18 500 iPad en septembre, 60 000 sur quatre ans… Pour la rentrée des classes 2022, le département de la Seine-Maritime voit grand. Dans les prochains jours, les 13 500 élèves de 6ème des collèges du département, ainsi que l’équipe pédagogique (professeurs, chefs d’établissement, CPE…), recevront une tablette Apple chargée de les accompagner tout au long de leur scolarité. « Ce n’est pas un cadeau, c’est une mise à disposition d’un outil pédagogique », explique Bertrand Bellanger, le président LREM du département. Il s’agit du plus gros déploiement de tablettes dans des établissements scolaires à ce jour, ainsi que de la première grande expérimentation post-Covid. Le président du département voit ces milliers d’iPad comme un moyen de lutter contre les « inégalités sociales et territoriales », alors que l’Éducation nationale s’apprête à son tour à dévoiler une stratégie.
À quoi servira l’iPad dans les collèges ?
Au début de l’été, Numerama s’est entretenu avec Bertrand Bellanger pour discuter de son projet pendant une longue heure. Très rapidement dans notre discussion, le président du département 76 a souhaité anticiper d’éventuelles critiques, en s’adressant à la question des écrans :
L’iPad fourni par le département, dans le cadre d’un partenariat avec Apple, sera extrêmement restreint. Impossibilité de l’allumer après 20 heures, impossibilité de télécharger des applications, impossibilité d’accéder à la plupart des sites… « Ce n’est pas le gadget qui va permettre de regarder le soir Disney et compagnie » promet Bertrand Bellanger, qui ne souhaite pas voir son initiative détournée par les détracteurs du numérique.
Que pourront donc faire les élèves de 6ème sur leur iPad, qu’ils ramèneront chez eux le soir et devront entretenir jusqu’à leur arrivée au lycée ? Plusieurs exemples nous ont été donnés, comme :
- Regarder du contenu multimédia, comme des vidéos, en parallèle du cours.
- Apprendre à faire des recherches en ligne et à vérifier ses sources d’information.
- Mieux appréhender la méthodologie, à l’aide de logiciels dédiés.
- Participer à des quiz, avec le professeur qui utiliserait son iPad pour surveiller ce que font ses élèves en temps réel. Le professeur peut d’ailleurs contrôler tous les iPad d’un seul coup, grâce aux outils éducatifs d’Apple.
- Projeter au tableau un devoir, grâce au vidéoprojecteur de la classe.
- Accéder à leurs devoirs à distance, communiquer avec les enseignants et avoir un suivi pendant les vacances (avec de potentiels cahiers de vacances).
- Accéder aux notes, à la vie scolaire.
- Autre exemple original : se filmer dans le cadre de projets scolaires ou de cours d’EPS, pour améliorer ses mouvements. Certaines activités pourront être pratiquées à la maison, d’autres en groupe.
Bien entendu, l’iPad ne sera pas obligatoire pour les professeurs, qui donneront leurs cours comme bon leur semble. « L’usage de l’outil numérique peut avoir lieu 5, 10, 30 ou 50 minutes pendant le cours, c’est le professeur qui donne le tempo ». En revanche, les élèves devront venir tous les jours avec leur tablette. La particularité de ce projet est que l’on équipe un enfant pendant toute sa scolarité, et non pas seulement le temps de la classe.
Quid du remplacement des livres, fantasme dont tous les collégiens aux sacs trop lourds entendent parler depuis des années ? Ce n’est pas possible aujourd’hui en raison de consignes nationales. L’Éducation nationale souhaite privilégier les formats papier, ce qui limite la tablette « à un rôle de complément ». Il y a bien une médiathèque virtuelle avec 12 000 livres intégrés dans chaque iPad, mais les carnets de mathématiques ou de français ne seront pas accessibles dans une application. On peut toutefois imaginer que, si le/la prof est cool, il/elle enverra une photo de l’exercice aux élèves qui n’ont pas leurs livres avec eux.
La tablette pour lutter contre les inégalités, vraiment ?
Selon plusieurs études, l’utilisation d’outils numériques dans un cadre scolaire améliore les résultats des élèves. Un point auquel le département Seine-Maritime sera particulièrement attentif, dans le sens où il souhaite servir d’exemple pour le reste de la France. « Avec le numérique, les professeurs tiennent plus facilement leur classe en place. Ils ont plus facilement la capacité d’identifier celles et ceux qui ont abandonné ou sont sur le point de décrocher ». Le tout est d’autant plus important aujourd’hui que, deux ans après le premier confinement, on réalise aujourd’hui à quel point les inégalités numériques peuvent être un frein à l’éducation.
Pendant le confinement, tous les enfants n’étaient pas joignables. La faute à des familles sans accès au haut débit, à un matériel informatique obsolète, à une incapacité à pouvoir travailler dans un bon cadre à la maison… « Parfois, on a eu des devoirs transmis sur un téléphone », raconte le président du département, présentant l’absence d’équipement informatique à la maison comme un « démultiplicateur d’inégalités sociales et territoriales. » La Seine-Maritime a distribué 3 000 ordinateurs aux familles les plus modestes lors du second confinement, mais ça n’a évidemment pas tout réglé.
« Dans l’idéal, la tablette réglerait ce problème. Notre décision n’est pas de nature technologique, elle est vraiment inspirée par le souci de lutter contre les fractures. » L’iPad d’Apple peut-il mettre tous les élèves sur un pied d’égalité à la maison ? C’est le pari de cette rentrée 2022, avec en tête l’éventualité où les collèges devraient de nouveau recourir à l’école à la maison dans le futur. Cette fois-ci, ils auront accès à une interface conçue pour. Plus besoin de Zoom ou des mails pour joindre tout le monde.
Un contrat avec Apple à 40 millions d’euros
Ce qui peut étonner dans ce déploiement de tablettes est le choix du partenaire. Le géant américain Apple a été choisi, alors que d’autres régions/départements ont préféré opter pour des ordinateurs portables d’entrée de gamme, souvent européens. Pourquoi Apple ? Deux éléments sont cités par la présidence du département : « le savoir-faire d’Apple sur les usages », puisque la marque ne fournit pas qu’un outil, mais aussi des services, des applications et un support technique. Ainsi que la fiabilité de l’entreprise : « On a pris Apple sur le sérieux de la construction et de la maintenance des produits. On ne veut pas que les trucs soient jetés à la poubelle au bout d’un an. »
Le contrat entre le département Seine-Maritime porte sur 4 ans. Après avoir remporté un appel d’offres, Apple fournira 60 000 tablettes au département pendant 4 ans, contre un juteux contrat de 40 millions d’euros. Les 18 500 premières sont des iPad 9, les autres devraient correspondre à des versions plus récentes. Plutôt que de tout acheter d’un coup, le département mise sur un déploiement progressif. Les élèves de 6ème de 2022, qui seront en 3ème en 2025, auront un iPad 9. Ceux de 6ème de 2023, normalement, devraient avoir leur successeur.
Que se passe-t-il en cas de dégradation ? La tablette peut être désactivée à distance par le chef d’établissement, pour la rendre inutilisable. « On prend le risque de la casse, on part sur une projection aux alentours de 3% », explique Bertrand Bellanger.
À quand une stratégie nationale ?
Interrogé par Numerama sur le retard de la France en matière de modernisation de l’éducation, Bertrand Bellanger défend la stratégie nationale : « En France, on est pas mal par rapport aux voisins. Vous prenez des pays comme l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie, il y a une vraie disparité en fonction des régions. On peut avoir l’impression que la France est un peu plus difficile à remuer. Par contre, une fois que c’est en route, ça va beaucoup plus vite. »
Qu’en est-il vraiment ? C’est difficile à dire. Le système français laisse aux départements la gestion des collègues et aux régions celle des lycées, ce qui l’exonère de certaines responsabilités.
Logiquement, ce fonctionnement crée de nombreuses différences. Si tous les collégiens du département 76 auront un iPad dans leur sac dans quatre ans, ça ne sera pas le cas ailleurs où il n’y aura peut-être pas d’usage obligatoire de l’informatique. Autre incohérence, à la sortie du collège, les néo-lycéens de Seine-Maritime abandonneront leur tablette pour un ordinateur portable, puisque c’est la stratégie adoptée par la région.
Contacté par Numerama début août, le ministère de l’Éducation nationale a mis du temps à répondre à notre demande d’interview. Il a finalement choisi de décliner notre proposition « dans la mesure où une communication sur la stratégie globale de la DNE est prévue dans les mois à venir. » En matière de numérique à l’école, la France semble enfin sur le point d’annoncer des choses. Reste à savoir quand.
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