Google se dit prêt à faire appel de l’amende record de 2,4 milliards d’euros infligée par la Commission européenne. Comment le géant peut-il contester juridiquement cette décision ? À quel rythme ? On fait le point sur la procédure.

Quelques minutes seulement après l’annonce par la Commission européenne de l’amende de 2,4 milliards d’euros infligée à Google pour abus de position dominante, le géant américain a fait part de son intention de faire appel de cette décision.

La firme de Mountain View se dit « respectueusement en désaccord » avec cette sanction — contre la mise en avant de son service Google Shopping, jugée illégale au vu des règles de la concurrence de l’Union européenne — et compte la contester juridiquement.

De quel moyen de recours dispose-t-elle et comment celui-ci s’articule-t-il ?

Un recours devant le Tribunal de la Cour de justice de l’Union européenne

Concrètement, Google doit se tourner vers le Tribunal de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) afin de demander l’annulation de cette amende. Cette juridiction de la CJUE est en effet habilitée à statuer sur « les recours en annulation introduits par des particuliers, des entreprises et, dans certains cas, les États membres ». Elle est habituée à traiter des affaires concernant le droit de la concurrence.

Contrairement à la Cour de justice de la CJUE — sa deuxième juridiction –, le Tribunal traite la plupart des affaires avec seulement 3 juges (5 maximum) et ses avocats généraux ne remettent pas de conclusions. Mais dans les cas les plus « complexes » ou les « plus importants » — potentiellement celui de Google — ils peuvent exceptionnellement siéger à 15 juges.

La procédure annoncée par Google devrait contenir deux phases : l’une écrite (obligatoire), l’autre orale (facultative). La première déclenche techniquement le recours : il s’agit d’une requête adressée par l’avocat de l’entreprise au greffe.

CC Sébastien Bertrand

Les arguments avancés par Google seront rendus publics

Les points essentiels de ladite requête sont publiés au Journal officiel de l’Union européenne et ainsi rendus accessibles au public, qui pourra savoir quels sont les arguments avancés par Google — comme cela avait été le cas pour Apple, qui avait fait appel de sa condamnation à payer 13 milliards d’arriérés fiscaux à l’Irlande par un recours en date du 19 décembre 2016, basé sur 14 moyens.

Le greffier du Tribunal transmet ensuite la requête à la partie concernée — en l’occurrence, la Commission européenne –, dispose d’un délai de 2 mois pour présenter un mémoire en défense.

Une requête écrite par un avocat ou par un agent et adressée au greffe ouvre la procédure. Les points essentiels du recours sont publiés dans une communication, dans toutes les langues officielles, au Journal officiel de l’Union européenne. Le greffier signifie la requête à la partie adverse qui dispose d’un délai de deux mois pour présenter un mémoire en défense.

cjue cour justice

Cour de justice de l'Union européenne.

Source : Transparency International EU Office

Plusieurs mois de procédure au minimum

Si Google a eu le temps de préparer les arguments de son recours face cette sanction qui planait depuis des années, l’entreprise pourrait toutefois travailler pendant plusieurs mois sur leur mise en forme avant d’entamer la procédure de recours. En pratique, Google ne pourra pas arguer que la Commission a outrepassé ses pouvoirs et violé la souveraineté d’un pays membre de l’Union européenne avec cette amende, contrairement à l’argument qu’avait invoqué Apple — avec le soutien du gouvernement irlandais.

Une éventuelle phase orale peut avoir lieu, qui entraîne la tenue d’une audience publique durant laquelle les juges peuvent poser directement des questions aux représentants de Google. La compilation de ces échanges est ensuite là encore mise à disposition du public.

Techniquement, le Tribunal peut choisir de suspendre l’acte attaqué — et ainsi « geler » l’amende. Toutefois, il faut pour cela réunir 3 conditions : le recours doit être basé sur un « fondement sérieux », il doit justifier de l’urgence de cette mesure suspensive sans laquelle il subirait un « préjudice grave et irréparable » et il doit enfin prendre en compte l’équilibre entre « les intérêts des parties et l’intérêt général ».

Microsoft

Le précédent Microsoft

Dans le cas de Google, une suspension provisoire paraît donc peu probable, au même titre qu’une procédure en accéléré, qui permet de statuer rapidement sur l’affaire à condition qu’elle justifie d’une « urgence particulière ». Le litige devrait s’étendre au minimum sur des mois, voire pendant des années, comme le montre la jurisprudence récente du Tribunal.

S’il est encore bien trop tôt pour savoir quelle décision celui-ci pourrait prendre dans cette affaire, son passif en matière de droit de la concurrence prouve qu’il peut se montrer plus ou moins indulgent avec la partie condamnée. Ainsi, le Tribunal avait confirmé, en 2007, l’amende de 497 millions d’euros infligée par la Commission à Microsoft pour abus de position dominante. Mais il avait en revanche réduit l’astreinte de 899 millions d’euros — l’entreprise ayant fait preuve de réticence à payer son amende — à 860 millions.

Par ailleurs, en 2011, le Tribunal a confirmé la décision de la Commission contre les deux concurrents de Skype qui accusaient Microsoft « d’effets anticoncurrentiels » à cause de la fusion prévue du service avec son entreprise. Il a estimé que celle-ci ne restreignait nullement la concurrence sur le marché des communications par Internet.


Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !