Attendue en 2018, puis 2020 et 2022, la suite de la mission ExoMars est dans l’impasse. Plusieurs scénarios peuvent toutefois être écrits sur la suite. Mais cela implique d’attendre 2024, 2026 ou même 2028 selon les cas de figure.

Il n’y a plus de mission ExoMars 2022. La guerre déclenchée en Ukraine par la Russie a réduit à néant la perspective d’envoyer un astromobile européen sur Mars grâce à une fusée et une plateforme d’atterrissage russes. Politiquement, c’était devenu impossible de continuer la coopération avec Moscou alors qu’un conflit meurtrier contre Kiev est en cours depuis trois semaines.

Le fait est que les orbites respectives de la Terre et Mars appliquent une très forte contrainte sur le calendrier : on ne peut pas partir n’importe quand vers la planète rouge, en tout cas si on vise l’efficacité. Grosso modo, les créneaux de vol s’ouvrent tous les deux ans. Ne pas saisir la fenêtre de tir en 2022 signifie qu’il faudra attendre 2024.

L’arrêt de la coopération entre l’Agence spatiale européenne et son homologue russe Roscosmos n’était qu’une question de temps : un premier communiqué fin février affichait déjà une tonalité bien négative. Par ailleurs, les liens commençaient déjà à se distendre : on apprenait au même moment le retrait de la fusée russe Soyouz du centre spatial guyanais.

De cette situation peuvent émerger trois grands scénarios pour la suite.

Scénario 1 : le partenariat avec Roscosmos reprend

C’est l’hypothèse qui serait la moins contraignante d’un point de vue technique, car tout est déjà calé. L’Agence spatiale européenne devait fournir l’astromobile et la majorité des instruments scientifiques. Côté russe, on apportait le lanceur Proton et la plateforme de descente sur Mars, mais aussi deux instruments scientifiques sur le rover. Rien d’anecdotique, donc.

Cette photo remonte à 2014 : le directeur général de l'ESA, Jean-Jacques Dordain, et le directeur de Roscosmos, Vladimir Popovkin, signaient alors un partenariat entre les deux agences, pour ExoMars. // Source : ESA
Cette photo remonte à 2014 : le directeur général de l’ESA et son homologue chez Roscosmos, signaient un partenariat pour ExoMars. // Source : ESA

Mais un rabibochage aussi rapide nécessiterait de faire abstraction de la réalité politique du monde et il est impossible de s’en extraire. De toute évidence, la crise qui s’installe avec l’Occident est partie pour durer très longtemps, tout comme les sanctions, qui s’alourdissent semaine après semaine. Ce désastre ne pourra pas être rayé d’un trait de plume et laissera des traces.

À plus long terme, ce désastre pourrait-il être surmonté ? La fenêtre suivante serait 2024 et ce n’est que là qu’une coopération pourrait reprendre : il n’y aurait qu’à ressortir les plans qui étaient prévus pour septembre 2022, date prévue de la mission. Mais on n’en est pas là : l’ambiance est plutôt à l’inventaire de la coopération russo-européenne pour tout geler.

Scénario 2 : l’Europe ne compte que sur elle-même

C’est le scénario de l’autonomie stratégique dans le spatial, où l’Europe n’a pas besoin d’un partenaire pour mener la mission qu’elle veut. Mais cela rend un départ en 2024 inenvisageable, parce qu’il faut remplacer la Russie à tous les niveaux du programme, c’est-à-dire trouver des substituts (et les développer si besoin) et les tester dans un laps de temps très court.

Faudrait-il attendre 2026 alors ? Josef Aschbacher, qui est le nouveau patron de l’Agence spatiale européenne, estime que même cette échéance apparaît « très difficile », si l’on se veut réaliste. Selon l’ampleur des modifications qu’il y a à effectuer, il faudrait même ne rien attendre avant 2028. Et il y a aussi l’enjeu du coût, qui était supporté en partie par Roscosmos.

Vue d'artiste de la sonde Rosetta // Source : DLR German Aerospace Center Suivre
Vue d’artiste de la sonde européenne Rosetta arrivant sur une comète. Une comète ! // Source : DLR German Aerospace Center Suivre

Un lanceur de substitution comme Ariane est évidemment dans toutes les têtes, car le lanceur européen partage des caractéristiques et des performances proches de celles du Proton. Aujourd’hui, la version opérationnelle de la fusée est Ariane 5, mais une nouvelle version plus performante, Ariane 6, doit faire son vol inaugural en 2022. L’intégration promet d’être complexe.

En outre, comme le relève le journaliste Jeff Foust, qui a synthétisé le point presse de l’Agence spatiale, l’Europe dépend de la Russie pour certains composants, que ce soit les réservoirs en titane ou le propergol au xénon. Enfin, cela veut dire construire sa propre plateforme d’atterrissage : il y a eu certes un démonstrateur en 2016, avec Schiaparelli, mais il a échoué sur Mars.

Les deux instruments scientifiques russes sur le rover (un détecteur de neutrons et un spectromètre infrarouge) devraient aussi être remplacés. Enfin, il faudrait relever le défi du voyage vers Mars : ce n’est pas hors de portée, puisque l’Esa a déjà réussi des insertions orbitales très complexes (autour d’une comète par exemple), mais cela reste un sacré défi. Et puis il faut atterrir.

Scénario 3 : la Nasa vient à la rescousse

Dernier scénario le plus évident : la Nasa intervient pour apporter son aide et son expertise. C’est une piste très sérieuse, dans la mesure où l’Europe et les États-Unis affichent une excellente coopération dans le domaine du spatial. D’ailleurs, Josef Aschbacher a fait comprendre que la coopération de la Nasa est une option, et elle a montré une forte volonté de la soutenir.

Les États-Unis sont aujourd’hui les leaders de l’accès à Mars : depuis le milieu des années 60, ils ont enchaîné les missions de survol, d’orbiteur et d’atterrisseur. Le pays a déployé plusieurs astromobiles sur la planète rouge et, désormais, il est même question de procéder à un retour d’échantillon martien sur Terre au cours de la prochaine décennie.

Perseverance sur Mars (illustration). // Source : NASA/JPL-Caltech
Une image d’illustration de Perseverance, le rover de la Nasa, sur Mars. L’Amérique a démontré depuis longtemps sa capacité à envoyer des missions sur la planète rouge. // Source : NASA/JPL-Caltech

La Nasa permettrait d’absorber une partie du coût de la mission et pourrait fournir un certain nombre d’alternatives à la technologie russe. Il n’en demeure pas moins que le délai d’adaptation rend un rebond en 2022 inimaginable et 2024 paraît très incertain. Un calendrier plus raisonnable pour un partenariat entre l’Esa et la Nasa serait 2026 ou 2028.

Ironie de l’histoire, le projet ExoMars était à l’origine envisagé dans le cadre d’une alliance entre les deux agences spatiales. Des réflexions avaient été lancées au début des années 2000 pour un astromobile martien de conception européenne. Vu les enjeux financiers et techniques, la Nasa avait été associée au projet, mais elle avait dû se retirer au tournant de la décennie 2010.

L’agence spatiale américaine souffrait de difficultés financières notables (c’est à ce moment-là, notamment, que le président Barack Obama a abandonné la mission Constellation, ancêtre d’Artemis) l’obligeant à réduire la voilure. En conséquence, c’est vers Roscosmos que l’Esa s’est tournée. Finalement, on va peut-être assister à un retour aux sources.

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