Diffusée sur HBO et OCS à partir de la mi-avril, la série Run créée par Vicky Jones a tout pour plaire : des acteurs talentueux, une brillante scénariste et un sujet contemporain universel. Mais après les cinq épisodes que nous avons pu voir, le constat est amer : elle reste malheureusement trop en surface pour marquer les esprits. Notre critique sans spoiler.

Il y a des œuvres que l’on a envie d’aimer avant même de les avoir vues. Une production qui cumulerait tellement d’atouts, sur le papier, que l’on ne pourrait que foncer tête baissée. C’est sûr, cette série, elle est pour moi, lance-t-on à qui veut l’entendre, n’hésitant pas à la conseiller à des proches avant même d’en avoir vu les premières minutes.

Puis, cinq épisodes plus tard, l’air hagard et les yeux dans le vide, repus comme après un McDo bien sale, on est bien contraints de se rendre à l’évidence : et si Run n’était pas une si bonne série que ça ?

Comptez pourtant les bons points : une nouvelle série, sur HBO (la chaîne la plus respectée du câble américain), produite par Phoebe Waller-Bridge (devenue en quelques mois la coqueluche d’Hollywood grâce au succès de son immense série Fleabag), écrite par sa meilleure amie Vicky Jones (metteuse en scène de Fleabag, la pièce de théâtre), avec Merritt Wever (qui a récemment explosé dans Unbelievable) et Domhnall Gleeson (un habitué des anti-comédies romantiques et de quelques productions d’anticipation réussies comme Ex machina ou Black Mirror).

"Run" sur HBO

"Run" sur HBO

Run peine à aller au-delà de son concept

Le concept a beau être original, il apparaît rapidement trop faible pour tenir la longueur. Un homme trentenaire, sarcastique, beau, mais pas trop, et une femme trentenaire, sarcastique, belle, mais pas d’une beauté classique, se retrouvent après des années d’absence. Ces anciens amants avaient un pacte : si l’un d’entre eux envoyait le mot « Run » (« fuis !» ou « cours !») par SMS, et que l’autre répondait la même chose, ils devaient tout lâcher et foncer prendre le même train, le même jour à la même heure.

Alors les voilà, dans ce train qui traverse l’Amérique, à se chercher, se chamailler, se désirer, en boucle. C’est paradoxalement sur des rails que se retrouvent nos deux protagonistes qui fuient leur vie, dans une sorte de course contre… pas grand chose. La bande originale est d’ailleurs souvent la seule à s’énerver ; on peine à suivre le rythme d’une série dont les accélérations semblent gratuites, et gâchent les instants tranquilles, plus bavards, qui se font de plus en plus rares à mesure que l’on avance dans les épisodes.

L’ambiance générale de Run a comme un goût de déjà-vu : on retrouve la même tension érotico-destructrice, très hétérosexuelle, que Phoebe Waller-Bridge avait développée dans sa première série, Crashing, discrètement diffusée sur Channel 4 en 2016, avec un duo d’égoïstes qui se taquinent, se veulent du bien mais aussi beaucoup de mal. On lui épargnera des comparaisons beaucoup moins flatteuses, mais Run a échappé de peu au parallèle avec Jeux d’Enfants (2003), tant la scène de flirt avec un inconnu dans un train pour faire enrager l’autre démarrait mal.

C’est donc plus dans les détails que Run se laisse regarder : certains échanges intelligents (qui eût cru que le mot « moratoire » pouvait nous faire sourire ?), des plans qui savent laisser la place au mystère (une scène cruciale de l’épisode 5, dont nous ne divulguerons pas les détails, est uniquement « entendue » par l’héroïne), une illustration volontairement crue de la sexualité féminine (ici, tout le monde se masturbe aux toilettes à tour de rôle, et c’est très bien comme ça).

Un sentiment de gâchis

Reste qu’il manque une âme à cette courte série de sept épisodes, que HBO a commencé à diffuser le 12 avril (et sur OCS le lendemain en France). Alors qu’elle aurait pu nous pousser dans un précipice de questionnements sur la douleur du quotidien, elle reste, du moins pour les cinq premiers épisodes, douloureusement en surface. C’est d’autant plus décevant que Merritt Wever était le choix parfait pour le rôle ; l’actrice semble malheureusement ne faire qu’attendre patiemment qu’on lui autorise plus de noirceur, elle dont le personnage a pourtant abandonné sans sourciller mari et enfants.

À l’inverse, Domhnall Gleeson est comme absent, appesanti par un scénario qui le contraint à l’action plus qu’à l’introspection : l’homme est submergé de problèmes à résoudre, de démons à fuir, de secrets à cacher, et c’en devient épuisant tant on aurait préféré qu’il soit simplement, lui aussi, abattu par la routine de la vie. À force de s’éparpiller, Run finit par ne plus avoir aucun propos. Et la fuite n’a jamais été aussi peu sexy.

Alors oui, on gobe les épisodes un à un, parce que Fleabag n’aura pas de troisième saison, parce que Killing Eve a perdu en piment au fil des ans, parce que You’re The Worst, I Love Dick et Transparent sont terminées, parce que Smilf a été annulée, parce qu’il n’y a plus tant de séries du genre à se mettre sous la dent (tiens bon, Better Things !). Mais comme après une énorme portion de frites de fast-food trop salées, on ressort de l’expérience avachis, déçus et trop peu rassasiés.

Run, en France sur OCS à partir du lundi 13 avril 2020

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