Ce roman de science-fiction signé Pierre Raufast a tout d’un conte philosophique : l’auteur questionne notre rapport aux sciences et technologies dans un roman servi par une écriture généreuse et un sens du merveilleux.

« Voilà, Tom, nous tenons le record de la bière décapsulée le plus loin de la Terre. » C’est par cet incipit pour le moins inattendu que Pierre Raufast (Habemus Piratam) nous emmène en 2173, à l’autre bout de l’Univers, en quête d’antimatière. Cette dernière est devenue le potentiel Saint Graal pour trouver une issue aux progrès de l’humanité, après une succession de désastres climatiques sur Terre. La tragédie de l’orque est le premier tome d’une saga, la Trilogie baryonique, paru en mars 2023 aux Forges de Vulcain. Et c’est aussi la première excursion de l’auteur français dans un genre bien spécifique : la hard SF.

Source : Aux Forges de Vulcain
Source : Aux Forges de Vulcain

Tout est dans l’expression : par « hard », il faut comprendre un genre littéraire particulièrement ancré dans les sciences dites « dures », au renfort d’explications solidement détaillées (réalistes ou extrapolées) sur les sciences et technologies. C’est là que Pierre Raufast s’insère, sans tomber toutefois dans les failles parfois ronflantes ou froides du genre. Bien que La tragédie de l’orque ne soit pas déniée de scènes d’exposition explicatives où il faut un peu s’accrocher, l’auteur ne nous y épuise pas outre mesure, n’oubliant pas l’essentiel : faire exister humainement ses personnages.

Il s’amuse plutôt des codes du genre pour nous emmener, de façon tout à fait fascinante, dans les affres de l’astrophysique, des sciences environnementales ou encore de l’intelligence artificielle. La tragédie de l’orque ajoute un certain sens du merveilleux aux descriptions et aux enjeux. La lecture se transforme alors surtout en plaisir d’exploration, aux côtés (entre autres) des « mineurs d’espace-temps » qui — voyageant au travers de trous de ver — vont faire face à une catastrophe aux conséquences inattendues.

Philosophie des sciences et technologies… à l’autre bout de la galaxie

Avec un langage simple, des personnages follement attachants et nombre de traits d’humour, La tragédie de l’orque a paradoxalement les caractéristiques d’une comédie. On se prendrait même à imaginer que le titre de l’ouvrage a été choisi non sans un certain art de la malice (et la couverture qui semble nous sourire par paréidolie ne nous y trompe pas non plus). Ne nous contentons pas, cela dit, de ne voir qu’une fable humoristique en La tragédie de l’orque. Pierre Raufast livre un roman de science-fiction profondément philosophique derrière son apparente légèreté. N’est-ce pas là, finalement, la définition d’un conte ?

« Quand on traverse un trou de ver, là au moins, on est tout seul. Peinard. »

La tragédie de l’orque, Pierre Raufast (extrait)

La tragédie de l’orque est un dialogue, une discussion. Entre les personnages, certes. Entre le roman et ses lecteurs et lectrices, plus encore. Car si le récit dispose d’une intrigue bien rythmée, il est surtout le fil conducteur de questionnements sur les sciences et technologies. Le mot « science » dans « science-fiction » prend là tout son sens : voilà un roman qui s’interroge sans cesse, et très frontalement, sur notre rapport aux IA ou aux ressources naturelles, aux implications sociopolitiques d’une humanité technoscientifique. Et comme ce n’est là qu’un premier tome d’une trilogie, on peut raisonnablement penser que cette exploration va se poursuivre — les versants écologiques, peut-être exobiologiques également, pourraient par exemple y être approfondis.

Pierre Raufast s’avance souvent dans les réponses aux questionnements qu’il pose ; on sent que l’auteur est lui-même avancé dans son cheminement, là où l’on aimerait parfois que le récit y réponde plus naturellement. Fort heureusement, notre champ de liberté en tant que lecteur ou lectrice reste vaste, car s’il y a bien une chose qui caractérise Pierre Raufast, c’est qu’il ne cache pas son plaisir d’écrire — il s’amuse avec nous ! Pierre Raufast dispose, en définitive, d’une écriture généreuse, et ses personnages n’en sont que plus vivants.

De cette générosité en découle aussi une science-fiction apaisée. Le récit lui-même n’est certes pas optimiste à proprement parler. Il est rempli de tensions narratives, bien sûr, et d’enjeux, de problématiques. Mais ce n’est pas une littérature futuriste sombre. Nulle chape de plomb, nul défaitisme, nulle volonté de nous asséner des inquiétudes préfabriquées sur notre avenir commun. Une simple envie curieuse d’explorer, par la littérature, ce que les sciences et technologies changent pour nous. Et si cela implique d’en discuter autour d’une bière à l’autre bout de la galaxie, pourquoi refuser cette invitation ?

La Tragédie de l’Orque – La Trilogie Baryonique 1/3, Pierre Raufast, Les Forges de Vulcain, 368 p., 3 mars 2023


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