Le grand projet de loi sur le numérique sera envoyé dans les prochains jours au Conseil National du Numérique, avant une présentation en conseil des ministres au mois de juin. Le texte sera composé en deux volets, l'un économique, l'autre sur les libertés. Mais les deux peuvent-ils vraiment être séparés ?

Selon des informations du Figaro, le grand projet de loi sur le numérique est en cours de finalisation et sera transmis pour avis dans les prochains jours au Conseil National du Numérique. Ce dernier, qui peine à exister sous le gouvernement socialiste, "aura trois mois, entre mars et juin, pour formuler ses observations et ses recomman­dations sur la pre­mière version du texte, avant une présentation en Conseil des ministres en juin", précise le quotidien.

Le projet de loi, dont nous avons déjà détaillé les grandes lignes dans un article sur les principes et limites de l'Habeas Corpus Numérique, sera composé en deux volets.

Le premier qui sera porté par Fleur Pellerin sera essentiellement économique, et visera à renforcer la compétitivité des entreprises françaises dans le secteur du numérique. L'autre volet, qui sera porté par la ministre de la justice Christiane Taubira, s'adressera aux questions fondamentales des libertés sur Internet, avec un texte qui affirmera des droits, mais créera aussi voire surtout une série de devoirs, aussi bien pour les internautes que les professionnels. 

Séparer l'économie du sociétal, est-ce bien raisonnable ?

Il sera à cet égard intéressant de voir comment le gouvernement entend séparer les aspects économiques et sociétaux, alors qu'ils sont très souvent intrinsèquement liés.

Par exemple, le projet de loi sur le numérique doit aborder la question du régime de responsabilité des hébergeurs et éditeurs de services en ligne, à travers une remise en question de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN). Il s'agira de renforcer les obligations de suppressions ou de filtrage des contenus illicites ou potentiellement illicites, ce qui pèsera sur la vie économique des entreprises soumises à un tel régime, et sur les libertés des internautes qui utilisent ces services pour s'exprimer. La loi doit aussi "assurer un contrôle effectif" des mesures de filtrage ordonnées par la justice, ce qui ouvre le spectre d'un outil de filtrage automatisé comme souhaite le vendre TMG, la société qui envoie les PV à l'Hadopi.

De même, la loi sur l'Habeas Corpus numérique devrait s'intéresser à la question ultra-sensible de la neutralité du net. Fleur Pellerin avait dit vouloir "inscrire dans la loi le principe d'un internet ouvert", mais en précisant immédiatement que "ouverture ne veut pas dire naïveté", et qu'elle "veillerai(t) tout particulièrement ce que l’ensemble des acteurs du numérique puissent participer de manière équitable au financement des infrastructures et de l’écosystème français". Or on ne peut poser des exceptions au principe de la neutralité du net, pour des motifs économiques, sans porter atteinte aux libertés (d'expression, d'entreprise, de communication…) que ce principe assure.

De même pour la CNIL, dont le texte est censé renforcer les pouvoirs en matière de protection de la vie privée des internautes. Il s'agit d'une mesure de protection des libertés, mais qui aura des incidences économiques certaines, au point que le représentant français du numérique à Bruxelles avait jugé la CNIL "ennemie de la Nation", parce qu'elle empêcherait les start-up de collecter les données librement.

Etc., etc.

Plus que jamais avec Internet, le sociétal et l'économique ne peuvent être séparés. Ils sont liés et doivent être pesés l'un avec l'autre, pas l'un après l'autre, ou à côté de l'autre.

Et l'on peut craindre qu'à défaut de trouver de la place dans l'agenda parlementaire, déjà surchargé, le volet "libertés" ne finisse par être sacrifié (remis à plus tard, officiellement) au profit du volet "économique".


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