Lors du salon Demain Le Livre qui avait lieu le 9 et 10 mars dernier, Google dévoilait officiellement son projet de librairie numérique en ligne. Présentée par Philippe Colombet, l’un des responsables de Google France, la plate-forme devrait être assez proche de ce que fait l’App Store d’Apple ou le Kindle Store d’Amazon. Prévue pour cet été, la librairie devrait être compatible avec l’ensemble des appareils disponibles sur le marché. Du côté de la tarification, Google devrait donc reverser 65 % du prix de la vente aux ayants droit, le reste (35 %) allant dans sa poche.

Mais si les éditeurs sont au moins curieux de voir ce que proposera Google avec sa librairie numérique en ligne, cette nouvelle incursion du géant américain dans les « affaires » françaises ne ravit pas Frédéric Mitterrand. À l’occasion du Conseil du Livre qui s’est déroulé le 22 mars dernier, le ministère de la culture et de la communication a réaffirmé son attachement à « la création d’une véritable offre numérique alternative à Google Livres par l’utilisation d’une partie des crédits du Grand Emprunt national pour redonner vie aux centaines de milliers d’œuvres du XXème siècle désormais indisponibles à la vente (estimées entre 500 000 et un million)« .

Cela n’est pas sans rappeler la posture très gauloise de certaines personnalités politiques sur le dossier de la numérisation des ouvrages. le 10 décembre dernier, Nicolas Sarkozy s’autorisait une charge contre la firme de Mountain View et son projet de numériser et d’indexer les œuvres littéraires françaises sur le web : « nous ne nous laisserons pas dépouiller de notre patrimoine au profit d’une grande entreprise, quand bien même celle-ci serait sympathique, importante ou américaine. Nous n’allons pas laisser ce que des générations et des générations ont produit en langue française être ainsi récupéré, juste parce que nous ne serions pas capable de financer notre propre projet de numérisation« .

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et des rapports ont été rédigés. L’un d’entre eux a d’ailleurs rappelé que les moyens nationaux en matière de numérisation sont à des années-lumière des capacités de Google. C’est ainsi que la commission des finances a approuvé « les orientations du récent rapport de Marc Tessier proposant d’effectuer une numérisation aussi exhaustive que possible du patrimoine de la Bibliothèque nationale de France et, dans le cadre d’un partenariat avec Google, d’échanger des fichiers, ou à défaut de mettre en place une filière commune de numérisation« .

« Selon les calculs de la commission des Finances, avec les moyens actuels de la Bibliothèque nationale de France, il faudrait environ 750 millions d’euros et 375 ans pour numériser l’ensemble des ouvrages » avait souligné Yann Gaillard, responsable du rapport sur « la politique du livre face au défi du numérique« . Une tache impossible à accomplir rapidement sans l’aide de différents acteurs, qu’ils proviennent du secteur public ou privé.

Par crainte de l’ogre Google, le gouvernement veut donc un accord aux auteurs et aux éditeurs qui s’articulera autour de quatre principes fondamentaux :

  • la numérisation intégrale du corpus aux frais de l’Etat via le Grand Emprunt.
  • un accord global sur un ensemble massif de titres, dépassant la négociation œuvre par œuvre mais avec des mécanismes souples d’entrée ou de sortie.
  • un accord sécurisé du point de vue juridique liant les trois parties.
  • un modèle de diffusion et d’exploitation commerciale des œuvres avec des mécanismes de répartition des revenus à définir.

La solution d’un accord global sur un ensemble massif de titres aurait l’avantage de prendre une longueur d’avance sur Google. L’entreprise doit pour sa part négocier parfois au cas par cas pour dématérialiser une œuvre. Souhaitons cependant que les différents acteurs agissent de concert et s’échangent ensuite les fichiers, plutôt que de perdre du temps à numériser plusieurs fois un même ouvrage.

Sur ce sujet, le ministère de la culture laisse la porte ouverte à Google, en s’appuyant sur les conclusions du rapport Tessier. Frédéric Mitterrand souhaite « la maîtrise des contenus par les acteurs publics et privés, mais sans toutefois nier l’importance prise par Google dans l’univers numérique et l’intérêt d’un dialogue avec cette firme, ou avec d’autres, pour accroitre la visibilité des contenus culturels français sur la toile, dès lors qu’elles respecteraient le droit d’auteur et qu’elles offriraient des conditions satisfaisantes pour les pouvoirs publics. L’échange de fichiers, suggéré par Marc Tessier dans son rapport, constitue la piste privilégiée, sans en exclure d’autres« .


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