Mission accomplie ! La sonde chinoise Chang’e 5 a bien ramené ses 1,7 kilo de roches lunaires pour les analyser en laboratoire. Un événement historique puisque personne n’avait récolté quoi que ce soit sur la Lune depuis 1976, ce qui fait de la Chine la troisième puissance après les États-Unis et l’Union Soviétique à réaliser cette prouesse.
Au vu de l’absence de missions lunaires de grande ampleur ces dernières décennies, il serait tentant de se dire que l’exploration de notre satellite était un objectif du passé. Pourtant, même si la technologie permettant de se poser sur la Lune sans encombre est connue depuis un demi-siècle, le faire à la manière de Chang’e 5 relève bel et bien de la prouesse technique. « La Chine a prouvé ici qu’elle pouvait jouer à armes égales avec les grandes puissances spatiales », considère Isabelle Sourbès-Verger auprès de Numerama, directrice de recherches CNRS et spécialiste de la politique spatiale chinoise.
Et pour cause, la mission chinoise avait une petite particularité par rapport aux précédents retours d’échantillons lunaires. Il ne s’agissait pas d’une capsule qui redécollait de la surface avec les cailloux et qui repartait vers la Terre, mais d’un engin qui se chargeait de roches, qui retrouvait un orbiteur pour transférer la collecte et seulement ensuite, cet orbiteur pouvait rentrer à la maison. Cela n’a l’air de rien, mais la méthode ressemble plutôt à celle d’une mission habitée et cela semble bien être la prochaine étape pour les Chinois.
Chang’e 5 ressemble donc à une mission charnière, une répétition générale avant le retour de l’être humain sur la Lune après un demi-siècle d’absence. Mais c’est aussi un tournant pour l’agence spatiale chinoise qui, pour la première fois, a fait vivre cette prouesse au grand public.
Il faut dire que pour les spécialistes du secteur, se renseigner sur l’actualité spatiale en Chine relève de l’exploit. Entre les communiqués diffusés uniquement en mandarin, les informations révélées au compte-gouttes et jamais clairement résumées pour le grand public, et le secret qui s’installe dès que la technologie impliquée a une dimension militaire, il est souvent difficile d’en tirer quelque chose d’exploitable.
Succès en direct et en HD
« Nous avons l’habitude d’avoir des informations par à-coups, confie Marie-Ange Sanguy, rédactrice en chef du magazine Espace et Exploration qui a suivi la mission de près. Parfois il se passe des mois, des années sans rien, et puis on apprend qu’une mission est quasi-prête à partir ! »
Une opacité qui n’est pas forcément volontaire de la part de dirigeants qui voudraient cacher leurs prouesses ou leurs échecs. Elle serait aussi imputable à un manque d’expérience dans le domaine de la communication, là où la Nasa par exemple fait des pieds et des mains pour intéresser le grand public au spatial, et au passage, justifier ses activités et son coût pour le contribuable.
Et au fur et à mesure que la mission Chang’e 5 approchait, c’est le même profil qui semblait se dessiner. Il n’y avait aucune image complète de la sonde elle-même, seulement des schémas basiques. Pas non plus de date de lancement — les curieux surveillaient les horaires d’interdiction de vols au-dessus de la base de lancement de Wenchang pour deviner quand partirait la fusée. Peu avant le jour fatidique, la date du 23 novembre commençait à être connue mais sans certitude encore. Alors la surprise fut de taille quand moins de 24 heures avant le compte à rebours, l’agence spatiale chinoise annonça un direct pour que tout le monde puisse suivre le décollage.
« Non seulement, la mission était à suivre en live, précise Marie-Ange Sanguy, mais en plus un live de qualité ! Des caméras multiples, de belles images, des commentaires de spécialistes… Le résultat était impressionnant ! »
La suite de la mission était globalement du même acabit avec encore des directs lors de l’atterrissage sur la Lune, accompagnés de superbes images prises sur place, mais aussi des mises à jour lors du rendez-vous orbital. Sans oublier une séquence mémorable après l’atterrissage de la capsule contenant les échantillons dans la neige.
«On sent qu’ils restent encore dans le contrôle, analyse Marie-Ange Sanguy, mais c’est un grand pas en avant. Le succès de la mission, et les félicitations du monde entier, y compris des États-Unis, devrait les rassurer pour les prochaines. »
Le symbole plutôt que la science
Tout un roman en somme et pour Isabelle Sourbès-Verger, ce n’est pas dû au hasard : « La Chine ne joue pas dans la même catégorie que l’Europe ou le Japon. Elle vise bien une politique spatiale sur le modèle américain avec des objectifs symboliques avant d’être scientifiques. » La chercheuse déplore notamment le fait que la mission chinoise ait été bien plus suivie dans le monde que la mission Hayabusa-2 qui s’est terminée presque en même temps : « Scientifiquement, ces morceaux d’astéroïdes sont bien plus intéressants que les échantillons lunaires chinois, mais ils n’ont pas bénéficié du même engouement. »
Un engouement qui serait dû à la bonne communication chinoise mais aussi à une dimension plus politique. Alors que le programme lunaire américain patine, la Chine semble mettre la pression dans ce qui ressemble à une course à la Lune. Une rivalité qui rappelle évidemment l’escalade de la Guerre Froide, sauf que la situation n’est plus du tout la même que dans les années 1960. « Ce n’est pas une course, précise Isabelle Sourbès-Verger. Les Chinois n’essaient pas de doubler les Américains mais de rattraper leur retard dans les compétences spatiales. Et il se trouve que les leaders dans le domaine sont les Américains ! La Chine est encore loin derrière et a tout à faire, c’est pourquoi son programme semble si frénétique. »
Une philosophie qui n’est donc pas la même que dans la compétition entre les blocs américains et soviétiques, mais le résultat est similaire : les Américains retrouvent avec la Chine ce dont ils ont cruellement besoin — un compétiteur, au moins symbolique, qui les pousse à avancer.
La différence majeure avec la Guerre Froide pourrait être la coopération entre les deux puissances. Sur ce sujet, la Chine apparaît comme la victime d’une porte fermée américaine. Alors que l’accès à la Station spatiale internationale est interdit aux astronautes chinois, elle promet que la sienne prévue pour les années qui viennent sera ouverte à tous. Les États-Unis qui craignent des vols de technologie militaire pourraient donc faire un pas, et le changement de président laisse penser que cette voie est possible. En tout cas d’après Politico, les conseillers de Joe Biden auraient soumis l’idée au président élu d’entamer une collaboration limitée.
Du côté chinois, les autorités disent être prêtes à donner des échantillons de roches lunaires aux scientifiques américains. Après le succès technique et le succès médiatique de Chang’e 5, la prochaine étape pourrait donc être une victoire diplomatique, une manière de faire rentrer la Chine dans le petit cercle des puissances spatiales à la fois capables… et respectées.
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