C’est par un simple post sur Instagram que le milliardaire Jeff Bezos a réussi à faire la Une, ce 18 février 2020. L’annonce : la création du Bezos Earth Fund, un fonds dédié à la lutte contre le changement climatique. Au démarrage, il va débloquer pour sa part un total de 10 milliards de dollars, soit l’un des plus gros dons de l’histoire et environ 7 % de sa fortune actuelle. Au-delà de l’effet d’annonce, qu’est-ce qui la motive et en quoi ce don va-t-il véritablement aider à préserver l’environnement ?
Relevons que Jeff Bezos se pose ici en « mécène » : d’après les sources de The Verge, ce n’est pas un investissement, mais bien un don, sans retour financier sur l’argent débloqué. Ce n’est pas pour autant un mécénat fondamentalement désintéressé. En filigrane, il y a la question de l’image publique. La sienne autant que celle d’Amazon. L’entreprise est réputée pour sa désastreuse empreinte carbone : entre les livraisons ultra-rapides qui passent par les airs et les routes, le suremballage et l’import en flux tendu, ajoutées à bien d’autres pratiques écologiquement contestables, le modèle d’Amazon est un grand contributeur à la dégradation de l’environnement, au dérèglement climatique.
Pour redorer cette image, Jeff Bezos avait promis, lors d’une conférence de presse en septembre 2019, de coller aux objectifs de l’Accord de Paris dès 2040. Sauf que fin janvier 2020, un groupe de 300 employés, du nom d’Amazon Employees for Climate Justice (AECJ), signait une pétition pour demander à l’entreprise d’accélérer et de solidifier encore davantage ce plan de mitigation de l’empreinte carbone. En définitive, Amazon a du mal à s’afficher comme une multinationale « verte ». Les discours de Bezos n’aidaient pas, jusqu’ici, lui qui a plutôt les yeux tournés vers d’autres planètes avec son entreprise Blue Origin.
Ces dons seront-ils utiles ?
Quand des États et des organisations interétatiques lancent des fonds, il est facilement possible de connaître quelles en seront les applications exactes, puisqu’il y a un phénomène de transparence — toute organisation publique est censée pouvoir répondre de ses faits et gestes. C’est ainsi qu’il existe par exemple le Fonds vert pour le climat, une structure des Nations unies qui permet aux pays les plus riches de transférer des fonds aux pays en voie de développement afin qu’ils puissent établir plus facilement des structures d’adaptation au changement climatique. Passer à de l’énergie propre a en effet un coût élevé et soutenir les pays les plus pauvres dans la transition écologique est essentiel.
Un fonds comme celui-ci ne peut pas procurer des financements au-delà de sa mission réglementée — tout est très encadré. Mais dans le cas du Bezos Earth Fund, il s’agit d’un fonds privé. Jeff Bezos sera donc plus libre sur ses dons et ne sera pas obligé de donner plus de détails sur leur destination ou leur encadrement. Si les premiers financements tomberont dès cet été, il est possible que nous n’en sachions pas beaucoup plus, même à ce moment-là. Le seul objectif connu de ce don se résume pour l’instant aux mots de Bezos lui-même : « Cette initiative internationale va financer des scientifiques, militants, organisation non-gouvernementales — tout effort qui offre une vraie possibilité d’aider à préserver et protéger la nature ».
Projets d’innovation, ONG…
Quelle que soit la motivation de Bezos en matière de communication, il faut admettre que ce fonds, animé par l’objectif invoqué par le milliardaire, est une bonne nouvelle et on peut en imaginer les destinations. Financer des scientifiques, cela signifie subventionner des laboratoires publics ou privés, et des startups, développant des solutions au changement climatique : avec plus de fonds, ils peuvent embaucher plus de chercheurs, acheter davantage de matériel pour des expérimentations, ce qui accélère potentiellement les résultats en matière d’innovation.
Le milliardaire Grantham Mayo Van Otterloo, qui dédie maintenant une majorité de sa fortune à l’environnement, finance par exemple QuantumScape, une startup qui cherche à révolutionner les batteries. Cela donne très probablement un ordre d’idées du type de démarches que voudrait aussi soutenir un homme comme Jeff Bezos. En ce qui concerne les ONG, citées dans son post Instagram, tout dépendra là aussi de l’activité exacte qui les définissent. Une organisation dédiée à la sauvegarde de la biodiversité se servira des dons par exemple pour construire des infrastructures de refuges ou pour acheter du matériel médical.
Une annonce positive mais qui manque de cohérence
Selon Capital, seuls 2 % des dons philanthropiques vont aujourd’hui aux projets dits « verts ». Pourtant, le fait est que la lutte contre le changement climatique passe en grande partie par d’énormes dépenses dans la recherche de solutions et des projets qui peuvent coûter cher. Une somme aussi élevée que 10 milliards de dollars, quelle que soit ses destinations exactes, ne pourra qu’être positive dans ses effets concrets. On peut simplement craindre qu’une partie de ce fonds aille à des entreprises et associations proches d’un simple greenwashing — chose qu’il sera difficile à vérifier si Jeff Bezos ne laisse pas auditer ses activités.
Reste aussi le problème de la cohérence : Amazon étant l’un des gros contributeurs mondiaux aux émissions de gaz à effet de serre, ce mécénat de Jeff Bezos apparaît presque comme une compensation de ces dégâts causés par l’entreprise. C’est sur ce point qu’appuie l’Amazon Employees For Climate Justice dans un communiqué : « Nous applaudissons la philanthropie de Jeff Bezos, mais une main ne peut pas donner ce que l’autre enlève. Les habitants de la Terre ont besoin de savoir : quand Amazon va-t-il cesser d’aider les compagnies pétrolières et gazières à ravager la Terre avec encore plus de puits de pétrole et de gaz ? Quand Amazon va-t-il cesser de financer des groupes de réflexion qui nie le changement climatique comme le Competitive Enterprise Institute et la politique de retardement du climat ? »
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