« Au cours des cent dernières années, nous avons perdu beaucoup des plus vieilles forêts » de la planète, affirme Nate McDowell, spécialiste des sciences de la Terre. Il est l’auteur principal d’une récente étude parue dans Science le 29 mai 2020 et signée par vingt autres scientifiques. Ce travail de recherche explore le rajeunissement des forêts à travers le monde, en montrant à la fois les causes, les conséquences et la dynamique globale du phénomène. Il en résulte que les forêts sont aujourd’hui au centre d’un cercle vicieux environnemental et climatique.
En s’appuyant sur des images satellites et sur les données issues de 160 travaux analysant l’évolution des forêts à travers le monde, l’équipe de recherche montre que l’on assiste à une diminution à la fois de l’âge et de la taille des zones forestières. Les forêts dans leur ensemble sont de plus en plus jeunes (moins de 140 ans), face à la disparition des forêts anciennes. Selon leurs calculs, la biomasse végétale mondiale ne représenterait aujourd’hui plus que 50 % de ce qu’elle était auparavant.
Certaines des forêts les plus massives, tant en âge qu’en taille, sont de véritables trésors sur Terre. C’est le cas des forêts abritant par exemple des séquoias, dont la plupart doivent dorénavant être des sites protégés pour éviter de perdre ces arbres, avec la faune et la flore qu’ils abritent.
Les perturbations environnementales
Les chercheurs listent plusieurs facteurs expliquant pourquoi les arbres sont plus petits, plus jeunes. Ce sont essentiellement des changements causés par l’être humain, à l’origine d’une sorte de déséquilibre dans l’écosystème forestier, comme le précise Nate McDowell : « Les changements environnementaux aggravent les perturbations, ce qui entraîne une modification de la dynamique de la végétation en faveur de forêts plus courtes et plus jeunes ». Ces facteurs sont :
- L’augmentation des températures : elle freine la photosynthèse. Cela ne favorise pas la croissance des spécimens, et conduit à une régénération plus difficile, un taux de mortalité des arbres plus élevé.
- Les feux de forêts : sauf exceptions, la renaissance de la vie y est très difficile après-coup, d’autant plus en raison du contexte climatique, car les températures hautes freinent la photosynthèse et donc la réapparition de la vie.
- La sécheresse : elle provoque la mort des arbres mais favorise également la propagation de maladies chez les insectes, qu’ils propagent à la flore, ce qui provoque alors à nouveau, indirectement, une plus grande mortalité des arbres.
- L’appauvrissement des sols et ressources : techniquement, l’augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère a tendance à favoriser la croissance des arbres, puisqu’ils se nourrissent de dioxyde de carbone. Mais pour que cela favorise la fertilisation, il faut des nutriments et de l’eau, ce qui manque de plus en plus à de nombreuses zones forestières.
- La déforestation pour l’exploitation des arbres : les récoltes de bois ont eu, à elles seules, un impact « énorme » sur le rajeunissement des forêts anciennes (et leur disparition, remplacées par des zones sans arbres). Et « lorsque les forêts sont rétablies sur des terres exploitées, les arbres sont plus petits et la biomasse est réduite ».
La disparition des forêts anciennes, remplacées par des arbres plus jeunes et plus petits ou par des zones urbaines sans plus d’écosystème forestier, « a des conséquences sur la biodiversité, l’atténuation du changement climatique et la sylviculture [la culture raisonnée des arbres] ».
Des impacts à l’origine d’un cercle vicieux
Les zones forestières, dans leur ensemble, rassemblent 80 % de la biodiversité terrestre — des espèces de plantes et d’animaux connues et d’autres encore à découvrir. Les forêts les plus anciennes, plus spécifiquement, sont celles qui abritent également la biodiversité la plus riche. Des arbres bien installés et plus massifs sont des habitats bien plus favorables pour héberger une large variété d’espèces. Ces forêts massives servent également de dernier refuge à des espèces en danger d’extinction, dont tous les autres habitats ont disparus ou sont menacés. De fait, la pression sur les forêts est en lien avec la sixième extinction : à mesure que les habitats ancestraux disparaissent, les espèces qui en dépendent disparaissent également. Tandis que les espèces disparaissent, les forêts perdent en nutriments, changent leur dynamique, rajeunissent, raccourcissent, et deviennent moins favorables à une diversité de vie. Là est le premier cercle vicieux.
La disparition progressive des forêts imposantes et âgées a aussi un impact, comme le précisent les chercheurs, sur l’atténuation du changement climatique. En cause, le fait que ces zones soient des puits de carbone, c’est-à-dire qu’elles contribuent à un équilibre planétaire en puisant dans l’atmosphère puis en stockant du dioxyde du carbone. « Les forêts plus anciennes abritent souvent une biodiversité beaucoup plus importante que les jeunes forêts et elles stockent plus de carbone que les jeunes forêts », précise Nate McDowell.
Quand les forêts anciennes disparaissent, elles libèrent leur stock carbone dans l’atmosphère
C’est alors qu’apparaît le second cercle vicieux : en disparaissant, les anciennes forêts ne peuvent plus assurer ce stockage… mais elles libèrent leur stock dans l’atmosphère, aggravant le dérèglement climatique. À mesure que le climat se dérègle, la disparition des arbres anciens est favorisée, et ainsi de suite. C’est une boucle. Et à celle-ci, il faut ajouter que les forêts nouvelles, remplaçant artificiellement ou naturellement les anciennes, sont plus fragiles, plus susceptibles de faire face à un feu de forêt.
Ce cercle vicieux est la raison pour laquelle « les facteurs de mortalité tels que la hausse des températures et les perturbations comme les incendies de forêt et les épidémies causées par des insectes sont en augmentation et devraient continuer à augmenter en fréquence et en gravité au cours du siècle prochain ». Pour les auteurs de l’étude, la réduction de la stature des forêts, tant en âge qu’en taille, est un phénomène qui pourrait tendre à se poursuivre.
La bonne nouvelle est que, puisque le dioxyde de carbone nourrit les arbres, il restera toujours des zones forestières naturelles sur Terre où les arbres pourront continuer de pousser massivement, et où des forêts de forte stature pourront prospérer. Mais d’ici quelques décennies, ces forêts se feront plus rares, et l’impact de leur disparition sera toujours significatif sur le changement climatique. Rappelons que lorsque des scientifiques aboutissent à de telles conclusions, l’idée est moins de tirer un constat d’un avenir inéluctable, que d’attirer l’attention sur un phénomène en cours, que les actions et décisions peuvent favoriser ou bien freiner.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Si vous avez aimé cet article, vous aimerez les suivants : ne les manquez pas en vous abonnant à Numerama sur Google News.