Éric Trappier, le patron de Dassault Aviation, avait prévenu : sa réponse allait être fort peu diplomatique. Elle a effectivement été très incisive. À l’occasion de la présentation des résultats semestriels de son groupe, le PDG français a décoché une vive pique à destination de la Belgique, au cours des questions-réponses avec la presse. « Elle se fout de notre gueule », a-t-il lancé.
La raison de son emportement ? Le double jeu que Dassault Aviation voit dans l’attitude de Bruxelles au sujet des avions de combat. Le constructeur aéronautique reproche un positionnement incompréhensible du voisin outre-Quiévrain, qui désire tout à la fois entrer pleinement dans le projet du SCAF, tout en achetant encore plus d’avions américains.

Rejoindre le SCAF et acheter du F-35 : deux choix que Dassault ne comprend pas
Dans sa Vision Stratégique 2025, publiée le 21 juillet, jour de sa fête nationale, la Belgique a plaidé pour changer de statut au sein du programme visant à mettre au point un Système de Combat Aérien du Futur. Actuellement observateur, le pays a émis le souhait de devenir membre à part entière, comme la France, l’Allemagne et l’Espagne.
Or, dans le même temps, la Belgique continue pourtant de commander des avions de chasse F-35, y compris en pleine guerre commerciale entre les États-Unis et l’Europe. Celle-ci se poursuit toujours et son issue demeure très incertaine. Un ultimatum a été posé par le président Trump pour un accord avant le 1er août, sous peine de surtaxes de 30 %.

Dans sa Vision Stratégique, la Belgique a confirmé cette commande malgré le contexte transatlantique tendu. Ainsi, en plus des 34 appareils F-35 déjà commandés en 2018, Bruxelles entend procéder à l’achat de 11 avions de plus, pour atteindre une flotte de 45 engins. En décembre 2024, le pays a réceptionné le premier d’entre eux.
« Si je n’étais pas désagréable, comme je suis plutôt un diplomate, c’est bien connu, je dirais que si [la Belgique] renonce à acheter des F-35, elle est la bienvenue [dans le programme SCAF]. Si je n’étais pas diplomate, je dirais qu’elle se fout de notre gueule. Vous choisissez la bonne réponse », a-t-il répondu à une journaliste.


Au-delà de cette petite phrase, c’est le positionnement de la Belgique que Dassault dit ne pas comprendre. D’abord, en raison du conflit en cours sur les droits de douane, qui supposerait une solidarité européenne ainsi qu’une pression accrue sur Washington — par exemple, en suspendant les achats et les investissements. Ensuite, à cause du calendrier.
Deux avions aux calendriers décalés
M. Trappier a noté que si le SCAF va au terme de son aventure industrielle, cela signifie que la Belgique (et, de fait, tous les autres alliés du projet) achètera des avions de combat aux Européens dans 20 ans, vers 2045. En effet, c’est à cette date que doit entrer en service le chasseur de nouvelle génération, brique centrale du SCAF.
Or, il a aussi fait remarquer qu’un avion de combat dure entre 30 et 40 ans avant qu’arrive la nécessité de renouveler la flotte. Avec l’achat de F-35 qui commencent à être livrés à la Belgique, la nécessité d’un remplacement ne se posera pas avant 2055 ou 2065. Voire plus tard encore, avec les mises à jour matérielles et logicielles.
Dès lors, pourquoi la Belgique irait-elle sur le SCAF dans les années 2040 alors qu’elle sera déjà équipée de F-35 dont la carrière opérationnelle sera encore longue de vingt à trente ans ? C’est un peu la question posée en creux dans cette affaire. En raison des plannings décalés entre le F-35 et le SCAF, autant attendre le successeur du F-35.

Pour M. Trappier, que la Belgique achète du F-35 n’est pas un souci, même si ça ne va pas dans le sens des intérêts de l’Europe dans la défense. Ce qui le « surprend », c’est de le faire alors qu’elle dit vouloir rejoindre le SCAF. Or, rallier ce programme avec un statut rehaussé implique un repartage des tâches industrielles.
En creux, le patron de Dassault Aviation y voit une manœuvre bruxelloise pour obtenir du travail de la part des Européens à travers l’obtention de certaines activités (celles-ci sont réparties entre des industriels français, allemands et espagnols), tout en achetant américain. « C’est bizarre », a glissé le PDG de l’avionneur.
Les propos percutants d’Éric Trappier ne raviront sans doute pas toutes les oreilles des décideurs politiques en Belgique. Ils suggèrent aussi que le changement de statut demandé par le pays au sein du SCAF ne sera pas un long fleuve tranquille. La coopération à trois pays est déjà source de tension entre partenaires, notamment sur la gouvernance.
La Belgique suggère l’idée d’avoir une flotte mixte
De son côté, la Belgique détaille dans sa Vision Stratégique les raisons qui l’amènent à consolider sa flotte de F-35.
Outre les mérites de l’avion (il est furtif, difficilement détectable, équipé de capteurs de dernière génération et peut déployer avec une grande précision des armements air-air et air-sol, pour intervenir efficacement dans un large spectre de missions), il est aussi amené à être l’un des aéronefs les plus courants au sein de l’OTAN.

Rien qu’en Europe, douze pays l’ont acheté. « Cela en fait un pilier de l’interopérabilité et de la coopération transatlantique et européenne dans l’alliance. Cette interopérabilité se traduit en matière de logistique, de tactiques opérationnelles et de planification opérationnelle », est-il noté dans le document belge.
Cependant, au-delà des gains listés par Bruxelles (convergence stratégique, coopération industrielle et militaire, synergie pour la maintenance, gestion des pièces, génération de données, dissuasion, etc), l’idée d’une « flotte mixte composée de deux types différents d’avion de combat pourrait apporter une valeur ajoutée en matière de flexibilité stratégique. »
Ainsi, « à plus long terme, au-delà de 2040, […] une flotte mixte de F-35 avec un chasseur européen de 6ᵉ génération est une voie intéressante qu’il conviendra d’explorer », est-il spécifié. Comme le chasseur de nouvelle génération franco-germano-espagnol ? Pas sûr toutefois que cette idée suffise seule à convaincre Dassault.
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