Ça y est : les enchères 5G sont terminées en France. Les quatre opérateurs en lice (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile) connaissent maintenant la quantité de fréquences en leur possession pour lancer le déploiement de l’ultra haut débit mobile, et combien cela va leur coûter. Il reste encore quelques étapes à franchir, mais elles sont secondaires et ne sont pas censées représenter une difficulté.
Cap sur la 6G, alors ? Si vous êtes las de toute cette effervescence autour des réseaux de téléphonie mobile, rassurez-vous : la prochaine génération des télécommunications n’arrivera pas de sitôt dans l’Hexagone, même si le sujet commence à apparaître dans le discours politique, à l’image du tweet de Donald Trump, posté en février 2019, ou bien de certaines déclarations européennes.
Dans un document de février appelant à façonner l’avenir numérique de l’Europe, Bruxelles défendait ainsi une « accélération des investissements dans la connectivité en gigabit de l’Europe, grâce à […] un plan d’action actualisé sur la 6G ». Un mois après, au sujet d’une nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe, la Commission prévenait que « l’Europe doit à présent investir si elle veut être à l’avant-garde des réseaux 6G ».
C’est aussi cette vision que valorisait Thierry Breton, en novembre 2019, lors de son audition devant les eurodéputés pour sa nomination au poste de commissaire européen (dont le portefeuille couvre le marché intérieur, la politique industrielle et le numérique, entre autres). L’ex-patron de France Télécom a déclaré vouloir « permettre la planification de la prochaine génération : la 6G ».
Les recherches sur la 6G sont en cours
Dans les faits, cette prochaine génération fait déjà l’objet de recherches. C’est ce que confiait Jean-Luc Beylat, le président de Nokia Bell Labs France, sur Twitter, début septembre. Et son groupe n’est pas le seul : Samsung aussi a publié un livre blanc. Ces deux entreprises planchent sur cette 6G, tout comme de nombreux autres industriels, de Huawei à LG, ainsi que des laboratoires et des universités.
Il y a même des symposiums consacrés à la 6G, dont un fin octobre rassemblant des représentants de Nvidia, Qualcomm, l’Agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense (Darpa), Ericsson, NTT DoCoMo, Facebook, T-Mobile, l’autorité de régulation des télécoms aux USA, Google et de nombreux universitaires et professeurs spécialisés dans l’ingénierie et les télécoms.
Si ces recherches commencent tôt, c’est parce que la gestation prend du temps — il faut compter une dizaine d’années entre deux générations, faisait d’ailleurs observer Jean-Luc Beylat. C’est d’ailleurs à peu près cette durée qui sépare le coup d’envoi de la 4G en France et celui de la 5G. C’est en 2011 que la 4G a fait ses débuts en France. Et c’est entre 2020 et 2021 que la 5G commencera sa carrière commerciale.
Il est d’ailleurs à noter que le déploiement de la 4G en France a aussi pris à peu près dix ans (la généralisation de la 4G sera atteinte en 2020, selon la Fédération française des télécoms, pour ce qui est du réseau actuel des opérateurs, mais il faudra attendre 2022 pour inclure les zones blanches). Quant à la 5G, les réseaux devront être complétés en 2030 — dix ans également donc.
Quoiqu’il en soit, la 6G est un sujet sur lequel ni le régulateur des télécoms ni son président, Sébastien Soriano, ne se positionnent aujourd’hui. Leur horizon immédiat est accaparé par le lancement de la 5G, mais aussi par d’autres sujets plus urgents, que ce soit le New Deal Mobile (qui consiste à apporter la 2G, la 3G et la 4G partout en France), la fibre optique ou encore le plan Très Haut Débit.
En clair, la 6G ne sera vraisemblablement un sujet qu’aux alentours de 2030. Voir après. En tout cas pour le grand public, et en Europe.
Ailleurs dans le monde, cette future norme de téléphonie mobile pourrait arriver un peu plus tôt. La Corée du Sud apparaît d’ailleurs comme l’une des nations les plus en pointe sur le sujet, avec la perspective d’un déploiement expérimental dès 2026, selon Business Korea, pour une commercialisation entre 2028 et 2030. 2028 est aussi la date qu’envisage Samsung, qui est d’ailleurs de nationalité coréenne.
Comme le fait observer Business Korea, les partenariats entre industriels, mais aussi avec des universités et des laboratoires, se multiplient en Corée du Sud depuis 2019, avec notamment Samsung, LG, l’Institut supérieur coréen de science et de technologie (KAIST), l’Institut coréen de recherche sur les normes et la science (KRISS), l’Université nationale de Séoul ou encore KT Corp.
Des usages envisagés, d’autres qui restent à inventer
Les usages de la 6G ne sont pas encore tous identifiés — d’ailleurs, c’est aussi le cas de la 5G et certains ne se manifesteront que plus tard. Cependant, dans les livres blancs des industriels comme dans les articles sur le sujet, plusieurs pistes sont évoquées : le site de l’université américaine Northeastern cite par exemple la chirurgie à distance, les espaces virtuels partagés ou même les robots qui recherchent des bombes sales.
Selon Business Korea, le gouvernement sud-coréen a sélectionné cinq domaines pour des projets pilotes sur la 6G : la santé, les contenus immersifs (réunions holographiques à distance en temps réel et non en présentiel), les voitures autonomes, les villes connectées (y compris dans les transports pour éviter les embouteillages) et l’industrie. C’est aussi à certains de ces usages que pense Samsung.
Les applications autour de la 6G pourraient davantage concerner l’industrie que le grand public, même s’il pourra en bénéficier indirectement grâce à la transformation numérique de certains secteurs économiques, et même s’il est attendu que certaines de ces applications lui arrivent dans les mains. Il est toutefois probable qu’à ce niveau, ce ne sera plus vraiment le visionnage d’une vidéo YouTube le vrai enjeu.
Dans son livre blanc, Nokia Bell Labs cite « une utilisation massive d’essaims de robots mobiles et de drones dans divers secteurs verticaux tels que l’hôtellerie, les hôpitaux, les entrepôts et la livraison », du sans-fil dans les centres de données, ou bien des répliques numériques fidèles, en haute définition et en temps réel. Par ailleurs, des applications nées avec la 5G feraient un bond en avant avec la 6G.
Les gains seraient systématiques, qu’il s’agisse de débits, de latence, de fiabilité, de vitesse de pointe, d’économie d’énergie ou encore de densité de terminaux. Selon Samsung, les débits passeraient de 20 Gbit/s à 1 000 Gbit/s, en pointe — en pratique le mobinaute aurait un débit de 1 Gbit/s, contre 0,1 Gbit/s (100 Mbit/s) en 5G. La latence chuterait à 0,1 ms, contre 1 ms.
Nokia Bells Labs envisage aussi des caractéristiques extrêmes avec la 6G, évoquant une précision centimétrique pour de la localisation et de la détection, une flexibilité et une capacité à changer d’échelle selon le degré de sollicitation (jusqu’à 10 millions d’appareils par km²), ou une rétrodiffusion ambiante de signaux pour transmettre des données sans batterie ni connexion au réseau électrique.
Des fréquences dans le haut du spectre pour la 6G
Pour donner corps à cette 6G, il faudrait se positionner très haut dans le spectre électromagnétique (puisqu’il s’agit de liaisons sans fil, il est nécessaire d’utiliser des ondes radio pour acheminer les communications), bien au-delà des mégahertz (MHz) ou des gigahertz (GHz). Avec la 6G, la tranche des gigahertz serait largement mobilisée et le seuil du térahertz (THz) serait même approché.
« À l’ère des systèmes 6G, nous prévoyons que des bandes sub-térahertz de 114 GHz à 300 GHz deviendront disponibles et pratiques », écrit Nokia Bell Labs. De son côté, Samsung fait observer qu’aux USA a été ouvert « le spectre entre 95 GHz et 3 000 GHz pour une utilisation expérimentale et des applications sans licence afin d’encourager le développement de nouvelles technologies de communication sans fil ».
Pour avoir un ordre d’idée, la 5G va se déployer sur une bande de 3,5 GHz et peut-être à long terme sur une autre à 26 GHz, voire, au plus haut, à 86 GHz ainsi que d’autres, plus petites (1,5 GHz, 700 MHz, mais aussi celles qui servent déjà à la 2G, 3G et 4G). Il est à noter également que c’est dans les fréquences térahertz que se situe la lumière visible, mais à un niveau encore bien plus élevé (428 THz à 750 THz).
Plus une onde a une fréquence élevée, plus elle contient de l’énergie. Dès lors se pose la question du risque sanitaire. Aujourd’hui, ce risque n’a pas été formellement démontré par la science, quand l’utilisation d’ondes radio respecte les seuils réglementaires. Ce qu’il faut noter, c’est que la 6G telle qu’elle est envisagée sera de fait moins énergétique que la lumière visible, ce qui donne une première indication.
La 6G étant encore à un stade très embryonnaire, ses caractéristiques sont susceptibles d’évoluer dans le temps, tout comme le choix des bandes de fréquences qui seront libérées pour son usage. D’ici là, la 5G aura certainement eu largement le temps de se déployer en France. Le plus dur cependant risque de ne pas être la dimension technique de la 6G, mais son acceptabilité sociale.
Il y a fort à parier que reviendront à ce moment-là les mêmes débats auxquels on assiste aujourd’hui autour de l’ultra haut débit mobile.
Des débats qui vont de la nocivité des ondes aux demandes de moratoire, en passant par l’impact écologique, la sobriété numérique, la pertinence des usages, le risque de dérive, la surveillance de masse, le piratage, l’espionnage et même le sens à donner à l’innovation — au point même de questionner le progrès lui-même. Et avec ces questions légitimes, les inévitables rumeurs et théories du complot.
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