Nous le disons souvent, l’une des principales avancées permises par Internet a été de mettre – au moins en principe – chacun sur un pied d’égalité dans les possibilités d’expression publique. Alors que les médias étaient autrefois peu nombreux, et imposaient de fait un filtre entre la population et ceux qui peuvent s’adresser à elle, Internet a donné à chacun la possibilité de publier ici un texte, là une vidéo, sans aucun autre intermédiaire que la plateforme sur laquelle est publiée le contenu.
Or cette nouveauté fondamentale a des effets inattendus. En témoignent les confessions de l’animateur et humoriste Laurent Ruquier, qui a expliqué à Thomas Hugues sur Yahoo qu’il ne voyait plus l’intérêt de se produire en one-man show avec des gags sur l’actualité politique. Internet a tué l’originalité de l’exercice, et rend donc sa professionnalisation de plus en plus difficile.
« Le commentaire d’actualité est, si ce n’est à la portée de tout le monde, en tout cas multi-diffusé. C’est banalisé et donc beaucoup moins rare« , explique Laurent Ruquier. « Quand vous faites une vanne sur Frigide Barjot, avant on était 10 à la faire sur Paris. Aujourd’hui il y a 300 personnes qui font la même vanne, et qui en plus vous reprochent de leur avoir piquée, comme si avant Twitter je n’avais jamais écrit une ligne« , constate-t-il, un peu amer.
« Donc je ne me vois pas aujourd’hui remonter sur scène, parce que je trouve ça banal de commenter l’actualité. C’est une des raisons pour lesquelles je n’ai pas écrit ma prochaine pièce sur l’actualité. J’en ai moi-même marre, je suis un peu lassé de ça, et j’ai envie de passer à autre chose« .
En août 2011, Les Inrocks avaient publié un article sur le « Twitter Comedy Club« , constatant que « sur Twitter, l’actualité déclenche une avalanche de vannes souvent hilarantes« , et qu’il s’agit d’une « mine dans laquelle les humoristes piochent« .
« Il est de plus en plus fréquent d’entendre un chroniqueur radio ou télé sortir une vanne qui circulait déjà sur Twitter la veille, « coïncidence » qui provoque généralement les moqueries des twittos« , notait le magazine. « Même si, bien sûr, la paternité d’une vanne est évidemment impossible à prouver et qu’aucun humoriste ne reconnaîtra jamais ses « sources »…« .
Sans doute le même constat peut-il être fait pour d’autres professions. A commencer par les journalistes éditorialistes, qui étaient autrefois payés pour écrire ce qu’ils pensent, alors que des milliers d’internautes le font – parfois mieux – gratuitement chaque jour. Idem pour les musiciens professionnels, les auteurs de guides de voyage ou de livres de recette, ou encore les chroniqueurs de théâtre. Avoir un talent ne suffit plus en faire en métier. Encore faut-il qu’il soit rare dans un monde d’abondance.
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