Faute d’accord en commission mixte paritaire, la proposition de loi contre la haine en ligne repart en discussion. Et à l’Assemblée nationale, les députés ont rétabli la mesure la plus critiquée du texte, malgré l’hostilité des sénateurs.

La commission mixte paritaire n’aura pas réussi à rapprocher l’Assemblée nationale et le Sénat sur la proposition de loi luttant contre les contenus haineux sur Internet. Le 8 janvier, députés comme sénateurs se sont séparés sur un constat d’échec, renvoyant le texte pour un nouvel examen. Et comme on pouvait s’y attendre, les députés ont rétabli la disposition centrale de la loi, que les sénateurs refusaient.

Le désaccord concerne l’obligation pour les plateformes en ligne de retirer en 24 heures des contenus litigieux qui leur ont été notifiés. Inscrite dans le texte validée en première lecture par l’Assemblée nationale, la disposition a été évacuée par le Sénat. Ce dernier estime que l’architecture juridique sur laquelle elle repose n’est pas suffisamment solide au regard de ce qu’elle implique en matière de liberté d’expression.

Va-t-on parler de loi relative à la lutte contre les infoxs ?  // Source : Richard Ying et Tangui Morlier

Va-t-on parler de loi relative à la lutte contre les infoxs ?

Source : Richard Ying et Tangui Morlier

L’annulation du Sénat, annulée

Mais, le 14 janvier, la commission des lois à l’Assemblée nationale a annulé l’annulation, au prétexte, comme cela a été entendu, que « les magistrats ne pourront pas examiner a priori tous les contenus qui déferlent sur la toile du fait de leur viralité » et, qu’en conséquence, « il faut rétablir l’idée de supprimer au plus vite les contenus haineux sans attendre le juge ». Cela constitue un recul de l’institution judiciaire, du fait de moyens insuffisants pour assurer correctement ses missions.

La disposition au cœur de la loi Avia, du nom de la députée de La République en marche, Laetitia Avia, a été retouchée, mais à la marge. L’intéressée promet que cette version inclut une « rédaction allégée pour plus de lisibilité », une définition revue des contenus haineux, une « référence précise aux infractions », une prise en compte des moteurs de recherche ou encore une « précision du caractère intentionnel du délit ».

Mais les ajustements proposés n’ont pas obtenu un assentiment unanime. Ainsi, parmi les députés membres de la commission des lois, Laure de La Raudière, qui appartient à l’UDI, a fait part de son « inquiétude de voir les plateformes se transformer en juges de la liberté d’expression ». Elle a aussi déploré la manière dont a été présenté le travail effectué par le Sénat, qui a été taxé d’inaction par la majorité présidentielle.

Retour à l’Assemblée

Désormais, la prochaine étape va se jouer en séance publique à l’Assemblée nationale, le 21 janvier. Selon toute vraisemblance, la position politique de la chambre basse du Parlement sur ce texte ne devrait pas fondamentalement changer. Cela étant dit, bien que le scénario semble cousu de fil blanc, une coalition de douze organisations non gouvernementales a lancé un appel contre la loi Avia.

Palais Bourbon Assemblée nationale

Portail d'entrée de l'Assemblée nationale, place du Palais Bourbon, à Paris

Source : Novo Press

« En contournant les prérogatives du juge judiciaire, [le texte de loi] porte atteinte aux garanties qui nous permettent aujourd’hui de préserver l’équilibre de nos droits et libertés fondamentaux », écrivent les signataires dans leur lettre ouverte. Or, « au regard des dispositions du texte, les opérateurs de plateformes seront incités à opter pour de la sur-censure afin d’éviter d’être sanctionnés ».

La missive est signée par l’association des avocats conseils d’entreprises, Change.org, le Conseil national des barreaux, le Conseil national du numérique, la Fondation Internet Nouvelle Génération, Internet Sans Frontières, Internet Society France, La Quadrature du Net, La Ligue des droits de l’Homme, Renaissance Numérique, le Syndicat des avocats de France et Wikimédia France.


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