TF1 est en crise, et avec lui tout un modèle médiatique. Après la démission mardi matin de Takis Candilis, le directeur général adjoint de TF1 chargé des programmes, la première chaîne de télévision française doit trouver sa place dans un écosystème médiatique en pleine évolution. TF1 mise sur Laurent Storch pour relancer la machine. Mais le pourra-t-il ?

Il était proche de la porte depuis plusieurs mois, et il a préféré la franchir de lui-même avant d’en être éjecté par le patron de TF1 Nonce Paolini. Le directeur des programmes de flux (essentiellement les jeux et TV réalité) et des fictions de TF1, Takis Candilis, a remis mardi sa démission pour être remplacé aussitôt par Laurent Storch, dont Emmanuel Berreta nous dit dans un portrait publié par Le Point qu’il est « fin, intelligent et cérébral« , et qu’il « connaît Hollywood comme sa poche« . Pour l’anecdote, l’homme a fréquenté Pascal Nègre alors qu’il travaillait en 1989 chez Polygram, la maison de disques qui allait devenir Universal Music. Ils ont le flair et le sens du succès en commun. Storch est par exemple celui qui a mis à l’antenne Les Experts ou Dr House, et qui a signé pour TF1 Films d’énormes succès populaires comme La Môme, Taxi 4, Astérix aux Jeux Olympiques, ou le déjà plébiscité Bienvenue chez les Cht’is. Le film Disco, dont le succès est déjà annoncé à partir du 2 avril, c’est lui aussi.

Mais aussi « fin, intelligent et cérébral » soit-il, Laurent Storch a-t-il les moyens de relancer l’audience de TF1 après une fin d’année 2007 morose ? Depuis plusieurs mois, l’audimat de la première chaîne baisse au rythme impressionnant d’un point de part d’audience en moyenne par mois. En février, selon les relevés de Médiamétrie, TF1 a ainsi subi sa quatrième baisse consécutive avec 27,5 % de part de marché contre 31,8 % en octobre. Et la baisse se ressent déjà sur les résultats financiers. En 2007, le groupe TF1 a enregistré un bénéfice net en recul de 49,7 % à 227,8 millions d’euros, en dessous des prévisions. Les recettes publicitaires de la chaîne n’ont progressé que de 0,6 % sur l’année, et il n’est pas dit que même le coup de pouce présidentiel à l’attention des chaînes privées bénéficie à la première d’entre elles. La crise d’audience de TF1 est imputable au moins autant à des raisons conjoncturelles (erreurs de programmation, ligne éditoriale trop ouvertement proche du pouvoir, essoufflement de certains concepts…) qu’à des raisons beaucoup plus profondes et structurelles, qu’elle ne pourra enrayer.

La montée des nouveaux médias

Car pendant que l’audience de TF1 plonge, celle des nouveaux médias s’envole. Les chaînes de la TNT gratuite, par exemple, ont vu leur part d’audience cumulée augmenter de 1,2 points en février par rapport au mois de janvier, à 10,1 %. Les autres chaînes gratuites ou payantes (chaînes locales, interactives, thématiques, étrangères…) n’ont pas enregistré de progression par rapport à janvier, mais restent au dessus de leur niveau d’il y a un an. Ainsi la part des chaînes autres que les traditionnelles six chaînes hertziennes est passée de 10,9 % en février 2007 à 12,3 % en février 2008. La progression a été continue tout au long de l’année dernière, et devrait encore s’accentuer cette année.

Avec l’arrivée des médias numériques, le petit oligopole dont bénéficiaient les chaînes hertziennes s’effrite. TF1, en leader incontesté depuis sa privatisation, le subit le plus fortement même s’il reste loin devant ses concurrents (France 2 est reléguée neuf points derrière, à 18,3 % de part d’audience en février). Le nombre des chaînes de télévision augmente et l’audience se disperse mécaniquement. Le phénomène devrait s’accentuer de façon exponentielle à mesure que le public découvrira de nouvelles chaînes plus proches de leur demande. Le phénomène n’est pas nouveau dans les médias. Les journaux, magazines ou radios l’ont déjà connu par le passé. Dès que le nombre de ces médias est multiplié, leur audience s’affaiblit. Jusqu’à présent, les réflexes économiques étaient bien maîtrisés.

Il faut constituer des conglomérats et avaler le plus de « petits médias » possibles pour bénéficier, in fine, d’une audience cumulée et d’un chiffre d’affaires qu’il sera possible de vendre aux annonceurs et aux actionnaires. Le groupe NRJ, par exemple, rassemble des radios diverses comme Nostalgie, Chérie FM ou Rire & Chansons. Le groupe Lagardère qu’a rejoint Takis Candilis compte dans ses actifs les magazines Elle, Paris Match, Télé 7 jours, Psychologie Magazine, Choc, ou Entrevue. TF1 aussi mise sur cette stratégie d’aggrégation et a d’ailleurs commencé à investir à la fois dans des chaînes thématiques (LCI, TMC, Eurosport, …), des sites internet et des services mobiles.

La fin des médias de masse et des médias concentrés

Mais contrairement à ce qui se passait avec les médias traditionnels, sur les médias numériques la course est sans fin. Les anciens médias doivent composer avec un univers matériellement limité. On ne peut exposer en kiosque qu’un nombre fini de journaux et de magazines, et l’on ne peut diffuser dans le spectre des ondes hertziennes qu’un nombre limité de radios ou de télévisions, qui ne peuvent d’ailleurs elles-mêmes diffuser que 24H de programmes par jour. La course est alors à celui qui capitalisera le plus de journaux, radios ou télévisions pour avoir la part la plus grosse du gateau. Et l’on sait que le gateau ne peut pas grossir, ou très peu.

Or avec Internet et la dématérialisation, il se crée chaque jour des milliers de sites Internet, des centaines de nouvelles télévisions ou des milliers de webradios qui dispersent toutes un peu plus l’audience de chacun des acteurs en place. Avec en plus une caractéristique nouvelle. Il arrive que ces nouveaux entrants n’aient aucune ambition économique, mais captent tout de même une part importance de l’audience, à l’image de Wikipedia. La course à l’acquisition est perdue d’avance car elle n’a pas de ligne d’arrivée et de parcours délimité. C’est à qui s’en sortira le mieux, avec comme seule certitude le fait que l’âge d’or des médias concentrés dans quelques mains est désormais révolu, tout comme l’âge d’or du star system qui permettait de faire connaître les mêmes dizaines ou centaines œuvres (films, livres, musique…) à des millions de spectateurs-consommateurs branchés sur les mêmes médias.

Ca n’est pas qu’une évolution économique. C’est l’aube d’une vraie révolution de la société moderne endormie au XXième siècle par la concentration des « mass média ».

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