Le binge watching, la pratique qui consiste à regarder plusieurs épisodes d’affilée sans s’arrêter, s’est largement diffusé. Si la pratique ne fait pas obligatoirement de mal, elle peut toutefois devenir « problématique » dans certains cas, selon certains analystes.

Regarder des séries TV n’a jamais fait de mal à quiconque, surtout lorsque ce sont des œuvres agréables ou excellentes, qui nous font simplement du bien ou nous offrent d’intéressants regards narratifs sur le monde. Même le « binge watching », qui consiste à regarder plusieurs épisodes d’affilée sans attendre, n’est pas un problème en soi. Mais toute forme extrême d’une pratique peut s’avérer néfaste. C’est là que se pose cette question : à quel moment le binge watching peut-il tourner à l’addiction — et à une « vraie » addiction ?

C’est l’objet d’une analyse publiée par Mark Griffiths, spécialiste des comportements de l’addiction, le 3 décembre 2021 sur The Conversation.

Il mentionne en particulier la dernière étude en date, publiée en novembre 2021. « Des études montrent que le binge-watching peut être à la fois un comportement divertissant, mais aussi un comportement potentiellement problématique », constate cette publication. Les auteurs ont cherché à comprendre « comment l’impulsivité, les difficultés dans la gestion des émotions, et les motivations à regarder une série télévisée, prédisent un binge-watching problématique. »

Un groupe de 645 étudiants polonais s’est vu remettre un questionnaire comportant des questions telles que « Combien de fois négligez-vous vos devoirs en faveur du visionnage de séries ? » ; « À quelle fréquence vous sentez-vous triste ou irrité lorsque vous ne pouvez pas regarder les séries télévisées ? » ; « À quelle fréquence négligez-vous votre sommeil pour regarder des séries en binge watching ? ». Pour répondre, il fallait indiquer une échelle allant de « jamais » à « toujours ».

Au-delà d’un certain seuil, le binge watching était classé « problématique ». Le dépassement du seuil était plus fréquent chez des personnes où les facteurs comme l’impulsivité et les difficultés dans la gestion des émotions étaient significatifs, ainsi qu’une motivation provenant d’une volonté à se sentir moins seul.

Cette étude est en partie basée sur le modèle de l’addiction développé par Mark Griffiths.

Les 6 critères de l’addiction au binge watching selon ce modèle

Dans son analyse, Mark Griffiths rassemble 6 critères de l’addiction, mais en les appliquant plus spécifiquement au binge watching :

  • L’importance : le binge watching est « la plus importante dans la vie de la personne » ;
  • Le changement de l’humeur : la personne concernée s’adonne au binge watching pour changer son humeur afin de « se sentir mieux à court terme ou pour échapper temporairement à quelque chose de négatif dans sa vie » ;
  • Conflit : « Le binge watching en vient à compromettre des aspects clés de la vie de la personne, comme ses relations, ses études, son travail » ;
  • Tolérance : « Le nombre d’heures que la personne passe au binge watching chaque jour augmente significativement avec le temps » ;
  • Manque et sevrage : « La personne éprouve des symptômes de manque psychologique et/ou physiologique si elle ne peut pas s’adonner au binge watching » ;
  • Rechute : « Si la personne parvient à arrêter temporairement le binge watching, alors lorsqu’elle reprend cette activité, elle retombe directement dans le cycle dans lequel elle se trouvait auparavant ».

Mark Griffiths estime que « toute personne qui remplit ces six conditions est véritablement dépendante du binge watching ». En revanche, « une personne qui ne remplit que certains de ces critères peut présenter un binge-watching problématique, mais ne serait pas classée comme dépendante » selon cette grille-là.

Le binge watching peut devenir problématique lorsqu'il se rapproche d'une addiction. // Source : Unsplash
Le binge watching peut devenir problématique lorsqu’il se rapproche d’une addiction. // Source : Unsplash

Il précise par ailleurs que l’addiction comportementale manque de sources concrètes : il n’y a pas d’estimation très précise sur la prévalence du binge watching problématique dans la population, comme pour l’addiction au sexe, au travail ou au sport. « Mais la recherche sur ce phénomène se développe », tient-il à préciser.

Et il existe en effet de plus en plus d’études sur le binge watching addictif. Elles en concluent visiblement en général que la forme « problématique » du binge watching peut être associé à de la dépression, de l’anxiété, de la solitude, ou à une volonté de s’échapper de la réalité. Une autre étude basée sur les critères de Mark Griffiths concluait à une forte association entre le binge watching très fréquent (problématique) avec cette volonté de s’échapper ou un besoin de gérer la solitude.

Des pistes pour se sortir d’un binge watching problématique

Dans son papier, Mark Griffiths donne quelques éléments qui, selon lui, pourraient aider des gens en situation addictive de binge watching :

  • Stopper en plein milieu d’un épisode : « Si vous voulez réduire le nombre d’épisodes que vous regardez en une seule fois, ma règle d’or est d’arrêter de regarder au milieu d’un épisode. Il est très difficile de s’arrêter à la fin d’un épisode, car la série se termine souvent par un cliffhanger [un suspense en plein milieu d’une scène ».
  • Fixer des limites quotidiennes réalistes ;
  • Ne commencer à regarder qu’après avoir terminé toutes les tâches sociales et professionnelles importantes ;
  • Et il conclut avec cette notion importante selon lui : « N’oubliez pas que la différence entre un enthousiasme sain et une dépendance est que le premier ajoute à votre vie, alors que la seconde en détourne. »

Mais si vous pensez vivre quelque chose qui correspond vraiment à une addiction, pensez à en parler à un médecin — les conseils que vous pouvez lire dans un article sont forcément déconnectés de votre situation personnelle spécifique, ce qui peut les rendre inopérant pour différentes raisons. Ce sont là des modèles, et des pistes, que livre ce spécialiste en particulier.

Source : Montage Numerama

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