Facebook propose depuis mai un outil qui indique qui finance quelle publicité politique. Le service est pour l’instant limité à trois pays, dont le Brésil. Avec l’élection présidentielle et alors qu’un candidat d’extrême droite est arrivé au second tour, son utilité sera mise à l’épreuve.

La population brésilienne va-t-elle confier la conduite du pays à l’extrême droite pour les quatre années à venir ? C’est en somme tout l’enjeu de l’élection présidentielle qui se joue jusqu’à la fin du mois d’octobre 2018. Après un premier tour survenu le 7, un second tour doit avoir lieu le 28. Et ce scrutin pourrait bien avoir valeur de test pour Facebook dans le domaine de la publicité politique.

Archive des publicités

Second tour

Il opposera deux hommes : Jair Bolsonaro, arrivé en tête avec pratiquement la moitié des suffrages exprimés (46 % des votants) et classé à l’extrême droite, et Fernando Haddad, qui a récolté moins de 30 % des voix et de centre gauche.

Le réseau social américain propose en effet depuis le 24 mai un outil en ligne, appelé « archive des publicités ». Évoqué début avril, Facebook annonçant alors vouloir rendre les publicités et les pages plus transparentes, le dispositif a bénéficié d’améliorations au fil des mois, comme l’arrivée d’une API dédiée pour que « les chercheurs et les journalistes puissent analyser plus facilement [ces] publicités ».

Il s’agit d’une sorte de moteur de recherche pour les publicités liées à la politique ou des problématiques nationales d’intérêt public. À l’heure actuelle, le service inclut les annonces vues par les habitants des États-Unis et du Royaume-Uni, deux pays dont il a été dit que les publicités politiques en ligne ont peut-être servi à des campagnes de manipulation, et du Brésil, qui est en pleine campagne électorale.

L’outil doit donner au public « plus d’informations sur les publicités que les personnes voient et sur les annonceurs qui les financent ». Le portail regroupe des indications sur les « publicités sur des élus, des candidats à des charges publiques et des problématiques nationales d’intérêt public dans les pays où elles ont été diffusées ». Leur conservation sur ce site doit durer au maximum sept ans.

Image d'illustration Facebook // Source : Facebook

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Source : Facebook

Dans le cas de Jair Bolsonaro, dont les prises de position sur plusieurs sujets (retour de la peine de mort, autorisation du port d’armes, abaissement de la majorité pénale à 16 ans, utilisation de la torture contre les trafiquants de drogue, homophobie, opposition à l’avortement, etc.) ont suscité la controverse, on dénombre pas moins de 8 000 publicités, dont un peu plus de 100 sont actuellement actives.

Attention, toutefois : toutes ces publicités ne sont pas nécessairement en faveur de Jair Bolsonaro. Comme l’explique Facebook, « les résultats de recherche comprennent les publicités contenant du texte correspondant à votre recherche, ainsi que les publicités des Pages dont le nom correspond à votre recherche ». Si une publicité politique hostile à ce candidat existe, elle sera aussi comptabilisée.

Les réseaux sociaux dans la campagne

Il convient toutefois de signaler que le camp de Jair Bolsonaro se sert lourdement des réseaux sociaux dans cette campagne.

« Si nous perdons les réseaux sociaux, c’est terminé », a-t-il ainsi déclaré lors d’un direct sur Facebook, dans des propos rapportés par l’AFP. De l’avis de plusieurs observateurs interrogés par l’agence de presse, cette campagne a été marquée par l’influence prépondérante des réseaux sociaux. Le pays compte près de 120 millions d’internautes.

L’initiative de Facebook doit donc permettre une plus grande transparence, d’autant que ce scrutin est, selon nos confrères, « pollué par un grand nombre de fausses informations » à cause d’une élection « extrêmement polarisée ». Aucun des deux camps ne se montrerait plus vertueux que l’autre, chacun tentant « de répandre toutes sortes de contenus plus ou moins fiables pour nuire à l’adversaire ».

Seule différence : les électeurs du camp Bolsonaro sont, selon un sondage, plus connectés que ceux du camp Haddad (81 % contre 59 %).

Facebook attendu au tournant

Il s’agit pour le site communautaire d’un véritable baptême du feu, car sa plateforme est devenue un espace incontournable pour la communication politique (cela se voit notamment en France, avec par exemple le Premier ministre Édouard Philippe qui organise de temps à autre des diffusions en direct sur Facebook pour parler de telle ou telle réforme en cours ou à venir).

Or, Facebook a été par le passé pointé du doigt pour son aveuglement sur les actions de propagande et d’influence, qu’elles soient menées en interne ou pilotées depuis l’étranger. Ainsi, on a suspecté des manœuvres lors de l’élection présidentielle aux USA, qui a porté Donald Trump au pouvoir, ou du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, qui a fini en Brexit.

Depuis le réseau social a changé de fusil d’épaule et admis que sa plateforme peut servir à influencer les individus. Si l’entreprise américaine s’est parfois montrée réticente à faire preuve de transparence, les choses ont changé l’an passé et cette année. L’initiative de l’archive des publicités en est la preuve, tout comme des actions ponctuelles, à l’image du verrouillage des publicités lors du référendum irlandais sur l’IVG.

« Protéger la démocratie »

C’est ce contexte d’incertitude sur qui finance quoi en matière de publicité politique, et à quelles fins, que Facebook a lancé cet outil car le site s’est assigné depuis quelques mois une nouvelle mission, celle de « protéger la démocratie », notamment aux États-Unis, où une forte incertitude plane sur les élections de mi-mandat, qui auront lieu début novembre 2018.

Mark Zuckerberg a ainsi évoqué le plan de son service à la mi-septembre, mais il est loin de faire l’unanimité.

Olivier Ertzscheid, un maître de conférences en sciences de l’information, s’étonne ainsi du fait que l’on se soit retrouvé dans une situation où des géants de la high tech se placent comme les gardiens de la démocratie. Surtout, il pointe du doigt l’illusion du solutionnisme technologique, car les algorithmes des géants de la tech posent, justement, en l’état actuel des choses, des soucis démocratiques.

« Aujourd’hui, les algorithmes dont nous parlons se déploient au sein d’architectures techniques toxiques englobant des millions ou des milliards d’utilisateurs », fait-il ainsi remarquer. Des algorithmes qui « reposent sur des jeux de données propriétaires et donc totalement opaques », qui sont développées de sorte que « leurs décisions souvent imprévisibles pour leurs créateurs eux-mêmes ».

Mark Zuckerberg, qui a promis en début d’année de réparer Facebook, a encore du travail devant lui. Mais un peu plus de transparence sur la publicité politique est un pas dans la bonne direction.

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