Les affaires judiciaires impliquant les compteurs Linky se suivent et se ressemblent. Du moins, pour l’instant. Après le verdict rendu en mars par le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse, qui a autorisé des personnes disant souffrir d’hypersensibilité aux ondes à refuser l’installation du compteur communicant, voilà qu’un jugement similaire a été rendu à Bordeaux.
L’histoire est pratiquement la même : des dizaines de personnes, certaines réunies en association, ont cherché à obtenir en justice l’arrêt du déploiement ou le retrait de ces équipements. Les motivations sont variées : elles vont de l’atteinte au libre choix à la protection de la vie privée, en passant par l’amateurisme supposé des installateurs et le risque potentiel en matière médicale.
Mais comme à Toulouse, le juge des référés du TGI de Bordeaux a globalement débouté l’action en justice de la très grande majorité des demandeurs — plus de deux cents.
Le magistrat observe que les requérants n’ont à aucun moment démontré l’existence d’une infraction du droit à la consommation, d’une violation du RGPD ou d’un péril imminent sur la sécurité des personnes ou des biens, « que se soit par rapport à leur santé, à la sécurité ou à la qualité du travail » réalisé par les entreprises mandatées pour déployer le Linky dans tous les foyers.
Pose d’un filtre pour quelques cas
Mais pour une poignée des particuliers engagés dans cette action contre Enedis — qui est à l’origine de ce boîtier –, le juge des référés a tenu compte dans son verdict de certaines spécificités médicales. Ainsi, treize personnes qui avaient produit des certificats médicaux faisant état de symptômes (dont des maux de têtes et des insomnies) bénéficient d’un régime particulier.
S’ils n’ont pas le droit de refuser le compteur, ils pourront obtenir d’ici deux mois d’un « dispositif de filtre » devant mieux empêcher la propagation des ondes dans l’habitation. Pour le magistrat, les certificats « justifient d’un trouble manifestement illicite par manquement d’un principe de précaution », car cette pose s’est déroulée « sans la pose d’un filtre les protégeant des champs électromagnétiques ». On n’en sait pas plus sur ces fameux « filtres » qui permettraient de se protéger…
De toute évidence, le jugement des référés rendu à Bordeaux est moins favorable aux hypersensibles que celui prononcé à Toulouse, qui a permis à treize autres individus se disant électrosensibles se refuser l’installation d’un Linky chez eux. Cependant, dans un cas comme dans l’autre, Enedis, qui est le principal gestionnaire du réseau électrique de distribution, a prévu de faire appel.
Ces décisions ne sont pas des jugements au fond, mais des décisions en référé. Cette procédure sert lorsqu’il y a un caractère d’urgence pour solliciter des mesures provisoires afin de traiter des situations tout de suite, y compris en cas de doute. Le juge « peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires », dit l’article 809 du Code de procédure civile.
L’effet néfaste des ondes n’est pas prouvé
En l’état actuel des connaissances scientifiques, l’effet néfaste des ondes sur le corps humain n’a pas été démontré — en tout cas, pour les niveaux d’exposition courants.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), dans un rapport et un avis sur ce phénomène parus fin mars 2018, explique avoir consulté « l’ensemble de la littérature scientifique disponible » et conduit « un grand nombre d’auditions » : des praticiens (généralistes comme hospitaliers), des scientifiques, des associations et des individus se disant électrosensibles.
Il ressort de cette méta-analyse qu’aucune hypothèse de recherche observée pour interpréter ces symptômes ne s’est avérée probante. « Au final, aucune preuve expérimentale solide ne permet actuellement d’établir un lien de causalité entre l’exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes décrits par ces personnes », est-il dit dans le rapport.
Une errance médicale
Malgré l’absence de lien évident démontrant le rôle des ondes sur la dégradation de la santé ou le mal-être de certaines personnes, l’ANSES considère que les travaux de recherche doivent se poursuivre. En outre, il reste quand même à proposer une aide adéquate pour celles et ceux qui se disent sincèrement affectées. Car pour l’heure, elles se trouvent dans une « errance médicale ».
Le problème posé par les électrosensibles est en tout cas ancien. En 2005, l’OMS décrivait ce phénomène comme une « intolérance environnementale idiopathique », c’est-à-dire une observation dont l’origine est indéterminée. Les symptômes « restent non expliqués sur le plan médical », déclarait-elle à l’époque, tout en reconnaissant que ces « effets sont préjudiciables pour la santé des personnes ».
Les doutes sur l’origine de ce mal-être ne signifient pas nier sa réalité. Le fait est que l’absence de preuve sur le rôle des ondes incite pour l’instant à explorer d’autres hypothèses. C’est le cas de la psychologie. L’intolérance aux ondes pourrait être de nature psychosomatique : savoir ou croire que l’on se trouve dans un champ électromagnétique provoque une réaction anormale du corps.
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