Utilisés comme des verrous afin de protéger les oeuvres du piratage, il s’avère que les premiers à pâtir du DRM sont les joueurs eux-mêmes.

Depuis des lustres qu’ils sont là, on a petit à petit fini par s’accommoder de l’usage des DRM (Digital Rights Management) sur nos jeux vidéo. L’arrivée des DRM imposant une connexion internet permanente pour jouer à des jeux avait largement suscité le débat au tout début des années 2010, mais avec le temps, la pratique semblait entrée dans les moeurs.

Il existe cependant une poignée d’irréductibles qui continuent de se battre bec et ongle pour revisiter, voire supprimer ces restrictions sur les produits culturels comme les films, séries et jeux vidéo. C’est ainsi que ce 9 juillet se déroulait la journée internationale de lutte contre les DRM, dont de très faibles échos nous sont parvenus.

Les DRM continuent encore aujourd’hui de créer du débat autour des médias qu’ils touchent, si bien que Hadopi lui-même, paladin de la lutte contre le piratage, propose désormais un service de délation des DRM abusifs

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Autre tollé en date, celui de l’instauration de DRM pour le visionnage de vidéos sur internet. Qu’en est-il aujourd’hui de la sphère du jeu vidéo ? La seule question du piratage permet-elle réellement de justifier l’usage du DRM ? Nous avons posé nos questions à Lukasz Kukawski, Senior PR Manager pour la plateforme gog.com, magasin de vente en ligne de jeux sans DRM ainsi qu’à Servane Fischer, avocate au cabinet Avoxa.

Que sont censés protéger les DRM ?

L’essence première du Digital Rights Management, ou Gestion des Droits Numériques (GDN) en français, est de protéger le monopole d’exploitation des auteurs d’une œuvre, afin de limiter la propagation de copies pirates. Le DRM agit donc comme un verrou numérique, destiné à protéger l’œuvre et les droits de son auteur.

« Il existe toutefois deux exceptions à ce monopole de l’auteur, précise Servane Fischer, c’est que l’utilisateur a le droit de diffuser l’oeuvre dans un cercle privé (amis, famille) et qu’il peut également faire une copie privée, pour son usage personnel, de l’œuvre. D’ailleurs, ajoute-t-elle, quand on achète une oeuvre sur support CD ou autre (téléphone, tablette, baladeur etc.), on paye la rémunération pour copie privée.» Une partie de cette rémunération est ainsi reversée aux auteurs par les organismes destinés à gérer ces revenus.

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Mais quel problème pose le DRM ? Le souci se pose au niveau du consommateur lui-même : « Le problème avec les DRM reste le même depuis toujours : vous pouvez vous retrouver bloqué par votre propre jeu, vous devez pouvoir prouver à n’importe quel moment que vous avez légalement acquis votre copie,etc. explique Lukasz Kukawski. La plupart des jeunes consommateurs estiment que l’usage appliqué sur leur jeu est normal, ils n’en ont même pas conscience parfois

Il poursuit : « ils sont habitués à passer par des plateformes et des clients pour jouer. Tout se passe bien jusqu’à ce qu’il réalisent qu’ils ne sont pas réellement propriétaires de la copie qu’ils ont achetée, dans des situations où ils sont hors ligne par exemple et qu’ils n’ont pas la possibilité de jouer même en mode solo. »

Payer son jeu et ne pas en être propriétaire

C’est en effet une des conséquences premières de l’application des DRM sur les jeux vidéo et d’autres supports numériques en général. Sous couvert de lutter contre le piratage et de protéger ses auteurs avec les DRM, certains éditeurs s’attaquent également au marché de l’occasion et à la possibilité de revendre sa copie d’un jeu. Ainsi dans certaines conditions, de plus en plus répandues, il s’avère que le joueur n’est pas le propriétaire de la copie qu’il achète pourtant plein tarif.

« Certaines plateformes comme Steam sont très malignes, explique Servance Fischer, elles ne vendent pas le jeu, elles vendent un droit d’usage du jeu. On a le droit d’utiliser le jeu, mais en passant par la plateforme à laquelle il est lié. Donc à partir du moment où on désinstalle ladite plateforme, on désinstalle également les jeux. Dans ce cas, on n’est pas propriétaire de la copie du jeu, donc on ne peut pas la reproduire et encore moins la revendre. »

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La pratique est loin d’être illégale, mais est moralement discutable car elle peut être considérée comme trompeuse auprès de la clientèle. L’UFC Que Choisir avait notamment souligné ce problème en décembre 2015 parmi d’autres pratiques douteuses de la plateforme, sans parvenir à se faire entendre sur ce point.

« Ce genre de plateforme pourrait être considéré comme une forme de DRM puisqu’elle agit comme un verrou sur les jeux, mais il se justifie par le fait que l’on a simplement un droit d’usage » complète Servane Fischer.

Les limites du DRM

L’autre aspect problématique du DRM réside également dans ses aspects techniques. Les verrous appliqués sur les jeux semblent en effet peu efficaces contre le piratage. À se demander si ce sont vraiment les pirates qui sont visés par les DRM.

« Le DRM est un problème pour les utilisateurs honnêtes qui ont payé pour leur jeu, déclare  Lukasz Kukawski. Ce n’est pas un problème pour ceux qui piratent le jeu, car ils téléchargent les versions déjà craquées sans DRM. Donc, si vous avez réellement payé le jeu et l’avez obtenu légalement, vous êtes celui qui connaît les aléas que le DRM crée. Étant donné que la plupart des mécaniques DRM sont craquées dès le premier jour de sortie du jeu, je ne vois pas cela comme un outil efficace contre le piratage. »

Il ajoute : « Qu’en est-il quand les serveurs d’un jeu en multi sont fermés ou qu’un service en ligne est supprimé ? On vous laisse en plan avec des jeux auxquels vous ne pouvez plus jouer. Nous entendons souvent dire que les DRM affectent également les performances des jeux ou ont tendance à laisser beaucoup de fichiers indésirables après avoir désinstallé le jeu. »

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D’un point de vue juridique, l’exception de la copie privée n’est pas un droit pour les consommateurs. Si on veut faire sauter le DRM pour pouvoir copier son jeu, il faut demander l’autorisation de l’éditeur ou soumettre une plainte à Hadopi pour pouvoir en bénéficier. « Autant dire que, dans les faits, personne ne va se casser la tête avec ça » pointe Servane Fischer.

Proposer un service pour fidéliser des consommateurs

Payer son jeu, dont le prix comprend une partie du DRM et la rémunération copie privée, pour finalement se retrouver bloqué sur divers niveaux, autant dire que ce n’est pas du goût de tout le monde. Les consommateurs les moins aguerris en terme de technologie sont en effet les dindons d’une farce que certains s’efforcent de stopper.

« Nous croyons que la meilleure façon de lutter contre le piratage est de fournir le meilleur service disponible, soutient Lukasz Kukawski, et de faire en sorte qu’il soit plus difficile pour les pirates d’obtenir la version illégale du jeu plutôt que de l’acheter à partir de GOG.com. C’est pourquoi nous avons décidé de proposer à la vente des jeux sans DRM, emballés avec du contenu bonus, de fournir un service client disponible 24/24h et 7/7j, un programme de garantie de remboursement et un forfait de prix équitable.

Nous voulons que la clientèle apprécie l’accès au jeu que le service en lui-même, plutôt que de trainer sur des sites torrent à la recherche d’une copie piratée, qui peut s’avérer être un virus qui infectera votre PC. »

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Malgré tout cela, les DRM semblent très bien se porter, avec notamment l’application de verrous sur les navigateurs pour les vidéos sur Internet. « Avec l’arrivée du numérique et du très haut débit on a facilité la reproduction de oeuvres, explique Servane Fischer, on peut les transmettre à grande échelle. Or il y a des institutions qui veulent tout centraliser par les DRM, ils veulent contrôler les filons des oeuvres et organiser leur diffusion. Que ce soit les vidéos sur Internet, les images .jpeg etc. Alors juridiquement c’est  compréhensible de vouloir protéger des auteurs, mais dans la pratique et d’un point de vue économique, ce n’est pas souhaitable.»

En attendant, pour lutter contre les DRM, Hadopi propose un formulaire pour dénoncer les DRM abusifs, qu’ils soient sur les jeux vidéo, les films, la musique, etc.


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