L’astronomie est une science polluante. En particulier, les centres de recherche responsables de l’émission de plus d’un million de tonnes de CO2 chaque année. Mais des solutions existent pour en faire un domaine plus durable.

Explorer de nouveaux mondes, découvrir les secrets des étoiles, des galaxies, trouver une vie extraterrestre… Autant d’objectifs qui font rêver, à juste titre. Mais il ne faut pas oublier que derrière toute cette recherche astronomique, il y a d’importants développements technologiques qui s’accompagnent d’une certaine pollution.

C’est ce que pointe du doigt une étude parue le 21 mars 2022 dans Nature Astronomy. Des chercheurs français ont cherché à savoir à quel point l’astronomie était une science polluante. Et leur verdict est fracassant : le bilan carbone de ce domaine de recherche est désastreux avec pas moins de 1,2 million de tonnes de CO2 émises chaque année, ce qui est cinq fois supérieur à ce qui était estimé précédemment.

« Depuis longtemps déjà, la communauté des astronomes se penche sur son empreinte carbone, nous détaille le principal auteur Jürgen Knödlseder, chercheur CNRS de l’Université de Toulouse. Mais nous avons voulu nous intéresser plus spécifiquement aux observatoires au sol et dans l’espace. »

Les observatoires plus polluants que tout le reste

Avec son équipe, l’astronome a étudié les émissions d’une cinquantaine de missions spatiales ainsi que de quarante centres de recherches au sol, en prenant en compte la construction des installations, la consommation électrique, ainsi que le coût des lancements pour les missions spatiales. De leur aveu même, l’équipe n’a pas abouti à une mesure précise du taux de CO2 rejeté dans l’atmosphère, mais considère que son étude peut servir de point de départ avant des évaluations plus poussées.

« Ce dont nous sommes sûrs, promet Jürgen Knödlseder, c’est que ces observatoires représentent le premier pollueur dans le domaine de l’astronomie, bien au-delà de toutes les autres causes. » Car ce n’est pas la première fois que ce champ de recherche fait l’objet d’une auto-critique climatique. En septembre 2020, toute une série d’études paraissait dans Nature avec comme but de sonder l’impact carbone de l’astronomie, mais aussi d’apporter des solutions pour le réduire.

Les auteurs avaient alors conclu que plusieurs marges de progression existaient :

  • Première piste, multiplier les vidéoconférences et éviter autant que possible les voyages en avion pour assister à des réunions. Un changement qui a été encouragé avec la crise sanitaire ;
  • Utiliser des énergies renouvelables pour alimenter les superordinateurs responsables des calculs et du traitement des données. Ce sont des ensembles informatiques extrêmement énergivores et qui, en plus, sont appelés à s’étendre encore tant les données à recevoir sont chaque jour plus nombreuses.

À l’époque, ces études avaient été plutôt bien reçues par la communauté scientifique, qui avait salué cette prise de position et avait promis des efforts pour réduire l’impact environnemental de la discipline.

L'observatoire Vera-C.-Rubin en construction. // Source : Wikimedia/CC/Frossie (photo recadrée)
L’observatoire Vera-C.-Rubin en construction. // Source : Wikimedia/CC/Frossie (photo recadrée)

Seulement, l’étude de Jürgen Knödlseder est beaucoup plus impopulaire. « Nous proposons des solutions également, mais ça ne plaît pas à tout le monde… En gros, nous demandons aux chercheurs d’arrêter de s’amuser avec leurs jouets et d’en vouloir toujours plus. Ce qui est difficile à accepter. »

James Webb, un jouet désastreux pour la planète

Le symbole de ces jouets très (trop ?) polluants serait le télescope spatial James Webb (JWST). Lancé à Noël 2021, le successeur de Hubble censé être révolutionnaire, véritable bijou de technologie, est également responsable de l’émission d’au moins 300 000 tonnes de CO2 : il s’agit d’une estimation pour toute sa mission, de sa construction jusqu’aux 5 prochaines années (une estimation basse, car l’estimation haute prévoit plutôt 1 million de tonnes de CO2). Et même maintenant qu’il est lancé, les centres de recherches destinés à recevoir ses données continuent de polluer, qu’il s’agisse des bureaux, des antennes ou des ordinateurs. « C’est un projet de grande ampleur fait pour durer des années, précise Jürgen Knödlseder. Son empreinte carbone est énorme, d’autant plus qu’il ne remplace pas vraiment un ancien télescope, puisqu’aucun autre engin n’a été mis à la retraite. »

Non seulement, le JWST produit du CO2, mais en plus, il s’ajoute à d’anciens télescopes toujours en activité. S’il pollue autant, c’est parce que sa construction a duré des années, mais aussi parce que la quantité de données qu’il envoie est littéralement astronomique. Plus de 200 gigaoctets par jour vont circuler entre le télescope et la Terre lorsqu’il sera complètement opérationnel.

L’étude n’appelle pas à laisser tomber James Webb, mais les solutions avancées sont assez radicales pour la communauté astronomique. « Les efforts pour réduire l’utilisation des énergies fossiles ne serviront à rien si nous construisons encore d’autres centres. En ce moment, le Square Kilometre Array, un projet de radiotélescope, est en développement en Afrique du Sud et en Australie, et produira autant de CO2 que le JWST. » Et comme stopper un tel projet semble assez compliqué, le chercheur propose plutôt de supprimer d’autres télescopes plus anciens.

« Nous n’avons pas besoin de tant de données, déplore Jürgen Knödlseder. Nous en recevons tellement que nous ne pouvons même pas les traiter et que nous devons entraîner des intelligences artificielles à le faire à notre place ! Il faut savoir ralentir. »

Le télescope spatial Hubble. // Source : Flickr/CC/Nasa in The Commons (photo recadrée)
Le télescope spatial Hubble. // Source : Flickr/CC/Nasa in The Commons (photo recadrée)

Une décroissance de la science serait une solution, selon l’astronome qui appelle à faire moins, et surtout à se contenter de ce que nous avons déjà. « Il y a des dizaines d’années d’archives pas encore exploitées où se cachent peut-être des trésors. En ce moment, je travaille uniquement avec ces vieilles données amplement suffisantes. Peut-être que je vais moins vite, peut-être un peu moins loin, mais nous n’avons pas besoin de toujours tout avoir tout de suite. »

Le chercheur reconnaît que l’avancée de la science est importante, mais pas à n’importe quel prix. « Aujourd’hui, l’urgence c’est le changement climatique. Nous ne pouvons pas l’ignorer. »

Car si demain, des découvertes majeures pourront être attribuées au JWST, il n’en a pas toujours été ainsi. En 1995, la première exoplanète découverte fut le résultat d’une étude basée sur l’observatoire de Haute-Provence, un matériel loin d’être à la pointe de la technologie. La science peut donc peut-être se faire tout en sobriété.

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