Une cour d’appel américaine a confirmé que Google avait bien le droit de numériser tous les livres qu’il voulait aux États-Unis, sans l’autorisation des ayants droit.

On croyait l’affaire devenue obsolète depuis l’accord de licence passé en 2012, mais voilà qu’elle resurgit de façon spectaculaire. Selon Law360, la justice américaine a jugé vendredi en appel que Google avait bien le droit de numériser et d’indexer tous les livres qu’il voulait dans leur intégralité, sans avoir à demander l’autorisation des ayants droit.

Le jugement intervient plus de 10 ans après la première plainte déposée aux États-Unis par la Guilde des Auteurs. L’organisation syndicale s’était opposée à ce qu’une entreprise puisse indexer le contenu de livres entiers sans rémunérer les auteurs, même si les livres en eux-mêmes n’étaient pas mis à disposition du public par Google, qui se contentait d’en afficher de courts extraits.

En deux temps

La décision confirme celle de première instance obtenue en 2013, qu’avait parfaitement résumée Lionel Maurel sur son blog SILex :

En mars 2011, le juge Chin avait refusé de valider un Règlement par lequel Google, la Guilde des Auteurs et l’Association des éditeurs américains avaient essayé de mettre fin à leur différend sur une base contractuelle. Ils avaient voulu mettre en place un système complexe qui aurait permis à Google, en contrepartie de 125 millions de dollars,  de commercialiser les livres épuisés numérisés par ses soins, sur la base d’un opt-out (option de retrait laissée aux titulaires de droits pour sortir du système). Chin avait refusé d’entériner cette solution, en estimant qu’elle risquait de conférer à Google un monopole de fait sur la numérisation à but commercial, en particulier pour les oeuvres orphelines faisant partie du corpus.

Google a donc été obligé de revenir à l’intention initiale du projet Google Books, à savoir scanner des ouvrages, y compris sous droits, mais uniquement pour en diffuser de courts extraits (snippets) répondant aux requêtes des utilisateurs. Pour aller plus loin (montrer des portions plus larges, vendre des ouvrages), Google doit passer par des accords volontaires, avec les éditeurs et les auteurs (opt-in).

C’est ce mode de fonctionnement qui était encore considéré comme une violation du copyright par la Guilde des Auteurs, mais sans réussir à convaincre le juge Chin qui a accepté au contraire de considérer que cet usage était légitime et relevait du fair use

La cour du Second Circuit a appliqué la doctrine du Fair Use spécifique au droit américain, qui permet au public d’exploiter des œuvres sans l’approbation préalable des auteurs, à condition qu’il s’agisse d’un « usage raisonnable » , dont le cadre est précisé au fil de la jurisprudence. Il a estimé que l’indexation réalisée pour réaliser un moteur de recherche de livres et afficher de très courts passages liés à la requête était une utilisation suffisamment « transformative » pour ne pas faire concurrence à l’œuvre elle-même.

Augmenter l’accès à la connaissance

Mieux, la cour d’appel a estimé que le service Google Livres « augmente l’accès du public à la connaissance en rendant disponible des informations sur les livres des plaignants sans fournir un substitut » qui se suffirait à lui-même, La justice n’a pas retenu l’argument selon lequel des internautes pourraient se contenter de rechercher l’information contenue dans un livre plutôt que d’aller acheter le livre pour la découvrir. Ou en tout cas, elle n’a pas jugé que le risque était assez important et généralisé pour brider le droit de Google à numériser des collections entières d’ouvrages.

Jurisprudence oblige, la numérisation des livres va donc pouvoir prendre son envol aux États-Unis, y compris par des entreprises moins fortunées que Google qui n’avaient pas les moyens de signer des accords privés. Voire, pourquoi pas, par le biais de projets collaboratifs entre internautes.

En France ?

En France en revanche, à la suite d’une première condamnation judiciaire en 2009, Google a dû très vite signer des accords particuliers, d’abord  avec La Martinière, avant de signer un accord plus général avec Le Syndicat National de l’Edition (SNE) et la Société des Gens de Lettres (SGDL), en juin 2012. Il ne peut rien faire avec les livres des éditeurs qui ne sont pas couverts par de tels accords. Pas plus que Google que n’importe quel autre acteur.

Le législateur a par ailleurs adopté la loi sur les livres indisponibles du 20ème siècle, qui crée le registre ReLIRE géré au nom des auteurs par la Bibliothèque nationale de France.Elle limite drastiquement les possibilités d’exploiter numériquement des livres anciens qui ne seraient plus distribués dans le commerce, y compris lorsque les auteurs ou leurs héritiers ne sont pas connus ou ne peuvent plus être contactés.


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