En vertu d'un contrat passé avec YouTube, Universal Music peut s'opposer à toute remise en ligne d'une vidéo dont il a demandée la suppression, y compris lorsque la loi sur les droits d'auteur n'est pas violée par l'internaute censuré. C'est ce qui est arrivé à un critique musical américain.

Le mois dernier, le Conseil National du Numérique (CNNum) expliquait que certains acteurs devenus incontournables sur Internet avaient un tel poids que leur usage "relève presque du service public". Cette remarque en apparence anodine, en marge d'un rapport sur la neutralité du net, est lourde de sens. Elle implique que certains services privés ont une responsabilité sociétale qui dépasse leur propre liberté, notamment contractuelle. 

C'est notamment le cas pour YouTube, qui est utilisé par un milliard d'êtres humains sur Terre chaque mois, et qui a donc une responsabilité particulièrement lourde dans l'exercice effectif des libertés d'expression et de communication. La plateforme doit les conjuguer avec le respect des droits d'auteur, mais la filiale de Google semble avoir du mal à trouver cet équilibre essentiel. Pour protéger ses intérêts commerciaux, YouTube tend à favoriser les ayants droit, à un point devenu redoutable. 

On savait déjà qu'Universal Music avait depuis 2009 un accord contractuel avec YouTube, qui lui a notamment permis de censurer une chanson à la gloire de MegaUpload, alors que la maison de disques n'avait aucun droit d'auteur ou droit voisin à faire valoir sur la vidéo en question. Ce contrat permet à la maison de disques d'aller plus loin que le processus de retrait des contenus piratés prévu par la loi DMCA aux Etats-Unis, en permettant à Universal d'obtenir le retrait de toute vidéo qui porterait atteinte à ses droits, de toute nature.

En fin d'année dernière, YouTube a mis en place une procédure pour permettre aux internautes de faire appel d'une suppression abusive de contenus, ce qui est particulièrement utile lorsqu'une vidéo a été supprimée automatiquement et à tort par le système Content ID, qui compare les vidéos uploadées avec une base de signatures de vidéos protégées. Les exemples d'abus de ce système se multipliant, YouTube avait mis en place la procédure pour permettre aux internautes de remettre leurs vidéos en ligne, et pour obliger les ayants droit à véritablement regarder les vidéos dont ils demandent la suppression, pour se rendre compte par eux-mêmes de certains excès de zèles inutiles.

Mais voilà que certains ayants droit ont la possibilité de faire opposition à cette procédure d'appel, sans se justifier. TorrentFreak révèle en effet que les pouvoirs d'Universal (et peut-être d'autres ayants droit) sont encore montés d'un cran. En l'espèce, un passionné de musique a publié sur YouTube une vidéo dans laquelle il diffusait, dans une qualité dégradée, un court extrait d'une chanson produite par Universal, pour en faire un commentaire critique. Parce que la musique a été "reconnue" par le logiciel Content ID, toute la vidéo a été supprimée. Le blogueur a donc utilisé la procédure d'appel pour expliquer qu'il ne s'agissait pas d'une contrefaçon mais d'un long commentaire critique au cours duquel il diffusait un extrait,et qu'il s'agissait donc d'une utilisation équitable (fair use) acceptée par la loi américaine sur le droit d'auteur.

11 jours plus tard, YouTube lui a fait savoir qu'Universal maintenait sa demande de suppression de la vidéo, sans aucun argument à l'appui, et que la plateforme ne pouvait plus rien pour lui. Pourquoi ? Parce que "YouTube a une obligation contractuelle envers cet ayant droits spécifique, qui nous interdit de remettre les vidéos dans de telles circonstances".

Le 2 avril dernier, YouTube a ajouté (ou mis à jour) sur son site une page sur les vidéos "supprimées ou bloquées en raison des obligations contractuelles de YouTube". Elle est très explicite sur le chantage auquel le site de Google a accepté de céder :

YouTube a conclu un accord avec certains titulaires de droits d'auteur nous autorisant à utiliser leurs enregistrements audio et leurs compositions musicales.  

En échange, certains de ces titulaires de droits d'auteur nous demandent de suivre des processus spécifiques pour gérer les vidéos contenant leurs enregistrements audio et/ou leurs compositions musicales sur YouTube. En vertu de ces accords, ces propriétaires peuvent nous demander de supprimer certaines vidéos de notre site, de bloquer d'autres vidéos dans certains pays, ou d'empêcher la réactivation de vidéos spécifiques suite à une notification de contestation. Dans certains cas, cela signifie que les appels relatifs à Content ID et/ou les processus de notification de contestation ne seront pas disponibles.

Universal a donc, de fait, les pleins pouvoirs pour demander la censure d'une vidéo qui exploite le moindre extrait de sa musique. Et tant pis pour la liberté d'expression.


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