Après plusieurs tentatives d’appels, la sonnerie du téléphone laisse place à une voix grave. A l’autre bout du fil, les phrases sont hésitantes, maladroites. « Achetez vos masques sur Amazon », « allez aux urgences pour faire un test », « appelez le Samu pour avoir des informations ». Mis en place par le ministère de la Santé, pour répondre aux interrogations sur le coronavirus, ce numéro vert (0 800 130 000) tente depuis de gérer l’affluence de ces derniers jours… avec plus ou moins de succès.
Animateur à Aix-En-Provence, Alain*, 44 ans, doit encadrer dimanche un « match de gamins ». L’un des enfants qui doit jouer est actuellement en Toscane (Italie). « La réponse que j’ai eue, c’est : il ne revient pas de Chine, donc il n’y a pas de problème », nous explique-t-il. Pour les personnes qui arrivent d’Iran, le scénario est le même : un témoin a transmis à Numerama qu’il s’est vu répondre que « ce n’est pas une zone à risque », par une interlocutrice après avoir composé le numéro vert.
Pourtant, avec au moins 34 morts, ce pays est l’un des plus touchés par le Coronavirus après la Chine, et est affiché comme à risque sur le site du ministère. « Ce numéro d’information a pour objectif de renseigner les Français sur les mesures à adopter mais ne peut donner de conseils médicaux personnalisés », nous explique la Direction générale de la santé (DGS) au ministère de la Santé.
Un « call center » peu formé
Au bout du fil, ce sont des centres d’appels privés, basés en France qui décrochent. « D’habitude, on s’occupe des services clients des banques ou des compagnies de téléphonie », nous raconte Amanda, sous couvert d’anonymat. Pour faire face à l’affluence d’appels sur ce numéro vert, le ministère de la Santé a en effet contacté plusieurs centres français. Ces plateformes téléphoniques qui s’occupent habituellement des services clients des sociétés privées sans lien avec le domaine de la santé ont ainsi ouvert des cellules de 10-15 personnes, selon nos informations.
Quant à la formation approfondie, elle ne dure qu’une heure maximum. Cela consiste à la lecture de photocopies qui reprennent les consignes du ministère. « Les réponses que l’on donne lors des appels sont celles que l’on trouve sur internet », confie un employé d’un call center « concrètement, on ne sert qu’à rassurer les gens parce que nous n’avons aucune réponse à leur apporter. Et quand leurs questions sont plus précises, il nous a été demandé de les orienter sur le Samu ou l’ARS ».
Ces téléconseillers n’ont globalement pas reçu de formation santé approfondie, mais sont présentés comme des «experts dans la relation client à distance », comme l’a rapporté le Figaro qui a pu se rendre sur l’un des « cinq sites » d’opération de la plateforme.
« Nous avons mis en place ce numéro rapidement, justifie quant à lui le ministère. Sur tous les appels, il peut arriver qu’il y ait des dysfonctionnements, mais cela n’est pas une généralité ». Plusieurs personnes travaillant pour ce call-center ont expliqué à Numerama qu’une formation plus poussée devait avoir lieu ce week-end.
Claire*, 34 ans, revient de Singapour. Sur cette ligne dédiée, la personne au bout du fil lui a expliqué qu’« en l’absence de symptômes, pas besoin de porter un masque ». Cette réponse revient souvent dans les témoignages recueillis par Numerama. Pourtant, le ministère de la Santé recommande de porter un masque chirurgical si vous avez voyagé « dans une zone de circulation active du virus [et pendant] les 14 jours suivant le retour en présence de l’entourage et en dehors du domicile ». Autre conseil prodigué par les services de santé : se mettre en auto-quarantaine. Là encore, cette recommandation n’est pas toujours conseillée par la plateforme téléphonique.
Candice, 20 ans, doit rentrer d’Italie dans les jours qui viennent. Elle qui habite avec ses grands-parents de 75 ans, panique à l’idée de les contaminer. « Quand j’ai contacté le numéro vert, c’était plus une conversation avec une personne qui me lisait le site du gouvernement qu’autre chose ». Comment s’isoler ? Où aller ? Quelles mesures de sécurité adopter pour éviter de faire prendre un risque à sa famille ? Autant de questions qui sont restées sans réponse. « Elle n’était pas plus informée que moi, continue Candice. Sans compter qu’à la question ‘où aller?’, elle n’avait aucune réponse. » Depuis, elle cherche une amie qui pourrait lui laisser son appartement pour 14 jours afin de se mettre en isolation.
Des conseils en contradiction avec les recommandations du ministère et du Samu
La rédaction de Numerama a aussi contacté à plusieurs reprises ce numéro pour obtenir des informations sur les mesures à prendre pour une personne qui arrive d’Iran. Il nous a été conseillé de nous rendre aux urgences ou d’appeler le Samu, avant son arrivée, pour avoir des informations. Ce qui est complète contradiction avec ce que le ministère de la Santé et le Samu recommandent.
Le 15 et les hôpitaux sont là pour gérer l’urgence et non l’information. Rémi, 34 ans, lui, a contacté la plateforme téléphonique pour savoir où trouver des masques chirurgicaux, en rupture de stocks dans plusieurs pharmacies. « Appelez les urgences pour qu’ils vous en fournissent », s’est entendu répondre ce Français de retour de Singapour. Quel service contacter ? Comment récupérer les masques ? « Par acquit de conscience, j’ai appelé le standard d’un hôpital parisien. Mais au bout de 15 minutes à sonner dans le vide, j’ai raccroché ». À la rédaction de Numerama, il a été conseillé de « les acheter sur Amazon » — où le prix de ces produits s’envole. Quant au respect des normes européennes, qui posent question sur les masques achetés en ligne, la personne au bout du fil semblait désemparée : « Je n’ai malheureusement aucune autre solution à vous proposer ».
« On n’avait pas besoin d’être rassuré, juste d’avoir des informations »
Et pour les entreprises ? « On a fait un week-end d’entreprise à Venise », raconte Bruno, 34 ans, et j’ai contacté la plateforme pour connaître la marche à suivre pour les entreprises… Je n’ai eu aucune réponse à mes questions. » En désespoir de cause, la firme a décidé d’appeler un médecin agréé par l’Agence régionale de santé (ARS) pour avoir des informations sur les arrêts de travail. « On n’avait pas besoin d’être rassuré, juste d’avoir des informations ». Quant au ministère de la Santé, il annonce qu’il fera remonter toutes ces erreurs pour tenter d’en éviter de nouvelles.
Cet article a été mis à jour le 3 mars avec l’ajout d’un témoignage d’une personne qui travaille dans un call-center.
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