Le président de l'Assemblée nationale s'est dit "un peu gêné" par la manoeuvre du gouvernement, qui a présenté en dernière minute comme un simple "amendement de précision" un texte qui amoindrit la protection offerte aux lanceurs d'alerte des services de renseignement.

"J'ai vu l'amendement du Gouvernement arrivé à la dernière minute sur mon bureau de l'Assemblée Nationale. Il était présenté comme un amendement rédactionnel. Je dois dire que j'étais un peu gêné". Interrogé ce jeudi matin par Jean-Jacques Bourdin sur RMC et BFM TV, le président de l'Assemblée Nationale n'a pas caché son malaise à voir que Bernard Cazeneuve a réussi à faire adopter au Parlement un amendement de dernière minute qui mine encore un peu plus la maigre protection des lanceurs d'alerte en France.

Pour éviter les divulgations fâcheuses dans la presse, le très cadré mécanisme d'encadrement des lanceurs d'alerte créé par la loi sur le renseignement fait obligation aux Edward Snowden en puissance de signaler les illégalités dont ils auraient connaissance exclusivement à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), laquelle dispose seule du pouvoir d'alerter le parquet. En échange, les lanceurs d'alerte ne seront pas poursuivis, et bénéficieront d'une protection dans leur avancement de carrière, au moins sur le papier.

Présenté comme un "amendement de précision", c'est-à-dire comme une modification qui ne change rien à la substance du texte, l'amendement n°7 du gouvernement présenté mardi supprime toutefois l'alinéa qui devait permettre aux whistleblowers de l'Etat de transmettre à la CNCTR des "éléments ou informations protégés au titre du secret de la défense nationale", ou qui sont "susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnels ou des missions". Il s'agissait d'une disposition ajoutée en guise de bonne foi par la commission mixte paritaire, mais dont le Gouvernement n'a pas voulu même si la CNCTR est elle-même astreinte au respect du secret-défense. 

On pouvait croire à cet égard que la disposition ajoutée par la CMP n'avait guère d'intérêt juridique, puisque ce n'est pas parce que le texte ne dit pas explicitement que l'agent "peut" transmettre des informations secret-défense à la CNCTR qu'il ne le peut pas. La faculté est implicite, puisque c'est le rôle-même de la CNCTR que de recevoir des informations sensibles pour exercer sa mission de contrôle. 

Mais l'intention du gouvernement est pourtant bien de l'interdire, puisque les motifs de l'amendement dit "de précision" disent précisément qu'il "garantit que la sécurité des personnels ne sera pas mise en danger d[u] fait [d'une alerte transmise à la CNCTR], ni le bon déroulement des missions légitimes entravé".

Claude Bartolone a dit espérer que les décrets d'application lèveraient l'ambiguïté, mais il n'est prévu aucun amendement pour cet article, qui n'en appelle pas.

Peut-être le Conseil constitutionnel aura-t-il l'occasion, par le jeu des réserves d'interprétation, de confirmer que le droit de transmettre des informations protégées à la CNCTR était bien implicite, et doit être garanti.


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