Facebook a-t-il eu raison de bannir Donald Trump ? Et surtout, faut-il continuer à l’exclure du réseau social ? Le site communautaire s’en remet à sa Cour suprême pour examiner ses choix et indiquer ce qu’il faut faire ensuite.

Dans le sillage de la décision de Twitter d’éjecter Donald Trump de sa plateforme, pour ses propos qui ont été considérés comme le déclencheur des scènes insurrectionnelles survenues à Washington le 6 janvier, de nombreux services ont à leur tour neutralisé la présence numérique de l’ex-président américain. Parmi eux, Facebook. Le réseau social a suspendu le compte jusqu’à l’arrivée de Joe Biden au pouvoir. À l’époque, la sanction devait durer au moins deux semaines, avec la possibilité de l’étendre.

Maintenant que la nouvelle administration s’est mise en place à la Maison-Blanche, et que Donald Trump a perdu ses atours présidentiels, le site communautaire est en train de se demander s’il a eu raison de procéder ainsi — et s’il faut continuer à exclure Donald Trump de la plus importante plateforme sociale du web. Sheryl Sandberg, la numéro 2 de la société, y est favorable. Néanmoins, l’entreprise estime aujourd’hui qu’elle a besoin d’une validation externe de sa politique.

« Nous pensons que notre décision de suspendre l’ancien président Trump était la bonne, mais nous ne pensons pas que nous devrions faire ces choix nous-mêmes. Vu l’importance de la question, nous avons renvoyé cette décision au Conseil de supervision. Pendant cet examen, l’accès de M. Trump restera suspendu », a déclaré Facebook sur Twitter, le 21 janvier. Le Conseil de supervision a annoncé dans la foulée avoir accepté la demande du réseau social d’examiner cette affaire, forcément délicate.

Une cour suprême de Facebook

Ce conseil de supervision fonctionne en quelque sorte comme une Cour suprême. Mise en place au cours du printemps 2020, l’instance comporte 40 membres et ses décisions ont le pouvoir de s’imposer à Mark Zuckerberg lui-même, le fondateur de Facebook. Toutefois, aucun dossier n’est examiné par la totalité de cette Cour suprême : c’est un panel de cinq membres qui sera constitué. L’instance a commencé à travailler en décembre 2020, avec six premières affaires, dont deux sont liées à la France.

Ses membres ont de fait un profil hautement juridique, avec des spécialités allant du droit constitutionnel au droit électoral, en passant par le droit international, le droit des enfants, le doit des personnes LGBT+ et le droit des personnes.. Toutefois, on trouve aussi des journalistes, une lauréate du Prix Nobel de la paix, une experte des modes de gouvernance et même une ancienne Première ministre du Danemark. Les personnalités retenues sont issues des quatre coins du monde.

« Ce Conseil a été créé pour traiter exactement ce genre de questions », a signifié la Cour suprême. « Nous offrons un contrôle indépendant et critique des décisions de Facebook qui ont d’énormes implications pour les droits de l’homme et la liberté d’expression dans le monde. Cette affaire est importante pour les gens aux États-Unis et dans le monde entier ». L’issue de la décision affectera aussi Instagram, filiale de Facebook, qui a pris une sanction similaire contre Donald Trump.

Facebook conseil de surveillance

Facebook conseil de surveillance

Source : Facebook

Il est à noter que le processus inclut un volet public, c’est-à-dire que des internautes ont la possibilité d’adresser des remarques sur cette affaire — cette procédure est aussi prévue pour les autres dossiers passant entre les mains de la Cour suprême. Ces commentaires doivent permettre de nourrir la réflexion des cinq responsables qui devront se pencher sur le cas de Donald Trump. Ces  cinq responsables n’ont pas encore été désignés. Ils doivent être annoncés dans les prochains jours.

Au cours de cette période, Donald Trump aura la possibilité de transmettre par écrit ses observations et indiquer pourquoi selon lui la décision de Facebook doit être annulée. Le réseau social aura lui aussi la possibilité de s’exprimer sur quels fondements il s’est appuyé pour arriver à la conclusion qu’il fallait éjecter l’ex-président américain, qui était alors en exercice. Les conclusions de la Cour suprême seront rendues publiques — de toute façon, il sera facile de constater ce qu’il adviendra du compte.

Quant à la durée de la procédure, celle-ci ne doit pas excéder 90 jours, rappelle le Cour suprême. Ses avis étant contraignants, Facebook aura à l’issue du verdict 7 jours pour se conformer à sa décision — cela concernera en fait la levée de la sanction, puisque dans le cas contraire, le réseau social n’aura rien de particulier à faire, le compte de l’ex-président américain étant déjà suspendu. D’autres obligations, techniques et juridiques, s’imposent par ailleurs à Facebook durant la procédure.

Donner de l’épaisseur juridique à la décision

La décision de Facebook de faire appel à sa Cour suprême peut être le témoignage de la volonté du site communautaire de soutenir son choix par une décision plus « juridique », qui validerait sa lecture des évènements — à supposer que le Conseil de supervision aille dans son sens. Elle peut aussi viser à montrer que le réseau social n’est pas tout puissant et doit se soumettre à des autorités supérieures. Qu’en somme, elle n’a pas forcément un pouvoir de vie et de mort numérique, y compris sur les chefs d’État.

Pour Facebook, cette Cour suprême lui permet aussi de se dégager partiellement de la responsabilité écrasante qu’il y a à être une plateforme fréquentée littéralement par des milliards d’individus, ainsi que par des personnalités de tout premier ordre — que ce soit des chefs d’État, des leaders d’opinion ou des responsables religieux. En faisant appel à une structure extérieure, le site communautaire essaie aussi de tourner une page et de faire taire, pour un temps du moins, les critiques visant ses règles.

« Que vous pensiez que la décision était justifiée ou non, de nombreuses personnes sont naturellement mal à l’aise avec l’idée que les entreprises technologiques aient le pouvoir d’interdire les dirigeants élus. Beaucoup arguent que des entreprises privées comme Facebook ne devraient pas prendre ces grandes décisions seules. Nous sommes d’accord », commente Nick Clegg, le responsable des affaires publiques de Facebook, et qui dans une autre vie a été…  vice-premier ministre du Royaume-Uni.


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