. Un seul réflexe : signalez-les ». Un message qui est souvent répété lorsque des situations analogues surviennent, mais dont la portée est très limitée face à la curiosité et l’émotion du public. Il y a pourtant des enjeux juridiques qui sont susceptibles d’entrer dans l’équation.

Source : X/Ministère de l'Intérieur
Source : X/Ministère de l’Intérieur

Une diffusion sur Internet qui soulève des risques judiciaires

Le Code pénal contient diverses dispositions qui peuvent entrer en ligne de compte pour sanctionner les personnes qui ont filmé ces vidéos, mais aussi celles qui les repartagent sur les réseaux sociaux — des circonstances aggravantes peuvent aussi être envisagées si ces vidéos sont accompagnées de commentaires favorables aux faits, surtout si le mobile de l’attaque terroriste est retenu.

Par exemple, l’article 222-33-3 punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait de diffuser l’enregistrement de telles images montrant des agressions physiques. Cette disposition concernait initialement le « happy slapping » (vidéoagression). En 2006, l’agression d’une professeure avait été filmée avec un portable. Un an plus tard, la sanction entrait dans la loi.

Si la dimension terroriste de l’attaque est démontrée, toute apologie des faits est susceptible de tomber sous le coup de l’article 421-2-5. Celui-ci prévoit 7 ans de prison et 100 000 euros d’amende le fait « de faire publiquement l’apologie de ces actes ». L’attaque ayant un profil similaire à celle ayant visé Samuel Paty, c’est une piste plausible.

D’autres dispositions du Code pénal peuvent également entrer en ligne de compte. L’article 227-24 prévoit 3 ans de prison et 75 000 euros d’amende si des messages « à caractère violent [ou] incitant au terrorisme » sont vus par des mineurs. L’assaut ayant eu lieu dans un lycée, et les vidéos étant virales sur les réseaux sociaux, c’est aussi une perspective juridique vraisemblable.

Sur le terrain du Code civil, la famille de la victime peut aussi réclamer réparation en cas de préjudice, via l’article 1240. Celui-ci expose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Cela dépendra du préjudice subi par les proches de la victime en raison de la circulation de toutes ces vidéos.

Quid des médias ?

Il est à noter que la loi prévoit un aménagement dans certains cas. Pour l’article 222-33-3, il existe une exception journalistique. La mesure n’est pas applicable si l’enregistrement ou la diffusion « résulte de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public ». Sur ce sujet, TF1 et France 2 ont choisi de diffuser les images, qui ont ensuite été publiées sur les réseaux sociaux, augmentant leur portée.

Le tweet de France 2, avec le reportage qui reprend de nombreuses vidéos choquantes de l'agression
Le tweet de France 2, avec le reportage qui reprend de nombreuses vidéos choquantes de l’agression

Toutes ces peines, qui ne sont que quelques leviers d’action parmi les principaux à actionner dans ce genre de cas, reflètent les plafonds prévus par la loi. La peine finale, s’il y a enquête et procès, sera fixée par le tribunal, en tenant compte de divers facteurs — les circonstances de publication ou de diffusion, par exemple, le profil de l’individu, et ses éventuels commentaires.

Il convient de rappeler que l’anonymat n’existe pas sur Internet. Il existe tout un attirail dans la loi permettant d’identifier un individu derrière un pseudonyme sur un réseau social — cela peut toutefois prendre du temps, au regard du nombre de dossiers à traiter et des moyens de la justice, qui sont depuis des années bien trop insuffisants pour un pays comme la France.

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