Une expérience virtuelle proposée par le centre Pompidou, en partenariat avec Google Art & Culture, permet de « jouer » musicalement le plus grand tableau de Vassily Kandinsky, en s’inspirant de sa synesthésie.

Peintre à l’origine d’immenses chefs-d’œuvre colorés, Vassily Kandinsky est considéré comme le père moderne de l’art abstrait. Son don était décuplé par un phénomène neurologique de synesthésie : la capacité de connecter certains sens entre eux. Kandinsky reliait les couleurs et les sonorités — comme s’il pouvait voir la musique et entendre les couleurs, ce qui a influencé sa façon de travailler et, ainsi, toute son œuvre. Il pensait que les sons et les couleurs font écho à des émotions spécifiques et profondément enfouies en notre for intérieur. Ce faisant, l’art est pour lui un dialogue intime avec l’âme de chacun et chacune.

Le centre Pompidou s’est associé à Google Arts & Culture afin de créer une exposition virtuelle inédite intitulée Dans l’intimité de Kandinsky. En plus de la numérisation d’images parfois inédites issues des dotations de Nina Kandinsky — son épouse — au centre Pompidou, le clou du spectacle se trouve dans une expérience interactive, Play a Kandinsky, qui permet de « jouer » musicalement son tableau le plus célèbre, Jaune-rouge-bleu.

À chaque mouvement du tableau, des sonorités associées recréées par machine learning. // Source : Kandinsky / Centre Pompidou / Google Art & Culture

À chaque mouvement du tableau, des sonorités associées recréées par machine learning.

Source : Kandinsky / Centre Pompidou / Google Art & Culture

« Ce n’est pas un art si instinctif, il est très codifié, théorisé, pensé, parce qu’il exprime des émotions très complexes », nous explique Pierre Caessa, responsable du projet. Et Kandinsky avait en effet développé une vraie réflexion autour de la création picturale, que l’on retrouve d’ailleurs dans son ouvrage Du spirituel dans l’art. S’immerger dans l’esprit de Kandinsky ne pouvait donc se faire qu’à l’aide d’une experte : Angela Lampe, curatrice des œuvres du peintre au centre Pompidou.

Elle a ainsi accompagné des artistes comme Antoine Bertin et NSDOS dans la conception d’un algorithme visant à réinterpréter Jaune-rouge-bleu. La synesthésie étant un phénomène individuel, elle s’applique différemment à chaque personne. Au fil d’un travail étalé sur deux ans, Angela Lampe devait guider les artistes du projet pour qu’ils saisissent pleinement comment le célèbre peintre interprétait les formes, les couleurs, les sons ; comment il reliait tous ces éléments ensemble en grands « mouvements ». À ce processus collaboratif humain s’est ajoutée la technologie algorithmique.

« Kandinsy avait l’habitude de peindre en musique »

« Kandinsy avait l’habitude de peindre en musique. La synesthésie avait une influence essentielle sur ce qu’il peignait. On a récupéré dans son atelier les disques de ce qu’il écoutait en peignant, nous les avons intégrés dans l’algorithme, qui a extrait les partitions et les a réinterprétées en musique moderne », développe Pierre Caessa auprès de Numerama. À partir de ces partitions que Kandinsky écoutait en peignant, l’algorithme de machine learning, entrainé par les artistes du projet, a pu reproduire ce que le célèbre peintre entendait probablement lorsqu’il a peint Jaune-rouge-bleu. 

L’expérience permet dans un premier temps de découvrir à quelles émotions et sonorités Kandinksy associait certains mouvements colorés (associations formes/couleurs). Un rectangle jaune représentait, pour Kandinsky, l’audace, l’excitation si ce n’est la rage, la folie ; déclenchant alors une atmosphère jazzy à base de trompettes. Un rond au bleu profond génère quant à lui le son pénétrant d’un orgue, inspirant musicalement une transcendance surnaturelle, du deuil à la paix intérieure.

Après cette découverte, il vous est ensuite possible de vivre vos propres émotions au travers du tableau. Un panneau de sélection vous intime de choisir des émotions qui vous caractérisent aujourd’hui. Elles seront jouées en mettant en évidence, symphoniquement, les parties du tableau que cela déclenche. D’ailleurs, si vous déclenchez toutes les parties du tableau en même temps, vous entendrez alors une sorte de cacophonie, vous plongeant dans l’esprit de Kandinsky et comment il se représentait l’œuvre dans son entièreté en la créant.

Le jaune inspirait à Kandinsky de l'excitation, de la joie, une forme de folie. Il entendait une atmosphère jazzy. // Source : Kandinsky / Centre Pompidou / Google Arts & Culture

Le jaune inspirait à Kandinsky de l'excitation, de la joie, une forme de folie. Il entendait une atmosphère jazzy.

Source : Kandinsky / Centre Pompidou / Google Arts & Culture

L’expérience permet de s’imprégner de toutes les nuances du Jaune-rouge-bleu, et, dans ces circonstances, la technologie devient un support pour nouer une relation intimiste avec le peintre. Ce n’est ni mieux ni moins bien que de voir le tableau sans ce filtre virtuel et interactif : il s’agit simplement d’une évocation sensorielle totalement différente qu’à l’accoutumée. On prend en tout cas la mesure de l’impact de la synesthésie dans le travail de Kandinsky pour faire appel aux émotions. Pierre Caessa nous confie d’ailleurs percevoir cette particularité comme « une sorte de super-pouvoir ». Le père de l’art abstrait pouvait « associer et codifier des choses que personne d’autre ne pouvait associer ». Pour le chef de ce projet, Kandinsky a pu « s’affranchir de certaines barrières pour nous emmener plus loin dans la compréhension du monde, sa compréhension ».

« C’est chez vous »

À cette expérience interactive, Google Art & Culture et le centre Pompidou ont associé d’autres « salles » virtuelles pour approfondir l’œuvre de Kandinsky. Une page permet notamment de trier 3 000 oeuvres de Kandinsky par couleurs dominantes, comme pour relire son travail après en avoir compris la teneur au travers de l’expérience interactive du tableau Jaune-rouge-bleu.

Même si le ton du projet reste scientifique en matière d’histoire de l’art, avec l’omniprésence d’Angela Lampe, « on voulait que le ton soit léger », selon Pierre Caessa. Il espère que le support technologique interactif puisse aider à évacuer les barrières physiques pour se plonger dans l’œuvre de Vassily Kandinsky. « C’est une façon de dire à tout le monde : regardez, on peut entrer dans le monde de Kandinsky autrement que dans un musée. C’est chez vous, vous n’avez pas à vous demander si vous êtes fait ou non pour entrer dans un musée d’art moderne, alors vous pouvez donner une chance à Kandinsky et à l’art abstrait », avant de vous rendre par la suite dans un musée, quand ils rouvriront, pour découvrir les collections de visu.

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