C’est un ultime appel lancé aux députés, alors que l’examen de la proposition de loi contre la haine débuté ce mercredi 3 juillet. Dans une lettre ouverte publiée la veille, sept organisations demandent aux élus de « garantir [les] libertés publiques », car la rédaction actuelle soulève « des inquiétudes quant à ses conséquences sur […] les libertés d’expression et d’information ou d’accès à la justice ».
Adressée au gouvernement, aux parlementaires, mais aussi au Défenseur des droits et au président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, la lettre est signée par la Ligue des droits de l’Homme, Internet Sans Frontières, la Fing, le Conseil national des barreaux, Renaissance Numérique, Internet Society France et par le Conseil national du numérique (CNNum).
En mars, le CNNum avait déjà tiré la sonnette d’alarme. Dans son analyse, il pointait des insuffisances significatives qui sont susceptibles de nuire à la liberté d’expression. « Le doute bénéficierait à la censure », expliquait-il. Le CNNum est une instance consultative devant éclairer « de façon indépendante » l’exécutif sur tout sujet relatif au numérique ayant un impact sur la société et l’économie,
Trois mois plus tard, les craintes du CNNum n’ont de toute évidence pas été levées : « À ce jour, deux points figurant dans la version actuelle de la loi bousculent l’équilibre fragile entre la dignité humaine et la liberté d’expression, au détriment de cette dernière ». Il y a d’abord le flou entourant la définition d’un contenu haineux, ainsi l’absence du juge judiciaire dans la boucle.
Où est le juge ?
Qualifiée de « complexe » et faisant « encore l’objet de discussions juridiques et académiques », la définition des contenus de haine devrait être « précisée » et reposer sur des bases « claires ». Sauf que la lettre ouverte observe que le texte vise maintenant toute une série de contenus « au-delà des seules infractions de haine manifeste ». Or, les caractériser est « encore plus complexe ».
C’est ce qui amène le second argument des signataires : « L’appréciation du caractère illicite des contenus haineux ne peut être confiée aux seuls opérateurs de plateformes, au risque d’induire une privatisation des fonctions judiciaires et de mettre à mal les garde-fous démocratiques pour nos citoyens ». Or, le mécanisme qui est proposé écarte le juge judiciaire des premières étapes de la procédure.
Inadmissible pour les organisations : « Seule la décision de justice, issue du pouvoir de l’État institué démocratiquement, est acceptable quand il s’agit de censurer un propos ». Il faut au contraire que les plateformes aient la possibilité de saisir le juge si elles ont un doute sur la nature d’un contenu, sans être immédiatement mises en cause. La place du juge doit être confortée « à tous les niveaux ».
Et qu’on ne les accuse pas de laxisme : les signataires sont d’accord pour lutter contre la propagation des contenus haineux sur le net, qui ont des « conséquences particulièrement nocives pour notre démocratie et pour les citoyens ». Il s’agit de ne pas organiser ce combat n’importe comment. La fin ne doit pas justifier n’importe quel moyen, en particulier ceux qui aboutissent à un recul des libertés.
Un délai beaucoup trop court
Quelques jours plus tôt, le 27 juin, la Quadrature du Net était aussi montée au créneau en proposant une nouvelle analyse de la loi. Appelant les députés « à refuser les mesures inutiles et dangereuses », l’association a concentré ses principales critiques sur le délai de 24 heures imposé aux plateformes pour qu’elles suppriment les contenus manifestement illicites dès qu’ils leur sont signalés.
Dans sa synthèse, la Quadrature du Net prévient que ce délai très court renforce le risque de voir la police faire de la censure politique, car les plateformes ne risqueront pas de se prendre une amende pouvant atteindre 4 % de leur chiffre d’affaires si elles échouent à plusieurs reprises de satisfaire les exigences du texte. Elles préféreront supprimer d’abord et éventuellement rétropédaler après.
La Quadrature du Net estime même que ce texte pourrait paradoxalement avoir un effet contre-productif : les plateformes sont obligées sous ce régime de traiter l’ensemble des signalements, sans les trier en fonction de leur caractère d’urgence. Or, le droit français permet aujourd’hui de s’organiser pour gérer en priorité ceux qui sont de toute évidence les plus graves.
La conclusion de l’association est sans appel : « En l’état, cette proposition ne permettra pas d’atteindre l’objectif qu’elle se donne mais renforcera uniquement les risques de censure politique ». Et d’enfoncer le clou : « En droit, une mesure est invalide si elle restreint davantage de libertés que ne le ferait une autre mesure capable d’atteindre aussi efficacement l’objectif qu’elle poursuit ».
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