À 35 ans, Mark Zuckerberg peut-il décider seul des orientations d’un réseau social qui approche les 3 milliards de membres, sur des sujets aussi cruciaux que la vie privée et la liberté d’expression ? Sans doute n’est-ce plus possible. D’ailleurs, le fondateur de Facebook l’admettait déjà en filigrane en 2018 dans une publication sur son profil, en évoquant la nécessité de créer une surveillance indépendante et de mettre en place une transparence sur le fonctionnement de la plateforme.
Pratiquement un an et demi après ces réflexions, cette surveillance indépendante se met en place. Et il ne s’agit pas d’un gadget. Cette nouvelle structure doit opérer comme une vraie cour suprême : ses décisions s’imposeront au réseau social, même si cela contrarie les plans de Mark Zuckerberg ou s’il est en désaccord. « Facebook doit mettre en œuvre nos décisions, à moins que leur mise en œuvre ne soit contraire à la loi », prévient le conseil.
Forcément, le caractère obligatoire des directives de ce conseil de surveillance pose la question de l’indépendance de ses membres et de la structure elle-même. Pour éviter de prêter le flanc à la critique, il a été mis en place un processus de sélection, rendu public en septembre 2019 et qui s’est étalé sur plusieurs mois. Processus qui a ensuite été complété par une charte, l’annonce de statuts, la constitution d’une administration irrévocable et une indépendance financière pour ne pas nuire à son fonctionnement.
Des membres venus des quatre coins du monde
Dans le détail, Facebook n’a sélectionné que les quatre premiers membres, qui font office de coprésidents. Les seize autres retenus l’ont été sur la base d’un consensus entre le site et ce premier groupe. Ce sera la même démarche pour les vingt autres membres, car le conseil doit compter en tout 40 membres — et un minimum de 11 en toutes circonstances. Ensuite, le conseil décidera souverainement de remplacer ou d’ajouter des membres, sans que le réseau social ait son mot à dire.
Des dispositions ont été prises pour éviter que Facebook ne puisse renvoyer des membres et qu’ils ne soient pas soumis à un quelconque lien de subordination. Sur le plan financier, un fonds de 130 millions de dollars a été créé, lui aussi indépendant et irrévocable, pour assurer le fonctionnement de la structure. Par ailleurs et à toutes fins utiles, les membres rappellent que nombre d’entre eux ont critiqué publiquement la façon dont le site s’est comporté par le passé.
Les vingt premiers membres ont été annoncés le 6 mai. Un soin évident a été apporté à la diversité, puisque l’on compte dix hommes et dix femmes qui proviennent de tous les continents, dans ces proportions : l’Europe est représentée à 20 %, l’Amérique du Nord à 25 %, l’Extrême-Orient et l’Océanie à 15 % et les autres régions du monde (Afrique subsaharienne, Afrique du Nord et Moyen-Orient, Asie centrale et du sud, et Amérique latine et Caraïbes) à 10%.
Du fait des missions qui attendent le conseil, le profil des membres est évidemment très juridique. On trouve néanmoins aussi deux journalistes, l’ancienne Première ministre du Danemark, une spécialiste de la gouvernance ou encore une lauréate du Prix Nobel de la paix. Les spécialités juridiques vont des droits des hommes et des femmes, aux droits des personnes LGBT+, en passant par le droit constitutionnel, le droit international, le droit des enfants ou encore le droit électoral.
Reste maintenant une question : quelle sera la mission du conseil ? Évidemment, il ne sera pas possible pour cette nouvelle instance d’examiner chaque problème impliquant le réseau social avec l’un de ses membres. Cela paralyserait tout simplement ses activités. Ils ne sont que vingt, bientôt quarante, face à une plateforme qui compte des milliards de membres. Littéralement. Dans ces conditions, le conseil se focalisera sur des sujets qui sont les plus importants dans le monde réel.
Focus sur les enjeux les plus importants
C’est ce qu’expliquent Catalina Botero-Marino, Jamal Greene, Michael W. McConnell et Helle Thorning-Schmidt, les coprésidents du conseil de surveillance de Facebook, dans une tribune parue le 6 mai dans le New York Times. Ils auront notamment à se pencher sur des problématiques globales comme les discours de haine, le harcèlement, la protection des individus et la vie privée. Cependant, si le conseil se met au travail dès maintenant, il faudra attendre quelques mois avant de découvrir les premières décisions.
Sur le papier, il est question de permettre aux membres du réseau social, quand ils ne sont pas satisfaits d’une politique de modération mise en œuvre par le site, de faire un premier appel auprès de Facebook. Si cela ne va toujours, leur cas pourra être transmis au conseil, sans garantie toutefois qu’il sera traité. Facebook pourra lui aussi faire suivre des cas au conseil. Ce dernier pourra apporter des recommandations en matière de modération et Facebook aura la possibilité de réagir publiquement à ces conseils.
« Au cours des mois à venir, nous définirons la manière dont nous classerons et choisirons les dossiers à examiner en priorité. Une fois qu’un cas a été choisi, il sera examiné par un groupe de travail composé d’un ensemble de membres tournants. Toutes les décisions du panel seront examinées par l’ensemble du conseil avant d’être finalisées et si une majorité de membres n’est pas d’accord, ils peuvent demander à un nouveau panel de réexaminer l’affaire », expliquent-ils.
La mise en place de ce conseil est sans doute une bonne nouvelle pour le public, dans la mesure où Facebook ne sera plus juge et partie. Facebook était jusqu’à présent seul à décider du contenu qui peut rester en ligne ou doit être supprimé en dehors d’une décision de justice spécifique. C’est aussi peut-être un soulagement pour le réseau social, qui aura de fait la possibilité de se retrancher derrière le conseil de surveillance pour expliquer la mise en œuvre de certaines politiques de modération complexes et critiquées.
« Nous savons que nous ne pourrons pas satisfaire tout le monde.»
« Nous nous focaliserons sur l’identification des cas qui ont un impact réel, sont cruciaux pour le discours public et soulèvent des questions sur les politiques de Facebook », ajoutent les co-présidents. Cela dit, le conseil admet qu’il est impossible de fixer des règles qui satisferont toutes les sensibilités, toutes les opinions. Il y aura parfois des polémiques : « Nous savons également que nous ne pourrons pas satisfaire tout le monde. Certaines de nos décisions pourraient être controversées et toutes susciteront d’autres débats. »
Le rôle du conseil de surveillance, bien qu’inédit et majeur dans l’activité de l’entreprise américaine, ne vise de toute façon pas à se substituer à la loi. « Les décideurs politiques, les régulateurs et ceux qui s’intéressent aux effets de la technologie sur notre société continuent tous à avoir un rôle essentiel à jouer », rappellent les membres du conseil. Aux législateurs de tracer les lignes et aux régulateurs d’en assurer le respect, même si le celles-ci seront parfois contradictoires ou différentes d’une région du monde à l’autre. Un casse-tête pour Facebook, sur lequel le conseil ne pourra pas grand chose.
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